Edmond Weiskopf (1911-1996), une histoire de copains

« On s’imagine, avec la légèreté de la jeunesse, s’en tirer à bon compte et avoir échappé à une vieille malédiction, sous prétexte que l’on a vécu quelques semaines de tranquillité et d’insouciance dans un pays neutre, au bord d’un lac ensoleillé. »

Patrick Modiano, L’horizon, 2010

Une histoire juive

L’histoire d’Edmond Weiskopf débute en Hongrie. C’est à Budapest qu’il naît, le 22 octobre 1911, et qu’il est inscrit à l’état civil sous le nom d’Odon Virag. D’extraction modeste, il est doté de qualités athlétiques hors du commun qui lui permettent d’envisager une carrière de footballeur professionnel. Juif, il prend à la fin des années 1920 le nom à consonance juive Weiskopf et rejoint les rangs du Hungaria (nouveau nom du MTK depuis 1926) dont les liens avec la communauté juive de Budapest sont importants.

Weiskopf se met particulièrement en valeur à l’occasion d’une tournée des juniors hongrois en Turquie en 1930. A Istanbul, les jeunes Hongrois réussissent à battre les seniors turcs. Dès lors, son compatriote et coreligionnaire – il s’est converti pour son mariage – Jozsef Eisenhoffer (1900-1945) s’emploie à le faire venir à l’Hakoah de Vienne. Weiskopf débarque en Autriche en 1931 et y reste trois ans. Il y côtoie notamment un juif autrichien de quelques mois son cadet : Friedrich Donnenfeld (1912-1976).

Weiskopf sous le maillot de l’Hakoah Vienne (début des années 1930).

Peut-être inquiet de la situation politique à Vienne, en tout cas attiré par les salaires intéressants que proposent alors les clubs français, Weiskopf migre en France en 1934. Plus particulièrement au FC Sète. A l’été 1934, Sète est tout simplement la plus forte équipe de l’Hexagone : elle vient de réaliser le doublé coupe-championnat. Mais elle a accepté de laisser filer, contre une forte somme, son avant-centre hongrois Istvan Lukacs à l’Olympique lillois. Weiskopf est attaquant lui aussi : en somme, un Hongrois en remplace un autre.

Mais Weiskopf – dont le prénom est désormais francisé en Edmond – n’est pas précisément un avant-centre. C’est plutôt un ailier, vif et rapide, doté d’une bonne frappe de balle. En 1939, alors entraîneur de Lens, Eisenhoffer décrit ainsi ses qualités : « Weinskopf [sic] est avant tout un bel athlète. Il fit des temps excellents sur 100 et 200 mètres et fut un lanceur de poids de valeur. A l’heure actuelle, ce joueur, qui se sert avec aisance de ses deux pieds – il peut jouer ailier droit ou gauche, est excessivement rapide. Pourtant, il a un défaut : il ne sait pas très bien feinter l’homme qui le marque. C’est dommage car il possède également un shot terrible » (Paris-Soir, 20 janvier 1939).

Mais comment un juif hongrois de 23 ans se retrouve-t-il sur les rives de la Méditerranée ? Sans doute-t-il a été recommandé ou accompagné par un compatriote. Eisenhoffer, que Weiskopf connaît bien, est à Marseille depuis 1932. Marton Bukovi (1903-1985), le demi-centre stratège de Ferencvaros, est à Sète depuis 1933. Bref, l’un ou l’autre (peut-être les deux) a pu favoriser sa venue chez les Dauphins.

Une histoire marseillaise

Néanmoins, à Sète, Weiskopf ne va pas réussir à s’imposer. Ni au poste d’avant-centre, ni au poste d’intérieur auquel on l’essaie, ni au poste d’ailier droit ou gauche. Au lendemain d’une victoire 6-3 contre l’Olympique de Marseille, le joueur est « assassiné » par L’intransigeant (qui porte bien son nom !) : « Quant au Football Club de Sète, la preuve est faite qu’il reste digne de son passé. Encore a-t-il été contraint hier de faire choix d’un avant-centre sans grande valeur. Ce n’est pas la première fois, en effet, que Weisskopf [sic] dirige la ligne d’attaque sétoise, et la dirige de manière à satisfaire davantage ses adversaires que ses partenaires. Aucun des six buts sétois n’est l’œuvre de Weisskopf [sic] : c’est dire que ce joueur n’est qu’un pis-aller » (30 avril 1935).

