Le lundi 30 avril 1934, dans L’Auto, Lucien Gamblin en est sûr : « L’Olympique de Marseille est virtuellement champion de France ». Victorieux de Nîmes par 7 buts à 3, alors que dans le même temps Sète était vaincu à Montpellier (1-4), les Marseillais sont désormais en tête du championnat professionnel de première division. Ils comptent un point d’avance sur les Sétois et, surtout, ont encore trois matchs à jouer quand les Héraultais n’en ont plus qu’un seul. La conclusion est limpide : « Il ne reste plus à Marseille que de gagner un seul des trois matchs qui lui restent à jouer pour être champion de France. »
Mais, avant ça, les Marseillais ont rendez-vous à Colombes le dimanche 6 mai pour la finale de la Coupe de France. Leur adversaire n’est autre que le FC Sète. Autant dire que, au vu des derniers matchs de championnat, la dynamique est clairement du côté de l’Olympique de Marseille qui aligne une équipe redoutable. Dans les bois, c’est Laurent Di Lorto, futur gardien du FC Sochaux et de l’équipe de France. La défense est composée des frères Max et Henri Conchy. Au milieu, l’Autrichien Leopold Drucker occupe le poste de demi-centre et il est entouré de Max Charbit et de René Schillemann. En attaque, Emile Zermani et le Hongrois Willy Kohut occupent les ailes tandis que le trio central est composé de Joseph Alcazar (qui sera du huitième de finale de Coupe du monde France-Autriche à la fin du mois), du Hongrois Jozsef Eisenhoffer et de l’avant-centre Jean Boyer. Tout ce beau monde est coordonné par Vinzenz Dittrich, ancien international autrichien reconverti entraîneur.
En face, les Dauphins n’entendent pas se laisser faire et peuvent aussi compter sur une forte équipe. Les buts sont gardés par le jeune René Llense, qui sera du voyage en Italie mais ne jouera pas. En défense, la paire est formée de l’Anglais Joseph Hillier et de Vincent Gasco. Le milieu est dominé par le demi-centre hongrois Marton Bukovi, assisté des jeunes Louis Gabrillargues (qui ira aussi en Italie) et Yves Dupont. En attaque, les rapides ailiers Jules Monsallier et Ali Benouna animent les côtés alors que l’axe est occupé par Marcel Miquel, Yvan Beck (qui a obtenu la nationalité française en décembre 1933) et le puissant avant-centre hongrois Istvan Lukacs (meilleur buteur du championnat). Sur le banc, l’ancien international René Dedieu est aux commandes.
Devant 40 600 spectateurs et en présence du président de la République Albert Lebrun, les Marseillais commencent le match de la meilleure des façons : dès la deuxième minute de jeu, Zermani, « apparemment hors-jeu », trompe le gardien sétois. Mais à la 15e minute, l’ailier marseillais Kohut, réputé pour ses débordements et sa frappe surpuissante, se claque. Le même sort attend l’autre ailier marseillais, le buteur Zermani. Alors que les remplacements ne sont pas autorisés, voilà l’attaque olympienne décimée et bien mal embarquée.
A la 20e minute, de graves incidents se produisent : le stade est envahi par plusieurs centaines de personnes qui débordent le service d’ordre et réussissent à pénétrer jusque sur les abords du terrain. Parmi le public, on dénombre une quinzaine de blessés, dont une femme piétinée qui doit être conduite à l’hôpital. « Le spectacle d’une fillette au visage ensanglanté et portée vers le poste de secours du stade secoua d’émotion l’assistance », note Gabriel Hanot dans son compte-rendu du 8 mai pour Le Miroir des sports. « La foule était haletante », ajoute-t-il, « vibrante, et elle accompagnait de murmures et de cris l’essaim des joueurs se déplaçant sur le terrain. »
Si le public est excité par ces événements, les joueurs sont perdus. « Le match reprend dans l’affolement », confie 20 ans plus tard Max Conchy, « alors que notre demi-centre, Drucker, porte encore secours à une fillette évanouie. » René Llense, dans un entretien avec Alain Pécheral (La grande histoire de l’OM), confirme : « quand l’arbitre a sifflé la reprise du jeu, nous, on a joué. Les Marseillais, pas tous… » A la 24e minute, Beck sert donc Lukacs dans la profondeur, qui s’en va battre tranquillement Di Lorto. Protestation marseillaise : en vain.
