Coupe d’Asie 1964 : l’Inde entre joie et goût d’inachevé

Entre format étrange et vraies prouesses, voici l’histoire de la plus grande performance de l’histoire du football indien.

Malgré plus d’un milliard d’habitants, le niveau footballistique de l’Inde laisse franchement à désirer. L’un des plus grands pays de la planète n’est jamais parvenu à se qualifier pour une Coupe du monde. Pire, son palmarès en compétitions internationales est presque vierge. Pourtant, en 1964, les Blue Tigers ont réalisé une performance qu’ils n’ont jamais égalé depuis en décrochant la deuxième place lors de la Coupe d’Asie des Nations.

Qu’a-t-il bien pu se passer pour que l’Inde figure tout à coup parmi les meilleures équipes de son continent ? L’Inde avait-elle une génération particulièrement douée ? La réponse se trouve en partie hors du terrain. Car, au-delà du talent de l’entraîneur britannique Harry Wright ou du niveau des footballeurs indiens, la géopolitique a fait une bonne partie du travail.

Un parcours sans faute en qualifications

Les qualifications pour la Coupe d’Asie des Nations 1964 reflètent bien plus la situation politique de l’époque que le niveau footballistique du continent. Israël, le pays hôte, est qualifié d’office. Mais la perspective d’un déplacement dans l’Etat juif pose des problèmes politiques pour plusieurs pays. Pour eux, il est hors de question de se rendre dans un pays qu’ils ne reconnaissent pas, et tant pis pour le football. Dans le groupe Ouest des qualifications à la Coupe d’Asie, l’Iran, le Sri Lanka et l’Afghanistan accompagnent l’Inde. Mais ces trois pays se retirent de la compétition sans disputer le moindre match, propulsant les Blue Tigers en phase finale sans avoir eu le temps de transpirer.

La situation est similaire dans d’autres groupes de qualification. Dans la zone Centre 1, la Birmanie, Singapour et le Pakistan se retirent, laissant la Malaisie seule et finalement reversée dans le groupe Centre 2, où le Cambodge et l’Indonésie font défaut, mais où la Thaïlande, Hong-Kong et le Sud-Vietnam restent en lice. Enfin, dans le groupe Est, c’est la très politique question de l’existence de Taïwan qui pose problème. Les Philippines et la Chine déclarent ainsi forfait, tandis que le Japon se retire de la compétition pour des raisons financières. Ces abandons laissent la Corée du Sud, championne d’Asie sortante, défendre son titre en Israël sans passer par des qualifications.

Après des qualifications tronquées, la phase finale peut avoir lieu sous la forme d’une poule unique, lors de laquelle les matchs sont disputés en 80 minutes. Outre Hong-Kong, seul pays s’étant qualifié sur le terrain mais Petit Poucet annoncé, la compétition s’annonce rude pour remporter le tournoi. Israël est une équipe solide, avantagée par l’organisation des matchs à domicile. La Corée du Sud est championne d’Asie et a des moyens à faire valoir. L’Inde, de son côté, s’avance avec des certitudes et une grosse interrogation.

Une préparation compliquée

Les Blue Tigers ont remporté les Jeux d’Asie deux ans plus tôt et leur équipe figure parmi les meilleures du continent depuis près d’une décennie, sous l’impulsion du sélectionneur Syed Abdul Rahim, alors réputé pour ses bonnes connaissances tactiques et sa discipline de fer. Lors des Jeux d’Asie, l’Inde a battu la Thaïlande, le Japon, le Sud-Vietnam et la Corée du Sud pour s’adjuger la médaille d’or. La sélection peut compter sur des joueurs comme Peter Thangaraj (élu meilleur gardien d’Asie en 1958), le défenseur Jarnail Singh, ou encore l’attaquant et joueur de cricket Chuni Goswani dans sa quête de victoire continentale. Mais la sélection doit aussi compter avec le décès de son sélectionneur à 53 ans, des suites d’un cancer.

Pour disputer la Coupe d’Asie des nations, c’est le Britannique Harry Wright qui est désigné. L’homme, entraîneur reconnu par la FA, connaît bien l’Inde puisqu’il y officie comme formateur auprès des entraîneurs locaux dans l’Institut national du sport, à Patiala. Harry Wright n’est pas connu qu’en Inde. Ancien gardien, il a tenu pendant trois ans les cages de Charlton et est aussi passé par Derby County ou encore Colchester United. Il compte même une sélection avec les Three Lions. Il entraîne même Everton en First Division en 1956. En 1964, il reconduit 10 joueurs vainqueurs des Jeux d’Asie dans le groupe de 19 qu’il emmène en Israël, bâtissant une équipe qui marie expérience et jeunesse.

Le matin de leur entrée en lice, les Blue Tigers subissent un nouveau coup de bambou : lorsqu’ils se lèvent pour préparer leur rencontre face à la Corée du Sud, ils apprennent que leur Premier ministre, Jawaharlal Nehru, est décédé. Le choc est grand et la sélection indienne demande à reporter le match. La requête est rejetée par les organisateurs, sous prétexte que le calendrier de la compétition est trop serré. Les joueurs indiens confirmeront par la suite avoir eu toutes les peines du monde à se concentrer sur le match. Ils s’imposent malgré tout (2-0) et lancent leur compétition de la meilleure des manières.

A deux doigts du sacre

Israël, qui a battu Hong-Kong, est le deuxième adversaire de l’Inde. Nul ne sait si les Blue Tigers avaient eu le temps de se remettre de l’annonce du décès du chef du gouvernement, mais les locaux ont pris le dessus (2-0), prenant une option sur la victoire finale.