Après deux saisons en demi-teinte, Weiskopf quitte donc Sète et part pour Marseille où il retrouve Eisenhoffer et Donnenfeld. Il s’y montre un peu plus à son avantage, mais il est barré par Willy Kohut (1906-1986), redoutable ailier gauche sélectionné en équipe de Hongrie pour la Coupe du monde 1938.

L’Olympique de Marseille champion de France 1937. Weiskopf est accroupi, avant-dernier sur la droite. A sa gauche, Eisenhoffer.

Même sa naturalisation en mars 1938 – dans une équipe comptant de nombreux joueurs étrangers – ne convainc pas les dirigeants marseillais. Weiskopf est cédé à Metz en échange de 70 000 francs. Un mal pour un bien, car Weiskopf va se révéler pleinement en Moselle. A tel point que le sélectionneur national Gaston Barreau (1883-1958) va le convoquer pour les matchs du 22 janvier 1939 contre la Pologne et du 16 mars 1939 contre… la Hongrie.

Une histoire française

Weiskopf ne joue pas contre la Pologne et l’équipe de France l’emporte de fort belle manière par 4 buts à 0. Si bien que la presse nourrit de grands espoirs au moment de rencontrer la Hongrie, une des meilleures équipes du continent et finaliste de la dernière Coupe du monde. L’enthousiasme ne suffit malheureusement pas et les Français ne réussissent le match nul (2-2) que sur un but miraculeux de Oscar Heisserer (1914-2004) dans les dernières minutes.

Mais surtout, Weiskopf manque deux belles occasions en première mi-temps, dont « un but tout fait, tout cuit, tout préparé » selon Jacques de Ryswick (L’Auto du 17 mars 1939). Accablé par le public du Parc des Princes, le joueur sort profondément meurtri de ce match contre son ancienne patrie. Dans L’Auto du 18 mars, Maurice Pefferkorn (1884-1953) affirme que la sélection de Weiskopf contre la Hongrie était une mauvaise idée : « il est à noter que Weiskopf est un ancien joueur hongrois naturalisé », écrit Pefferkorn. Avant de poursuivre : « il est bien possible qu’il ait éprouvé quelque gêne instinctive à jouer contre ses anciens compatriotes. » Cette prévention expliquant donc sa mauvaise performance.

Citoyen français, Weiskopf est mobilisé en septembre 1939. Placé en garnison près de Paris, il s’engage en novembre 1939 avec le Racing où il se lie vraisemblablement d’amitié avec l’international français d’origine sénégalaise Raoul Diagne (1910-2002). Le 5 mai 1940, Weiskopf est sur la pelouse du Parc des Princes et participe à la victoire des Pingouins contre… l’Olympique de Marseille (2-1).

Cinq jours plus tard, les armées allemandes entament leur offensive à l’Ouest. Fait prisonnier puis libéré, Weiskopf réussit à rejoindre la zone non occupée. A la fin de l’année 1940, il est à Marseille où il retrouve à nouveau Eisenhoffer et Donnenfeld.

Sans doute pour échapper aux persécutions antisémites, Weiskopf change à nouveau de nom. Il se fait désormais appeler Virage. Et cela ne passe pas inaperçu, comme le révèle un encart de L’Auto du 10 janvier 1941 : « Quel est donc ce nouvel avant-centre marseillais, au nom inconnu des plus « calés » parmi les experts du football français ? Virage ? Aviez-vous jamais entendu cela ? Ne cherchez pas. Virage est une vieille connaissance, que vous avez vu opérer une fois dans l’équipe de France, au poste d’extrême gauche, en face de la Hongrie. Vous y êtes ? Pas encore ? Virage est le nouveau nom français de Weiskopf démobilisé récemment comme caporal chef après avoir fait toute la guerre sous l’uniforme de notre pays. Adieu, Weiskopf… et va donc pour Virage. »

Une sale histoire

Edmond Virage – puisque c’est ainsi qu’il faut désormais l’appeler – joue dans les rangs de l’Olympique de Marseille lors des saisons 1940-1941 et 1941-1942. Mais l’arrivée, en avril 1942, de Joseph Pascot (1897-1974) à la tête du Commissariat général à l’Education générale et aux Sports va à nouveau bouleverser la vie de Virage. En effet, lors de la saison 1942-1943, le nombre de professionnels par équipe va être limité à sept. Dès lors, Virage prend la décision de quitter Marseille et de rejoindre – avec son ami Raoul Diagne, replié depuis 1940 à Toulouse – Annecy, où un club professionnel est mis sur pied.

