En route pour Abidjan ! Ahcène Lalmas et Monsieur Leduc

Le 3 juillet 1962, trois mois après les accords d’Évian et deux jours après le référendum d’autodétermination du 1er juillet, le président de Gaulle annonce officiellement la reconnaissance par la France de l’indépendance de l’Algérie. Un long chemin parcouru par un peuple, dont le combat fût magnifié par l’équipe du FLN qui le représenta sur tous les continents pendant quatre ans. Les Ben Tifour, Rachid Mekhloufi ou Mustapha Zitouni, hommes engagés, vitrines d’un football de gala qui est certainement le plus structuré et compétitif du continent africain de l’époque. La Coupe d’Afrique des Nations en est alors à ses balbutiements. La première édition en 1957 au Soudan n’a regroupé que trois participants, le pays hôte, l’Égypte et l’Éthiopie. L’Afrique du Sud, le dernier des membres fondateurs de la CAF, ayant été logiquement exclue pour sa politique d’apartheid. L’Ouganda et la Tunisie découvriront, quant à eux, la compétition en 1962.

L’équipe du FLN en 1962

A l’indépendance, le foot algérien se structure patiemment. Lors des premières années, les compétitions redémarrent sous forme de critériums régionaux à l’issue desquels sont sacrés les champions départementaux qui devaient ensuite s’affronter pour désigner le champion d’Algérie. L’USM Alger et l’USM Annaba sont les premiers lauréats. L’organisation tunisienne réussie de la CAN 1965 donne des idées à la Fédération algérienne voisine. Persuadée d’avoir un noyau de qualité, celle-ci inscrit pour la première fois sa sélection pour l’édition 1968…

Le Bélier

Dès 1962, dans le quartier d’El Annasser, à Alger, commencent à poindre les rumeurs d’un talent générationnel, d’un digne héritier de la génération Kermali. Il se nomme Ahcène Lalmas, les plus avertis le connaissent depuis des années… Issu d’un milieu modeste, Lalmas apprend le jeu dans la rue, et démontre immédiatement une inventivité et un caractère bien trempé qui font le bonheur des aficionados du coin. C’est un enseignant français, un certain Duluxiot, qui, le premier, décèle des qualités hors norme et l’oriente vers l’école de football du GSA Hydra. Il a 13 ans et les badauds viennent de tous les quartiers d’Alger pour le voir jouer. La sensation Lalmas est rapidement surnommée El kebch, le Bélier, pour son formidable jeu de tête et en raison d’une calvitie prématurée qui feront sa renommée dans tous les stades du pays. Et bien au-delà… Ahcène évolue par la suite une saison à l’OM Ruisseau, club de niveau supérieur, et inscrit, un jour de folie, la bagatelle de 14 buts lors d’un match de Coupe d’Algérie face à Birtouta! Un record mondial inatteignable évidemment qui lui ouvre les portes en 1963 du CR Belcourt et de la sélection naissante…

L’Attaque Mitrailleuse du CRB, reine d’Algérie dans les années 1960. Lalmas est derrière le ballon.

Le CR Belcourt, connu désormais sous le nom de Chabab Belouizdad, se construit alors une armada. Lalmas en étant indubitablement l’étendard. Son intelligence de jeu, sa technique hors-pair et ses accélérations décisives, conjugués au savoir-faire des Nassou, Abrouk ou Hamiti, vont marquer la première grande génération de club du foot algérien. Rien ne résiste aux fils de Belouizdad et son Attaque Mitrailleuse dans cette décennie. Lalmas remporte quatre titres de champion, ainsi que trois coupes, auxquels s’ajoutent trois Coupes du Maghreb des clubs champions, conquises au début des années 1970. Comme le souligne Adbelhamid Salhi, l’ancienne star de l’Entente de Sétif des années 1960 et 1970, « Ahcène était la référence numéro une du football algérien des années soixante. J’ai toujours été en admiration devant son immense talent et sa grande personnalité. En sélection nationale, il n’a pas cessé de m’encourager. » Lalmas devient un modèle pour chaque gamin algérien mais c’est bien sur la scène internationale que le Bélier est désormais attendu par tout un peuple…