Hong-Kong, dernière étape du périple indien en Israël, est battu (3-1) et les Blue Tigers doivent attendre 24 heures pour connaître leur classement final. La dernière rencontre, entre Israël et la Corée du Sud, déterminera le vainqueur de la Coupe d’Asie. En cas de victoire coréenne, l’Inde, la Corée et Israël seraient à égalité de points, mais les Indiens auraient une meilleure différence de buts. Les Coréens doivent l’emporter par plus de deux buts d’écart pour devenir champions d’Asie. Israël met fin à tout suspense en marquant deux fois en première mi-temps et s’impose finalement 2-1, remportant le titre continental.

Pour l’Inde, la déception est grande. Harry Wright est vivement critiqué pour sa gestion de l’équipe, ses choix tactiques ayant été l’objet de nombreuses interrogations au pays. Pire, il n’aurait pas été en mesure de faire régner la discipline au sein du groupe. Le coach britannique est limogé et l’Inde, passée tout près d’un exploit continental, quitte le devant de la scène footballistique. Peut-être bien pour toujours.

10 réflexions sur « Coupe d’Asie 1964 : l’Inde entre joie et goût d’inachevé »

    1. L’ISL a été lancée comme une ligue fermée, laissant le championnat indien originel dans l’ombre et à la limite du professionnalisme.
      L’ISL n’ayant pas réussi à faire boule de neige et à conserver des grands noms, ça fait 1 an ou 2 qu’elle est devenue la première division, tandis que l’ancienne D1 est devenue D2. Mais comme il y a désormais un système classique de promotion-relégation et pas beaucoup plus d’engouement, on peut conclure que leur tentative a échoué.

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  1. L’Inde, qui vient d’ailleurs de perdre son immense Sunil Chhetri, qui a décidé, à presque 40 ans, 151 sélections et 94 buts, de se retirer de la sélection nationale. Incroyable de se dire qu’il est le 4ème buteur mondial en sélection derrière Ronaldo (le Portugais), Ali Daei et Messi.

    Les Blue Tigers n’iront pas plus loin également dans leurs qualifications pour le mondial 2026, après leur défaite hier soir 2-1 contre le Qatar, couplée à la victoire du Koweït 1-0 face à l’Afghanistan, ils sont déjà éliminés :
    https://en.wikipedia.org/wiki/2026_FIFA_World_Cup_qualification_%E2%80%93_AFC_second_round#Group_A

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  2. Pendant une quinzaine d’années, à partir de son indépendance, l’Inde obtient des résultats honorables. En tout cas, elle existe sur la carte du football mondial.

    En témoignent, donc, ses performances dans les compétitions continentales. Mais aussi dans les compétitions olympiques.
    En 1948, les Indiens pieds-nus tiennent tête aux Français (1-2) avant d’être submergés par les magnifiques Yougoslaves en 1952 (1-10). En 1956, l’Inde atteint la quatrième place après avoir battu le pays hôte. En 1960, les footballeurs indiens rivalisent avec la Hongrie (1-2), le Pérou (1-3) et surtout la France (1-1). C’est plus qu’honorable.

    L’Inde est même passé à deux doigts d’une participation à la CdM au Brésil. Contrairement à une légende tenace, elle ne fit pas le déplacement non parce que la FIFA interdit aux footballeurs indiens de jouer pieds-nus. Mais parce que le voyage coûtait cher, et que les pouvoirs sportifs indiens ne juraient encore que par les JO. En 1950, la CdM n’avait pas le même prestige qu’aujourd’hui : financer le voyage jusqu’à Londres, Helsinki, Melbourne ou Rome pour disputer les Jeux, oui ; financer le voyage jusqu’à Rio pour jouer la CdM, non !

    Et puis, à partir des années 1960, le football indien périclita. Pourquoi ? No lo se.

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  3. La géopolitique a joué un grand rôle dans la qualif de la Corée du Nord. Déjà, l’ensemble des pays africains, qui devaient se partager une place avec l’Asie, a déclaré forfait. Ensuite la Corée du Nord verra sa rivale du Sud déclarer également forfait, pour n’avoir que l’Australie à battre.
    Mais son passage en Angleterre fut brillant.

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  4. Inde et Israël. Voilà quelque chose de très original. L’un des plus grands joueurs indiens est P.K. Banerjee mais je ne suis pas sûr qu’il ait disputé cette coupe d’Asie 1964.
    Comme vous êtes des gens très perfectionnistes, je me permets d’indiquer que l’entraîneur est Harry Wright (et non White). Pour s’en rappeler il faut penser à Ian. J’ai le même problème avec le buteur d’Aston Villa en finale de C1 1982. C’est Peter Withe et non Peter White.
    Un peu d’infos peut-être pas si connues que cela sur la Corse : il y a généralement une grande amitié entre les corses et la communauté juive. Cela a plusieurs origines comme le fait que Paoli a autorisé des juifs à venir en corse en leur donnant beaucoup de libertés et droits. Mais surtout la corse est le seul territoire de France où il n’y a eu aucune dénonciation (et une seule déportation par erreur) pendant la deuxième guerre mondiale. Il avait été proposé de donner le nom d’île des justes à la Corse.

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      1. Bel exercise à penser. Les moyens mnémotechniques sont importants. Par exemple, tout le monde connaît les Pom-pom girls. Mais pour Bastia, il faut penser aux POM boys : Papi-Orlanducci-Marchioni.

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  5. Merci pour l’article.

    Et que faut-il pour (re)lancer une scène de football?? En dépit d’investissements absolument délirants, du jamais vu en termes d’ingénérie : la Chine vient de s’y casser les dents………… La recette a l’air bien compliquée..

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