L’effectif professionnel du FC Annecy, saison 1942-1943. Diagne est debout, troisième en partant de la gauche. Weiskopf est accroupi, à l’extrême-droite.

Bien lui en prend puisque, suite au débarquement allié en Afrique du Nord, les armées allemandes et italiennes occupent la zone non occupée en novembre 1942. Alors que les Allemands s’installent à Marseille où, dès janvier 1943, ils organisent avec l’aide de la police française une grande rafle dans le Vieux-Port, les Italiens prennent le contrôle d’Annecy.

A Annecy – paisible cité sise au bord d’un lac et qui exerça une si profonde influence sur la mythologie de Patrick Modiano –, Virage et Diagne gèrent un bar appelé « Le Coup Franc ». Lorsque le professionnalisme est finalement aboli par Joseph Pascot en juin 1943, les deux compères refusent d’intégrer l’équipe fédérale Grenoble-Dauphiné. Ils débutent donc la saison 1943-1944 dans la peau d’amateurs à Annecy. Ils sont rejoints par Donnenfeld, qui se fait désormais appeler Donny, au début de l’été 1943.

Mais les Alliés progressent en Méditerranée. Et après l’Afrique du Nord, les voici en Sicile. Mussolini est déposé et l’Italie signe un armistice en septembre 1943. Les Allemands occupent Annecy. Virage n’a que le temps de jouer quelques matchs avant de disparaître.

C’est que la police allemande, aidée de la Milice française, est venue frapper à sa porte. Il a fallu fuir. Avec son épouse Catherine, avec son fils de quatre ans Ronald, avec son ami Donny. Pour la Suisse, si proche ? Non, aussi étrange que cela puisse paraître, pour la région parisienne. Virage y a des amis qui peuvent les cacher.

Une histoire parisienne

A la Libération, dès les premiers jours de septembre, on retrouve « Eddy Virage » sur les terrains de région parisienne. Au Red Star, avec André Simonyi (1914-2002), international français d’origine hongroise. Avec Donny, aussi. Toujours. André et Eddy sont en cheville pour la gestion d’un restaurant dans la capitale. Donny tient un bar dans lequel, à l’occasion de la rencontre France-Autriche (3-1) du 5 mai 1946, il reçoit Jules Rimet (1873-1956), président de la FIFA et de la FFFA, Norbert Bischoff (1894-1960), « ministre d’Autriche à Paris », et l’ensemble de la délégation autrichienne. Jusqu’en 1946, Eddy, André et Donny jouent tous les trois pour le Red Star.

L’Equipe du 7 mai 1946.

Puis leurs chemins se séparent : André part à Rennes (avant de revenir au Stade Français), tandis qu’Eddy intègre le Maccabi de Paris. Donny reste avec Eddy pour quelques matchs, notamment lors d’une tournée à Vienne en juillet 1946. Mais en 1949, alors qu’Eddy est toujours lié au Maccabi, Donny tente l’aventure dans la ligue-pirate colombienne : la Dimayor. Et puis un nouvel enfant naît, François, en 1950, et sans doute Eddy met-il alors le football entre parenthèses. Il se lance dans l’activité textile et mène surtout une existence apaisée, loin des ivresses du football et des dangers de la guerre.

Littérature

– Pierre Delaunay, Jacques de Ryswick, Jean Cornu et Dominique Vermand, 100 ans de football en France, Editions Atlas, 1986.
– Jean-Michel Cazal, Pierre Cazal, Michel Oreggia, L’intégrale de l’équipe de France de football, First Editions, 1998.
– Catherine Nicault, François Virag et Ronald Virag, « Edmond Virag, dit Eddy Weiskopf, international de football », Archives juives, 2008/2, vol. 41, pages 141 à 145.
– Nathan Menez, « Le désordre du football français sous Vichy », lecorner.org, 1er juillet 2020.

Photo de couverture : Weiskopf retrouve les copains dans son restaurant du quartier de la Madeleine, décembre 1947. De gauche à droite, Edmond Weiskopf, Larbi Ben Barek (1917-1992), André Simonyi, Jean Grégoire (1922-2013). Ces trois derniers jouent alors pour le Stade Français.