Voir Addis-Abeba…

Lalmas, pas encore 20 ans, est convoqué pour le premier match de l’Algérie indépendante, le 6 janvier 1963, contre les espoirs de la Bulgarie. Il honorera sa première cape avec les A le 4 novembre 1964 face à l’URSS. Au milieu des légendes vieillissantes de l’équipe du FLN, que sont Mekhloufi, Zitouni ou Boubekeur, le jeune impétueux Ahcène se sent comme un poisson dans l’eau et marque les esprits face aux Soviétiques. Menés 2 à 1 à la mi-temps, Lalmas fait son entrée. Avant de tirer un corner, la gloire de St-Etienne, Mekhloufi, apostrophe le Bélier : « Eh petit, place ta tête ! » Message compris… Mekhloufi centre délicatement, Lalmas se faufile parmi les défenseurs et boxe le cuir dans la cage de l’araignée Yachine. Deux partout! Alger est en feu, début d’une longue romance avec sa sélection…

Lucien Leduc, coach consacré avec l’AS Monaco, prend les rênes de la sélection algérienne en 1966. Avec une unique mission, la qualification pour la CAN 1968. Les Verts réalisent un sans-faute, ils étrillent la Haute-Volta et le Mali. Régulièrement visitée avant leur départ pour l’Éthiopie par Houari Boumediene, qui ne cache pas ses propres attentes et celle de la nation, la sélection effectue un stage à Seraïdi, non loin du massif de l’Edough, afin de permettre aux joueurs de s’acclimater à l’altitude du pays du Négus. Un stage épuisant, dans des conditions vétustes, qui se révélera finalement plus négatif qu’autre chose pour les organismes selon les dires des coéquipiers de Lalmas. Les joueurs impatients s’ennuient et rongent leur frein, conscients de la montagne à gravir. La pression est immense. Néanmoins, même les esprits les plus retors ne s’attendaient à des coups bas venus de leur propre camp…

Le coach Lucien Leduc n’aurait nullement les coudées franches pour composer l’équipe. Sans en connaître les raisons, on lui intime l’odre de ne pas aligner Lalmas face à la Côte d’Ivoire de Laurent Pokou! L’Empereur Baoulé et Eustache Manglé n’en demandaient pas tant et ne laissent pas passer l’occasion. Une défaite 3 à 0 pour l’Algerie qui met déjà en péril une qualification pour la demi-finale… Le soir de la déroute, un Leduc désabusé se confie à un journaliste : « On m’a forcé la main pour ne pas faire jouer Lalmas. Voilà le résultat. Contre l’Ouganda j’alignerai mon équipe. Je suis prêt à rentrer chez moi après le match. » Tenant son engagement, Leduc place Lalmas au centre de son dispositif lors du match suivant face à l’Ouganda. Le résultat est immédiat, Ahcène plante un triplé. Un exploit malheureusement sans lendemain puisque l’Algerie s’inclinera face au pays hôte, malgré un nouveau but de Lalmas et sur un arbitrage que l’on qualifiera de litigieux. Passablement frustré, furieux contre ces « saboteurs de l’intérieur », Ahcène sera, maigre consolation, élu meilleur joueur du tournoi, en compagnie de Luciano Vassalo l’Éthiopien et de l’Ivoirien Pokou.

Lucien Leduc, à droite

Un trésor national

Ses performances à la CAN attisent les convoitises de l’Europe. Anderlecht et l’Olympique de Marseille lui proposent de lucratifs contrats. Réponse sans appel et définitive de l’état algérien, Lalmas ne bouge pas… Confiné dans son propre pays, Ahcène partage désormais ses couleurs avec un autre talent naissant, Mustapha Dahleb, mais le Chabab Belouizdad n’est plus la force dominante du pays et devra attendre le nouveau millénaire pour réapparaître aux sommets. Freiné dans ses ambitions et personnalité peu malléable, il est écarté de la sélection en 1971 et ne reviendra que sous les ordres du Roumain Dimitri Makri. Pour un résultat décevant…