Puis, à la 75e minute, Beck frappe le poteau et le ballon revient dans les pieds de Lukacs qui ne se fait pas prier pour inscrire le deuxième but du FC Sète. En fin de seconde mi-temps, cependant, les Marseillais croient avoir égalisé avant que l’arbitre n’annule leur but pour hors-jeu. Nouvelle fureur des Olympiens : l’arbitre et son juge de touche sont alors « pris à partie, injuriés et menacés par Di Lorto, Zermani et Alcazar… » Rien n’y fait : c’est entre les mains du capitaine Yvan Beck que le président Lebrun remet le précieux trophée. Non seulement les Marseillais ont perdu la finale, mais ils y ont laissé beaucoup d’énergie.
Le 10 mai, les joueurs provençaux se présentent à nouveau au stade de Colombes pour défier le CA Paris, dernier du championnat. Le match a lieu en lever de rideau de l’amical Manchester City-Racing. Une victoire suffit donc aux Olympiens pour être sacrés champions de France : ils sont défaits 3 buts à 1. Trois jours plus tard, le 13 mai, Marseille et Sète jouent la dernière journée de championnat : si les Sétois s’imposent assez facilement contre Antibes (4-2), les Marseillais prennent l’eau à Lille (1-6). Privés de Kohut et Zermani, toujours blessés, de Di Lorto, suspendu suite aux incidents de Colombes, les Olympiens semblent surtout ne plus être à leur affaire. La défaite en finale de la Coupe a brisé leur belle dynamique. Il leur reste cependant une dernière chance : contre l’Excelsior Roubaix, le dimanche 20 mai, au stade de l’Huveaune à Marseille. Un nul peut même leur suffire, puisque leur différence de but est meilleure que celle de Sète.
Evidemment, l’impensable va se produire. Le match a lieu en plein week-end de Pentecôte, le temps est printanier et la foule est venue en nombre pour assister au sacre de l’Olympique de Marseille. Tout se déroule parfaitement : les Méridionaux ouvrent le score. Mais les Nordistes se rebiffent et, notamment par l’intermédiaire de Jean Sécember, prennent l’avantage puis mènent 3-1. Eisenhoffer réduit alors l’écart et entretient l’espoir du public, mais les Roubaisiens marquent finalement un quatrième but : 4-2, rideau. En deux semaines, Marseille a tout laissé échapper : la Coupe et, surtout, le championnat qui lui tendait les bras. Comble de malheur : dans la nuit, le siège de l’OM situé rue Edmond Rostand est dévalisé. Les cambrioleurs s’emparent de la recette du match contre l’Excelsior (35 000 francs).
Entre-temps, les Sétois se sont embarqués le 15 mai pour une tournée promotionnelle en Afrique du Nord. Arrivés à Bône le 17 mai, c’est en Algérie qu’ils apprennent la nouvelle : ils ont réussi le premier doublé coupe-championnat de l’histoire du football français. S’ils n’ont pas démérité, leur victoire en championnat est assez cocasse puisqu’elle fut acquise sans jouer de match décisif, hors du terrain. Jean-Philippe Réthacker et Jacques Thibert, dans La fabuleuse histoire du football, imaginent donc les Héraultais découvrant qu’ils sont champions de France « en sirotant l’anisette sur le cours Bertagna ».
Au total, le club de Georges Bayrou joue 14 matchs en Algérie, en Tunisie et au Maroc. Il en gagne 11 – dont deux victoires 3-1 et 1-0 contre l’US Marocaine champion d’Afrique du Nord – et réalise trois nuls – dont un contre le Betis Séville à Oran le 28 juin. Les Dauphins marquent 48 buts et n’en encaissent que neuf. Sportivement et financièrement, c’est donc un triomphe. Mais l’énergie dépensée dans cette tournée est sans doute payée par les Héraultais lors de la saison 1934-1935 : ils ne gagnent leur premier match de championnat que lors de la huitième journée et, en coupe, ils sont défaits en quart de finale d’une compétition que gagne… l’Olympique de Marseille.
sympa ce petit retour dans la préhistoire du foot pro français, on est d’accord que la saison dont tu parles c’est la 33/34 la 1ere professionnelle du championnat de France? donc Sète est le 1er champion pro de l’histoire… on dit que l’histoire est un éternel recommencement en tous cas pour l’om les fins de saisons se ressemblent beaucoup^^
bon j’arrête de l’ouvrir nous on végète en ligue 2 (et encore pour un moment)
C’est la deuxième saison pro et le FC Sète est à jamais le deuxième, derrière l’Olympique Lillois fusionné à la Libération avec le SC Fives pour former le LOSC.