10

76 réflexions sur « Edmond Weiskopf (1911-1996), une histoire de copains »

  1. Marton Bukovi, c’est un peu le fil rouge de ce site. On en a parlé au Partizan puisque c’est lui qui repositionne Bobek. Dans le texte sur Koudas puisqu’il essaie de l’attirer à Olympiakos. C’est lui qui crée le joueur fantastique qu’était Hidegkuti au MTK. Aujourd’hui dans ton texte…

    1
    0
    1. C’est un peu le fil rouge du XXe siècle…
      Un grand stratège du foot danubien, auquel le Onze d’or doit beaucoup. Et on sait ce que le football (européen et mondial) doit au Onze d’or hongrois…

      1
      0
  2. Merci Bobby. A propos de Donnenfeld, il semble qu’il ait rejoint la Colombie dès (avant ?) le lancement de la ligue pirate dite de l’El Dorado. Federico Donnenfeld est même à la tête des cafeteros pour la Copa América 1949.

    1
    0
    1. Merci du complément. Et voilà qui change un peu la perspective. Je le voyais simplement courir derrière le pognon. Mais peut-être avait-il une autre motivation ? Avait-il des contacts en Colombie ?

      1
      0
      1. Je vais voir si je trouve quelque chose mais ce n’est pas gagné. Sur RSSSF, il est mentionné qu’il est Argentin. Est-il passé par Buenos Aires et est-ce la grève de 1948 qui le fait migrer en Colombie comme tant d’autres joueurs argentins ?

        1
        0
      2. Besoin d’aide? L’Agence Touriste est là.

        Donnenfeld avait de la famille en Colombie. Son père y a émigré quand le Fritz avait 15 ans. La mère et la soeur ont suivi ensuite. Lui est resté pour poursuivre son aprentissage et jouer au foot.

        1
        0
      3. Intéressant : entraineur de Junior Barranquilla de 1951 à 1953 à la suite de Tim, Donnenberg fait venir en Colombie Béla Sárosi (le frère de György), Ferenc Nyers (frère d’Istvan et futur Stéphanois), Imre Danko (ex-RC Lens), Béla Majtényi (qui faisait partie de la tournée en Espagne des réfugiés hongrois en 1950 avec Kubala, une équipe qui jouera également en Colombie fin 1950) et László Szőke (futur RC Paris et plusieurs clubs italiens). Durant ses 3 années à Barranquilla, Donnenberg a également coaché le grand gardien El Caíman Efraín Sánchez. La fin de l’El Dorado est probablement à l’origine de son retour en Europe en 1953.

        Les Hongrois profitent pleinement de l’El Dorado puisque par exemple, le grand buteur et finaliste de la CM 1938 Gyula Zsengellér entraine le Deportivo Samarios avec une colonie de compatriotes de second rang dont György Marik est le plus connu (il fait également partie de l’équipe de réfugiés de l’Est).

        @Guy, tu veux dire que Donnenberg rejoint sa famille déjà réfugiée en Colombie ?

        1
        0
      4. Émigrée plutôt que réfugiée, je pense. Parce que niveau dates, sa famille a dû quitter Vienne à la fin des 20’s. J’ignore si ses parents étaient encore vivants en 49 (on peut penser que sa sœur l’était) et s’ils vivaient du côté de Barranquilla.

        2
        0
      5. Il assure, ce Poster ! Et ça m’arrache bien la gueule de l’écrire. Merci pour les infos.

        1
        0
      6. Avec tout ce qu’il a traversé, je ne peux m’empêcher de penser aux émotions du bonhomme au moment de retrouver ses proches (enfin, s’il en avait encore à ce moment là).

        1
        0
  3. Lu ce que j’ai pu en promenant chien-chien dans les bois..et je suis déjà estomaqué, tu tues le game, Bobby!

    (ma première réaction fut toutefois « encore du Modiano? ») Bref..

    Déjà dire que ton style classique et méthodique n’était sans doute pas de trop pour retracer tels chassés-croisés, bravo.

    Et alors de premières questions :

    « Pourtant, il a un défaut : il ne sait pas très bien feinter l’homme qui le marque. »…….. ==> L’importance prêtée par Paris-Soir à l’art de la feinte suggère l’idée d’un jeu au fond plutôt statique ; dans un jeu davantage fondé sur le mouvement, j’ai en tout le sentiment que cette lacune n’eût à ce point paru « rédhibitoire », handicapante…… Tu as pu visionner de ces matchs? Ton sentiment? Des liens?

    J’ignorais que Bukovi était passé par la France, un très grand nom de la culture-jeu européenne, merci.

    Je trouve la formulation de Pefferkorn sensible et élégante, pour mettre en avant la magyarité de Weiskopf – les extraits que tu nous relaies gentiment témoignent que les journalistes pouvaient se montrer particulièrement acides déjà mais, dans le cas d’espèce, sur cette question qui reste d’actualité, d’aucuns gagneraient à s’inspirer de Pefferkorn dans la presse contemporaine.