Lalmas, fâché avec sa direction, quitte son club de toujours, en 1973, pour l’Hussein Dey, le futur club de Rabah Madjer. En perte de vitesse et conscient de son déclin, il raccroche à 32 ans seulement… La première star de l’Indépendance aura vécu une décennie 1960 emplie de fleurs et de chants, de murmures qui ne lui appartiennent plus. Le public a vénéré son courage, sa finesse, son caractère qui lui causa quelques désagréments. Les premières lettres de noblesse algériennes, dans la compétition reine du continent, portent clairement son sceau et il demeure, 50 ans après l’arrêt de sa carrière, le meilleur buteur historique du championnat. Lui qui rêvait de partager une scène mondiale avec les héros de son sport, un songe que son talent justifiait, sera consacré joueur algérien du siècle en 1993 par un parterre de spécialistes. Devant les pointures que furent Mekhloufi, Madjer ou Belloumi. Pas le moindre de ses exploits…

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22 réflexions sur « En route pour Abidjan ! Ahcène Lalmas et Monsieur Leduc »

  1. Merci Khia.
    Lalmas a le malheur de régner sur les années 60, quand le foot algérien se structure et rechigne à se frotter aux traquenards qui sont la norme à l’extérieur (intimidations physiques, arbitrages honteux…). On en reparlera dans un prochain article mais Lalmas ne joue qu’une C1 africaine en 1970 au cours de laquelle le Chabab se retire avant d’aller jouer à Dakar. Le Bélier est une idole algérienne sans la reconnaissance internationale qu’auront ses successeurs.

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    1. C’est tout le football d’Afrique du Nord qui boycotte généralement les premières C1 africaines. D’ailleurs, il faut attendre les années 80 pour que se dessine la domination de l’Afrique du Nord sur le foot de club. La JSK, les premiers titres d’Al Ahly et Zamalek. Le FAR et le Raja pour le Maroc… Suivis des titres tunisiens du début des années 90.
      Une domination totale sur le continent depuis 40 ans. Ils sont devenus rares les titres qui leurs échappent.

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  2. Cette CAN 1968 est le premier titre de la RDC. Avec la figure de Pierre Kalala Mukendi. Qui est la figure du Tout Puissant Mazembe qui domine également le continent.
    Dans cette equipe congolaise, on retrouve le grand gardien Mwamba Kazadi qui est également le gardien lors du titre 74 et de la Coupe du monde allemande. Un grand gardien africain.
    Ou Mafu Kibonge, dit Gento. Grande star de l’époque.
    Un texte sur Gento
    https://gazetteducontinent.fr/portrait/joseph-kibonge-mafu-un-nom-une-legende

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    1. C’est le mot. Passion et découverte. Perso, j’apprends toujours énormément en faisant ces textes. Et mon admiration pour certains n’a fait qu’augmenter en fouillant un peu partout.

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  3. Je ne sais pas si tu as prévu d’écrire sur Luciano Vassalo et son frère Italo ? Des vies marquées par les soubresauts politiques de l’Ethiopie, de la colonisation italienne en Érythrée à la chute du Négus et l’exil dans le pays du père qui les avait abandonnés.

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    1. Non. J’aimais bien l’idée mais on trouve pas mal d’articles intéressants en français sur les frangins. Et en italien, c’est encore mieux.
      https://catenaccioecontropiede.it/luciano-vassallo/
      Celui qui m’intéresse le plus dans cette génération éthiopienne est Mengistu Worku. Voire un peu plus ancien, Yidnekatchew Tessema. Qui fut un grand buteur des années 40-50. Le coach de l’Ethiopie lors de la victoire à la CAN 62 et président de la CAF de 1972 à 1987.
      Pour les deux, y a de quoi faire des trucs sympas.

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  4. Totale découverte me concernant, merci!

    Un détail m’a frappé : quelque 150 buts..pour le meilleur buteur historique du championnat d’Algérie?? C’est fort peu comme standard, non? A la grosse louche, les standards les plus courants en Europe tournent autour des 300 buts, je crois.. Spontanément je ne vois que la Russie peut-être, dont le record absolu doit de tête avoisiner celui de ce Lalmas.

    Des vidéos à en proposer, sinon? La description faite de son jeu me fait penser au grand Henk Groot, qui d’ailleurs lui fut contemporain, mais..?