Mais Sète est à jamais les premiers à avoir fait le doublé coupe-championnat.
La première saison de la Division Nationale (ancêtre de la Ligue 1) a lieu en 1932-1933, et son classement final est effectivement remporté par l’OL (Olympique lillois).
Ce que réalisent les Sétois, en 1933-1934, c’est encore plus fort. Et c’est écrit noir sur blanc dans le texte : « ils ont réussi le premier doublé coupe-championnat de l’histoire du football français. »
En prime, dans des conditions quelque peu rocambolesques…
Drucker, déjà magnifique !
Ali Benouna fut le premier international français d’origine algérienne.
De la saison 32-33 à celle de 61-62, pour départager les éventuels ex aequo, on prenait en compte non la différence de buts mais le goal-average (buts marqués divisés par buts encaissés). Suite à la mésaventure survenue au RC Paris en 62 (si un quelconque boomer pas trop paresseux pouvait nous en dire plus là-dessus), on optera définitivement et ce dès la saison suivante, pour le départage à la différence de buts générale.
Une fois de plus, cette histoire ressemble sacrément à un complot fomenté pour empêcher des Autrichiens de triompher.
Comme à Austerlitz…
Comme à Königgrätz…
Comme à Vittorio Veneto…
Nan, ça c’est faire la guerre avec des combattants qui ne parlent pas la même langue et sans moyens suffisants. Quand tu es trop fort, il faut rajouter de la difficulté pour que l’adversaire ait sa chance. On appelle cela le fair-play.
Au fait, sur la photo de garde :
Debout, de gauche à droite, Joe Hillier, Louis Gabrillargues, René Llense, Yves Dupont (auteur d’un livre de souvenirs auto-édité : « La Mecque du football », jamais lu), Marton Bukovi (légendaire entraîneur du MTK après la guerre), Vincent Gasco.
Accroupis, de gauche à droite, Jules Monsallier, Ivan Beck (qui participa à la CdM en Uruguay), Istvan Lukacs (qui ne fit plus rien après cette saison exceptionnelle), Marcel Miquel et Ali Benouna.
Magnifique. J’adore les maillots à rayures horizontales. Ils sont pas si fréquents. Sète, le Sporting, Club Africain, QPR…
Tu connais les raisons de ce choix pour Sète? Ils ont chopé ça d’un club anglais comme beaucoup?
Ce serait un emprunt au Celtic FC.
Par l’entremise de l’Ecossais Victor Gibson.
Le Celtic evidemment, merci.
Bonjour, je me présente, Guillaume, passionné et collectioneur du FC Sète.
Cette version de l’origine du maillot à longtemps été une légende.
Le FC Cette à été fondé par Victor Gibson (anglais), Félix Schenk (Suisse) et Étienne Schlegel (Suisse).
Les deux suisses sont originaires du Canton de Vaud dont les armoiries sont rayés verte et blanche…
N’hésitez pas à suivre ma page Facebook et Instagram (FC Sète collection singulière) mais aussi ma chaîne youtube (rue du football), je vais y proposer à la fin de l’été un contenu relatant l’histoire du FC Sète.
Je vous remercie pour cet article qui en ces temps difficiles pour le FC Sète fais du bien à lire.
Au plaisir, Guillaume.
Merci guits d’avoir précisé.
Mon usage du conditionnel était donc plus que de rigueur.
Merci Guits pour les infos!
Puisque tu parles d’un Betis, une chouette photo d’un Tenerife Betis en 1919.
https://es.m.wikipedia.org/wiki/Club_Deportivo_Tenerife#/media/Archivo%3ASporting_tenerife-Betis.jpg
Un drôle de parcours d’entraîneur que celui de Dittrich. Lituanie, Autriche, France, Allemagne, Tchécoslovaquie, Luxemburg, Syrie, Liban. Et pis d’abord, un bon joueur. Défenseur rugueux, pas très grand (comme beaucoup à l’époque). Il était sur le terrain, je crois, le jour où le père de Bican a reçu la blessure, qui entraîna son décès ensuite.
C’était quoi, la blessure fatale subie par le père Bican?