    L’encart de L’Auto du 10/01/41 est, rétrospectivement certes, assez hallucinant……….. Weiskopf était alors en zone libre, certes, mais difficile de faire plus « criminel » à moins de contacter directement le SOL, c’est dingue.

    Et donc les Italiens occupent ensuite la Savoie – tu me l’apprends, merci………. Mais là je ne comprends pas trop : « refusent d’intégrer l’équipe fédérale Grenoble-Dauphiné »??

    Quand tu précises « équipe fédérale », c’est fédération..française ou italienne?? Je ne pige pas.

    Je lis la suite, puis relis le tout, après en avoir fini de mon barbec et du vin qui va avec. Mais déjà un grand bravo, fortiche.

    1
    0
    1. « encore du Modiano?  »
      Oh ! oui, encore, encore, et encore…

      « Tu as pu visionner de ces matchs? »
      Non. Je doute qu’il existe des archives vidéo de Weiskopf. A priori, valait mieux le lancer que lui donner la balle dans les pieds…

      « J’ignorais que Bukovi était passé par la France »
      Bukovi est le demi-centre stratège du grand FC Sète, champion et vainqueur de la Coupe en 1934. J’en parle le 3 juin.

      « Je trouve la formulation de Pefferkorn sensible et élégante »
      Oui, ça va. Même si l’explication est un peu facile et, dans le contexte de l’époque, pas très valorisante… Quelques jours plus tard, toujours dans L’Auto, Lucien Dubech (également journaliste à L’Action Française) sera moins diplomate.

      L’encart de L’Auto est assez incroyable, en effet. Mais il semble fait sans aucune malignité, une simple information. Qui lisait alors L’Auto ? Qui connaissait Weiskopf ? Dans quelle mesure cet encart le mettait-il en danger ? A priori pas beaucoup, puisqu’il ne bouge pas de Marseille. De toute façon, il ne bouge que lorsque les polices française et allemande viennent frapper à sa porte !

      Avec l’opération Torch (débarquement allié en Afrique du Nord), les forces de l’Axe occupent la zone « no-no » (prétendument libre). Les Italiens qui, jusqu’alors, n’occupaient qu’une petite frange de territoire, envahissent la Corse et les Alpes. C’est une aubaine pour Weiskopf, qui est à Annecy : les Italiens mènent une politique antisémite beaucoup moins hargneuse que celle des Allemands (il faut lire « Un sac de billes » de Joseph Joffo, qui évoque notamment son passage à Nice). Mais, le 3 septembre 1943, l’Italie signe l’armistice avec les Alliés. Les Allemands envahissent alors la zone d’occupation italienne. Pour Weiskopf, il faut fuir ! Sous peine de passer par Drancy… Très excellente série de cartes, ici : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/3/3c/FranceOccupee.jpg

      En 1943, Pascot interdit le professionnalisme et met sur pied des équipes fédérales avec d’anciens professionnels devenus des « fonctionnaires-moniteurs » : Bordeaux-Guyenne, Nancy-Lorraine (avec surtout des anciens du FC Sochaux), Grenoble-Dauphiné, etc. Très bon résumé, ici : https://lecorner.org/le-desordre-du-football-francais-sous-vichy/

      1
      0
      1. Concernant cet encart de L’Auto, j’ai toujours confusément à l’esprit l’idée que cette publication sportive, la plus lue de France avant-WW2??, était plutôt voire fort droitarde (?), voire..

        Là je fais fissa mais j’entrelis qu’à compter de juillet 41 il passe sous la direction de certain Lejeune, pas vraiment Résistance-friendly, puis semble-t-il tombé (progressivement? brutalement? en général, ce genre de glissement est insidieux) sous la coupe de la propagande nazi..??

        L’encart est certes antérieur, janvier 41..mais peut-être le ver était-il déjà dans le fruit?

        Ceci dit, oui : rien de ce texte ne permet de juger de sa malignité ou pas.

        1
        0
      2. L’Auto a toujours été marqué à droite. De Desgrange l’antidreyfusard, ouvrant ses colonnes à Barrès, à la complaisance avec les idées maurrassiennes (Dubech).

        Concernant l’odeur de décomposition, la puanteur antisémite, xénophobe, voire fasciste, qui pouvait émaner de L’Auto dans les années 39-40, c’est malheureusement le cas d’une bonne part de la presse, de la vie politique, de l’opinion publique françaises de cette époque.