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      1. Je viens de regarder 3 vidéos.. Le moins qu’on puisse dire est qu’il était plus technique que son pair NL!

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      2. Et son club, le Chabab Belouizdad qui n’avait plus gagné de titres depuis l’époque Lalmas, est redevenu compétitif dans les années 2000. D’ailleurs, il a gagné les 4 derniers titres algériens.
        Si un connaisseur du foot d’Alger peut nouq décrire qui sont ses fans. Et leurs rivalités avec le Mouloudia ou l’USM…

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    1. Y a ce match face à Santos en 69. Avec le central Hadefi dont j’ai parlé dans ma sélection de grands joueurs sans CAN et Abdelkader Fréha qui est peut-être le plus grand joueur du Mouloudia d’Oran. C’est d’ailleurs Freha qui égalise. Mais Lalmas est absent.
      Match complet et commentaires en français. C’est l’invasion du terrain lors de l’egalisation de Freha.
      https://youtu.be/GRGNB-yLeB8?si=V98E7mh15sEnm-4n

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      1. Merci pour ce délicieux article, d’autant plus que le grand Ahcene LALMAS (Ahcene est probablement l’orthographe le plus correct, c’est un prénom largement utilisé en Kabylie, région dont la famille LALMAS est originaire comme à peu près 80 % de la population algéroise des années 60) est le grand oublié lorsque l’on cite les meilleurs joueurs algériens de tous les temps. Il fut incontestablement le meilleur joueur de sa génération et le plus grand gentleman du football algérien.

        Concernant le CR Belouizdad (Ex CR Belcourt), la base populaire du club se situe principalement dans le quartier populaire de Belcourt et ses environs (Al Anasser, Laaqiba, Hama), l’ambiance électrique et parfois hostile que met son public dans le stade municipal du 20 Aout 1955 (surnommé en derdja El Couzina « la cuisine » pour sa grande proximité avec les habitations d’où l’on peut aisément regarder les matchs et sa piste de cyclisme à l’ancienne qui borde le terrain) rend le CRB quasi imprenable à domicile. Le club ne manque pas de rivaux dans la capitale, à commencer par ses voisins immédiats dont le NA Hussein Dey, le RC Kouba et le USM El Harrach (clubs historiques qui portent les noms de leurs quartiers respectifs et qui ont formé énormément de grands joueurs tels les Ighil, Madjer, Assad, Cerbah, Fergani, Merezkan, Lounici, Dziri, Helliche….etc.), mais sur le plan sportif ses plus grands rivaux furent et demeurent l’USM Alger, deuxième club algérois le plus populaire (Alger centre, la Casbah, Bab el Oued, Sostara, Bologhine) et bien évidemment le MC Alger qui ratisse plus large en terme de popularité (Alger centre, Bab el Oued, la Casbah, Ain El Benian, Bouzarreah, Cheraga, Daly Brahim, Dar El Baida, Bab Ezzouar, Rouiba, Reghaia…).

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      2. Ah Agawa! Je t’avoue que j’espérais une intervention de ta part! Merci, je vais changer l’orthographe du prénom de Lalmas. Hacene était celle que j’ai trouvée le plus fréquemment.

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      3. Et merci également pour la description des rivalités algeroises! Reste connecté dans ĺes jours qui viennent. Verano nous réserve une page importante de l’histoire du foot algérien et personnellement, je continue ma serie sur la CAN jusqu’au jour de la Finale!

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  5. Très beau portrait Khia! Lalmas est une légende, certes moins connue que Lakhdar, Rabah et cie mais il reste un joueur emblématique des 60’s. La première grande star du championnat national. Je crois savoir qu’il avait fait carrière dans la police, ce que quelques supporters de CRB m’avait dit mais je n’en suis pas sûr. Petite anecdote populaire mais très peu probable à mon sens, il paraîtrait qu’un adversaire lors du match de 68 contre l’Éthiopie, lui aurait mordu le crâne !

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    1. Haha! Merci Chipalo pour l’anecdote! Ce que j’ai pu lire sur le match Ethiopie-Algerie 68, c’était que l’arbitrage avait favorisé les locaux. Mais c’était des sources algériennes donc j’ai pas l’autre version. Hehe

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