Un coup reçu de la part d’un adversaire pendant un match.
Il décéda plusieurs années après, des suites de cette blessure.
Plusieurs mois après. Une blessure à un rein, je crois. Il n’a pas voulu se faire opèrer. Ce qui explique que la mère de Bican n’était pas très enthousiaste à l’idée que son fils suive les traces de son père (elle avait perdu un autre fils aussi, il me semble). Elle trimballait, paraît-il, un parapluie au bord des terrains et n’hésitait pas à s’en servir comme arme lorsque son fils subissait de grosses fautes.
Choix pas forcément si irrationnel que ça, faut voir où en était statistiquement (la médecine n’est au fond pas grand-chose d’autre?) le taux de succès de ce genre d’interventions à l’époque.
Punaise j’aimerais tellement revenir sur le nom de ce joueur, dont la mère débarqua un jour sur la pelouse pour casser la gueule à l’agresseur de son fils……… C’est frustrant la mémoire, parfois, ppffff…
Cette interdiction des remplacements était tout de même une sacrée injustice. Bon.. Aujourd’hui je trouve que c’est le contraire : il y en a bien trop, cela pénalise et les entraîneurs qui eux voient juste, et les effectifs moins fournis.. A choisir, je préfère encore l’interdiction de remplacement.
En découvrant les deux principaux protagonistes de cette édition, je me demandais s’il y avait eu des tendances lourdes dans l’Histoire du championnat hexagonal, des périodes dominées par l’une ou l’autre région..mais de prime abord non, ça semble toujours fort hétérogène, pas vraiment de disparités régionales, scène beaucoup plus équilibrée que parmi les championnats que je connais mieux.
Un nombre max d’étrangers/club à l’époque en France? L’article suggère qu’il y avait peut-être un plafond de 3, mais..??
Jusqu’aux années 1930, le football français est dominé par les clubs originaires des Ligues de Paris, du Nord et de la Méditerranée. A partir des années 1930, il y a une plus forte diversification du fait de la professionnalisation. En Méditerranée, Sète est LE club dominant des années 1910-1920. A partir de la deuxième moitié des années 1920, l’OM prend progressivement l’ascendant mais le coude-à-coude reste serré avec le FC Sète.
A l’époque, c’est trois étrangers sur le terrain maximum (sachant qu’il est très facile de naturaliser, puisqu’il suffit à un étranger d’avoir vécu 3 ans sur le territoire national pour devenir Français) : ainsi, lors de la finale de la CdF, Sète aligne le Britannique Hillier, les Hongrois Bukovi et Lukacs et Yvan Beck (international yougoslave devenu Français en décembre 1933, et qui jouera par la suite pour l’équipe de France). A l’OM, les étrangers sont l’Autrichien Drucker et les Hongrois Eisenhoffer et Kohut.
C’est marrant mais, à bien des égards, on dirait que le foot belge fit, quand il se professionnalisa réellement en 74, un copié-collé de ce qui avait eu cours..dans la France des 30’s.
Y a juste la région parisienne qui semble s’être singulièrement démarquée à un moment dans votre histoire, aux tout débuts..mais sinon cela il y a toujours au bas mot 2-3 régions à niveau, on dirait ; c’est loin d’avoir été si commun.
A ta connaissance, observa-t-on à l’une ou l’autre période des spécificités régionales dans l’expression-jeu à travers la France? Une région plus particulièrement influencée par le long-ball? Une autre plus durablement hermétique à l’évolution du jeu? Une plus particulièrement marquée par le jeu continental sauce Mitropa, que sais-je encore.. Tu vois l’idée?
Pas seulement un club donc : plutôt à l’échelle « régionale ».
Bah, franchement, dans l’entre-deux-guerres ça ne joue à rien.
Les clubs et la fédération ne prennent réellement conscience de l’importance tactique de l’entraîneur que dans les années 1930. Et il faudra, en fait, attendre les années 1950 pour voir émerger une réflexion tactique dans le football français.
Donc, à l’époque, je ne crois pas qu’on puisse dégager des spécificités régionales ou locales : toutes les équipes jouent plus ou moins de la même façon. Tout juste, comme je le montrais dans mon texte sur Quevilly, certaines équipes font-elles avec les moyens du bord : à défaut d’avoir les joueurs pour essayer de poser un peu le jeu, on se contente de mettre du coeur et de jouer les déménageurs. Ça pouvait suffire…