        1
        0
  4. Merci bobbyschanno pour cette remarquable contribution.

    J’ai pris plaisir à te lire tout en apprenant sur le football de l’époque. Je suis d’ailleurs surpris de la qualité des écrits des journalistes, qui faisaient à priori l’effort d’une écriture agréable et d’une analyse des matchs poussée.

    Au plaisir de te lire de nouveau.

    1
    0
      1. La précision qu’il s’agit d’un running-gag est évidemment fort malvenue et, pour tout dire, assez inélégante. J’aurais plutôt dit que c’est là l’expression pure et simple de la vérité.
        J’ai fait mieux, mais celui-ci n’est pas tout à fait mauvais.

        2
        0
      2. Rien ne peut surpasser M’Bappé au Pau FC. Un chef d’œuvre littéraire révélant un talent d’historien au service du journalisme d’investigation.

        1
        0
      1. Moi je plains les mecs qui n’ont jamais lu Philip K. Dick, Jean Ray ou William Irish, qui regardent des films sur un écran de 17 pouces et qui écoutent des 78 tours sur un mange-disques Teppaz ou sur un transistor Pizon Bros !

        2
        0
      2. Des auteurs de sous-genre.
        De la véritable littérature de gare.

        1
        1
      3. Le Nobel c’est comme les Oscars, les Césars, les Goncourt, ça ne prouve rien. Proust a-t-il jamais eu le Goncourt ?

        2
        0
      4. C’est bien ce que je pensais, t’as des goûts de chiottes !

        2
        0
      5. Aaaaargh!!!

        Mes chers Borges et Proust n’ont jamais reçu ton prix-bébel, à l’ouche comme on dit à Lidje.

        Jamais lu Modiano, mais mon mentor en littérature française le tenait en très haute estime. Son seul tort selon lui : il parlait aussi mal qu’il n’écrivait bien, et pensait que cela le desservait..sauf pour le Nobel apparemment.

        1
        0
      6. Proust, de la merde..

        Je parlais des choses de la vie avec mon aînée, sacrilège

        1
        0
      7. Patrick Modiano, La place de l’étoile, 1968 : « Oui, je dirige le complot juif mondial à coups de partouzes et de millions. »

        Né dans les mois qui suivirent la Libération, Modiano est hanté par l’Occupation. Son premier roman, publié à 23 ans, s’inspire donc en grande partie de cette période.

        On y découvre un anti-héros, figure protéiforme rongée par la haine de soi, qui se moque de lui-même et accepte tous les outrages pour survivre en milieu hostile. Juif judéophobe, juif SS, il débite tout le laïus obsessionnel et obsidional des antisémites fanatiques. Sombrant dans le délire à cause de ce questionnement permanent sur son identité, il offre à Modiano, dans une diarrhée verbale où s’étalent d’épaisses couches de confiture (ou de culture ?), l’occasion de pasticher auteurs antisémites, nationalistes et/ou contre-révolutionnaires.

        Ainsi, pas dépourvu d’humour (noir) et de second degré, ce pamphlet provocateur met sous le feu des projecteurs toute la clique des collaborateurs et collaborationnistes français, de Céline « plus grand écrivain juif de tous les temps » à la bande du 93 rue Lauriston. C’est enfin l’occasion pour Modiano d’exprimer, six ans avant Lacombe Lucien, que selon lui l’Occupation fut une période grisâtre où tous les engagements se valaient : « La Milice m’avait déçu. Je n’y rencontrais que des boy-scouts qui ressemblaient aux braves petits gars de la Résistance. Darnand était un fieffé idéaliste. »

        1
        1
      8. Il a écrit ça à 23 ans?? Précoce pour apprécier et restituer les zones d’entre chien et loup.

        Je finirai par le lire, ce que tu en proposes a de quoi rendre moins con.

        1
        0
      9. Patrick Modiano, La ronde de nuit, 1969 : « De toute façon, je n’ai jamais su qui j’étais. »

        Le deuxième roman de Patrick Modiano se déroule à nouveau pendant l’Occupation. Le souvenir de cette époque qu’il n’a pas vécu, les figures de cette « période trouble » ne cessent de le hanter : « Quand ils seront partis, des ombres surgiront et formeront une ronde autour de moi. »

        Alors, dans un délire onirique, dans une apnée cisaillée de phrases courtes et incisives, il fait revivre ce temps révolu. Mais à sa façon : le antihéros du roman multiplie ainsi les aller-retour dans le temps (« je me trouvais déjà à bord du Titanic quand il a fait naufrage ») et dans l’espace (nombreuses promenades dans Paris) en quête de lui-même.

        Ni héros ni salaud, cet anonyme (« je donne à mon biographe l’autorisation de m’appeler simplement « un homme » ») fait partie de la masse grisâtre, sans idéal, paresseuse, indifférente, uniquement mue par la peur. Champion de l’attentisme, personnage fluide, ondoyant, à l’identité floutée, il devient collabo et résistant par hasard, au gré des rencontres, des opportunités, « entraîné dans une sale histoire à [son] corps défendant » : « il suffisait de se laisser porter par le courant », nous apprend-il.

        Modiano nous enseigne ainsi qu’on devient un héros comme on devient un salaud, de la même manière. De toute façon, héros et salauds sont renvoyés dos à dos : les uns idéalistes naïfs, mièvres, dérisoires, les autres demi-mondaines, gangsters et trafiquants sans scrupules. Les deux catégories ne méritent pas qu’on s’y intéresse. Seul l’anonyme (donc n’importe qui : vous ou moi), déchiré par ses états d’âme, qui va droit vers « le martyre ou le sanatorium », retient notre attention : « Je ne suis moi-même qu’un papillon affolé allant d’une lampe à l’autre et se brûlant chaque fois un peu plus les ailes. »

        1
        1
      10. Ca y est : on l’a perdu.

        (tout lu et relu : décidément très bon)

        1
        0
      11. Patrick Modiano, Les boulevards de ceinture, 1972 : « Voici venu le temps des assassins ! »

        Ce dernier roman de la trilogie (non-officielle) de l’Occupation permet à Modiano de développer ses thèmes éternels : la recherche du passé, la quête des origines. Après tout, « on est toujours curieux de connaître ses origines », non ?

        Choc littéraire, cumulant style déjanté et errance onirique, le texte nous entraîne sur « les boulevards de ceinture » où Paris « rejette ses déchets et ses alluvions », à la recherche d’un père, d' »une vieille photo, découverte par hasard au fond d’un tiroir, et dont on efface la poussière, doucement. » Traces évanescentes d’une vie en pointillés, évocation de choses et de lieux disparus, « quelle drôle d’idée, vraiment, de remuer toutes ces choses mortes. »

        Mais le roman est aussi l’occasion de stigmatiser le soi-disant attentisme des années d’Occupation, opposé à un courageux engagement. L’Occupation, période de la veulerie quotidienne, orgie des attentistes, des opportunistes, des profiteurs ! « Il faut se méfier de ces individus brillantinés qui apparaissent souvent aux « époques troubles ». » Et que dire de ce « tennis juif » d’une dégueulasserie à faire pâlir, dont seule la lâcheté permet l’épanouissement !

        Au terme de cette rêverie poétique, qu’il faudra relire et relire encore, se pose toujours la même question : « En quelle année étions-nous ? A quelle époque ? En quelle vie ? » Mais « un père et son fils n’ont sans doute pas grand-chose à se dire ». Si ?

        1
        1
  5. Jacques de Ryswick n’a même pas de fiche wikipedia. Impossible de savoir ses dates de naissance, de décès et de carrière. Entre autres casquettes, il commentait les matchs sur Radio Luxembourg. Quelle voix !

    1
    0
    1. Patrick Modiano, Villa Triste, 1975 : « Lieux ternes, haltes précaires qu’il faut toujours évacuer avant l’arrivée des Allemands et qui ne gardent aucune trace de vous. »

      Une période trouble, un personnage principal traqué, à l’identité voilée, un petit groupe de personnalités interlopes, une ambiance mystérieuse et nostalgique, pleine de non-dit, un style fluide et simple : pas de doute, il s’agit bien d’un Modiano !

      Evocation diaphane du passé, quête de souvenirs, un beau roman à l’écriture subtile et envoûtante. « Il y a des êtres mystérieux – toujours les mêmes – qui se tiennent en sentinelles à chaque carrefour de votre vie. »

      1
      1
    2. Patrick Modiano, Rue des Boutiques Obscures, 1978 : « Dans la vie, ce n’est pas l’avenir qui compte, c’est le passé. »

      Un homme amnésique, « de ceux qui ne laissent sur leur passage qu’une buée vite dissipée », part à la recherche de son identité, sans laquelle il n’est « rien qu’une silhouette claire ».

      Au hasard des rencontres et des trouvailles qui vont et viennent, le héros retrouve les traces fugaces de son passé, des souvenirs qu’on stocke et qu’on oublie, « des lambeaux, des bribes de quelque chose ». « Mais après tout, c’est peut-être ça, une vie ». Ainsi l’intrigue, qui permet à Modiano d’évoquer l’Occupation, se termine en points de suspension, sur un point d’interrogation : qu’il y a-t-il « à Rome, rue des Boutiques Obscures, 2 » ?

      A travers une écriture simple mais saisissante, fluide et épurée, Patrick Modiano nous plonge dans une atmosphère de mystère et de roman policier. Il restitue minutieusement l’enquête à travers des photos de toutes les dimensions, des pages d’annuaires, « une plaque de rue ou une enseigne lumineuse », des conversations plus ou moins enrichissantes, des passeports, un avis de décès, un extrait d’acte de naissance, des fiches de police, etc.

      1
      0
    1. Patrick Modiano, Livret de famille, 1977 : « Comment retrouver les traces de cette vie antérieure ? »

      Etonnant kaléidoscope dont chaque vignette est comme une page d’un album de famille, le roman de Patrick Modiano nous entraîne dans une promenade dans le temps et dans l’espace à la recherche de personnages fugaces, de fantômes issus d’un passé brumeux et qui ressurgissent au coin des rues, au hasard des souvenirs. « Pourquoi voulez-vous remuer le passé ? […] Vous ne pouvez pas nous laisser tranquilles une bonne fois pour toutes ? » questionne une de ses ombres fugitives qui, en s’en allant, laisse « une vague forme humaine, une buée qui allait se dissiper d’un instant à l’autre. »

      Pourquoi ? Parce que, confie l’auteur, « j’ignore en effet où je suis né et quels noms, au juste, portaient mes parents lors de ma naissance. » C’est donc à une quête d’identité que se livre Patrick Modiano, dans un récit bouleversant et d’inspiration autobiographique. Il lui faut reconstituer ces traces du passé, comme un puzzle, afin de construire un récit de sa vie – quitte à laisser parler son imagination : « il suffisait de rêver sur les deux ou trois éléments dont je disposais comme l’archéologue qui, en présence d’une statue aux trois quarts mutilée, la recompose intégralement dans sa tête. »

      C’est alors que défilent ces personnages troubles, aux noms étranges, aux faux noms, aux prête-noms, c’est une étrange société qui se manifeste tantôt à Paris, tantôt à Biarritz, à Nice, en Suisse, en Tunisie ou à Rome où « les choses finissent plutôt qu’elles ne commencent ». Mais le rêve des contrées lointaines n’est jamais bien distant, ainsi en est-il d’un supposé voyage en Chine, ou de cet instant en Tunisie : « on entendait le ressac de cette mer et le vent m’apportait les derniers échos d’Alexandrie et de plus loin encore, ceux de Salonique et de bien d’autres villes avant qu’elles n’aient été incendiées. » Des lieux hantés par les souvenirs, par des fantômes : « halls d’hôtels désaffectés de pays lointains où flotte un parfum d’exil et où viennent échouer les êtres qui n’ont jamais eu d’assise au cours de leur vie, ni d’état civil très précis. »

      Quête d’identité, rues de Paris, appétence pour « tous les papiers officiels, diplômes, actes notariés, arbres généalogiques, cadastres, parchemins, pedigrees… » : pas de doute, Livret de famille est bien un Modiano. Et puis il y a l’Occupation, obsession modianesque par excellence : « les quelques années qui comptent tant pour moi, bien qu’elles aient précédé ma naissance. […] L’odeur vénéneuse de l’Occupation, ce terreau d’où je suis issu […]. Sans cette époque, sans les rencontres hasardeuses et contradictoires qu’elle provoquait, je ne serais jamais né. »

      Obsession poisseuse, qui colle à la peau, que l’auteur essaie d’assouvir pour s’en débarrasser : « ma mémoire précédait ma naissance. J’étais sûr, par exemple, d’avoir vécu dans le Paris de l’Occupation puisque je me souvenais de certains personnages de cette époque et de détails infimes et troublants, de ceux qu’aucun livre d’histoire ne mentionne. Pourtant, j’essayais de lutter contre la pesanteur qui me tirait en arrière, et rêvais de me délivrer d’une mémoire empoisonnée. J’aurais donné tout au monde pour devenir amnésique. »

      Finalement, au terme de ce surprenant voyage, le mot tombe tel un couperet : « je me souviens de tout. »

      1
      1

Laisser un commentaire