Conférence sur le centenaire du Tournoi de Colombes

Invité grâce à la notoriété sans cesse croissante de Pinte2foot, j’ai pu accéder à la conférence commémorative consacrée au centenaire du Tournoi de Colombes qui s’est tenue au siège de la Fédération Française de Football mardi 4 juin en soirée. Organisé par la FFF et l’Ambassade d’Uruguay en France, l’événement visait à célébrer les organisateurs français et l’équipe championne, l’Uruguay. Et qui mieux que Pierre Arrighi, historien du football – entre autres – bien connu de nos lecteurs, pour conter et illustrer ce qu’était notre sport préféré dans les années 1920 en Europe et dans les Amériques ?

Combien de fois suis-je passé devant le 87 boulevard de Grenelle, bâtiment tout en angles droits en contrebas de la ligne 6 du métro parisien et sanctuaire de la FFF depuis 2007 ? Pour la première fois, j’avais l’occasion de voir autre chose que les étranges bas-reliefs métalliques ornant la façade, vestiges d’une époque où le lieu abritait le Centre technique de l’aluminium, une incongruité au cœur d’un quartier résidentiel plutôt chic. Restauré grossièrement dans les années 1980, l’immeuble était devenu le siège du voyagiste Nouvelles Frontières mais avait perdu extérieurement l’essentiel de ses caractéristiques Art déco, les bas-reliefs exceptés. En pénétrant dans le temple de la FFF, je pus constater qu’il ne restait rien de la décoration initiale : les gravures sur pierre et les fresques murales exaltant les beautés de l’industrie métallurgique ont disparu au profit d’objets et d’illustrations à la gloire des Bleus.

Un peu impressionné, je m’installai discrètement dans les rangs du fond de l’auditorium généreusement garni (une centaine de personnes environ). Les mots de bienvenue de Laura Georges, ancienne footballeuse internationale et désormais secrétaire générale de la FFF, m’apparurent au mieux laborieux, au pire inconsistants[1]. Monsieur l’ambassadeur d’Uruguay en France, Jorge Luis Jure Arnoletti, produisit ensuite un discours introductif d’une grande justesse, insistant sur l’apport de la vision universaliste de la France appliquée au sport et dont Coubertin fut le zélé représentant. Sans trop en dévoiler, il venait de nous livrer une des clés de la victoire de la Celeste en 1924. Son intervention s’acheva sur la lecture de quelques mots de remerciements du ministre des sports uruguayen.

Mais si j’étais là, c’était pour écouter Pierre Arrighi dont j’avais déjà lu Trois naissances du championnat du monde et quelques autres publications, ainsi que Lorenzo Jalabert d’Amado, docteur en histoire contemporaine et auteur d’une thèse intitulée Aux origines de la Coupe du monde de football, Montevideo 1930. Culture de masse, usages politiques du sport et construction nationale (2021, Université Paris III).

Laura Georges depuis Valenciennes, Lorenzo Jalabert, Pierre Arrighi, Monsieur l’ambassadeur et Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS.

L’influence de la victoire uruguayenne sur le football français de 1924 à 1939

A propos de l’intervention de Pierre Arrighi, je ne m’étendrai pas puisqu’il nous fera l’honneur et l’amitié de nous livrer son texte et ses illustrations, la parution sur notre site étant planifiée le 9 juin prochain pour le centenaire de la finale des Jeux de 1924. Retenez toutefois que sa démonstration fut méthodique, illustrée et implacable : la dimension et la valeur mondiales du tournoi 1924 de Colombes ne peuvent être niées. Je n’en dis pas plus et me contente de vous inviter à le lire, vous ne serez pas déçus !

Pierre Arrighi s’attachant à démontrer le caractère universel du football aux JO 1924.

Lorenzo Jalabert lui succéda et s’efforça de répondre à la question suivante : quelles furent les conséquences de la victoire olympique uruguayenne sur le football français entre 1924 et 1939 ?

La première partie consista à décrire la love-story entre cette puissante Celeste, vainqueur de quatre des sept premiers championnats sudamericanos mais inconnue en Europe, et les Français. Outre le spectacle proposé, les artistes uruguayens firent tout pour être appréciés de leurs hôtes durant leur séjour à Paris : dépôt de gerbe sur la tombe du soldat inconnu, minute de silence à la mémoire de ceux tombés au champ d’honneur, entrée sur le terrain avec les drapeaux uruguayens et français…

La victoire finale de la Celeste face à la Suisse modifia alors l’échelle des valeurs footballistiques aux yeux des Français : les maîtres britanniques étaient dépassés par les maestros uruguayens. La presse, Gabriel Hanot en particulier, produisit des articles mémorables, exaltant le jeu et le talent des Sud-américains. Dans ses mémoires, Jacques Goddet, journaliste à L’Auto et futur patron de L’Equipe, écrivit : « la France a découvert un football nouveau, un football de rêve, un football poétique, un football chorégraphique, un football d’imagination ».

Lorenzo Jalabert identifia ensuite quatre conséquences de ce triomphe uruguayen sur le football français.

  1. Les clubs sud-américains organisèrent des tournées sur le Vieux continent à partir de 1925 pour répondre à l’attente du public européen, celle du Club Nacional étant la plus emblématique de toutes. Cette même année, il y eut celles de Boca Juniors et du CA Paulistano (avec son crack Friedenreich), celles de Peñarol et Colo-Colo en 1927 et enfin celle de Rampla Juniors en 1929.
  2. Le recrutement de joueurs du Rio de la Plata débuta, Orestes Díaz symbolisant ce phénomène. Remplaçant du Club Nacional lors de la tournée 1925, il s’installa à Paris et devint le capitaine du Red Star vainqueur de la Coupe de France 1928.
  3. Avec l’avènement du professionnalisme en France en 1932, le recours aux joueurs étrangers s’accéléra. Le FC Sochaux, puissance footballistique de premier plan grâce à la famille Peugeot, sollicita tout particulièrement les Uruguayens. Ils furent sept à y évoluer durant les années 1930, entraînés pas Conrad Ross, lui-même Uruguayen.
  4. Enfin, encouragée par les succès italiens, l’Equipe de France sélectionna des Uruguayens d’origine française comme Héctor Cazenave ou Pedro Duhart.
Pedro Petrone et Héctor Scarone (tous deux en blanc) entourent Orestes Díaz.

Peut-être y aurait-il eu une suite si le déclenchement de la Seconde guerre mondiale n’avait pas brutalement distendu les liens entre l’Uruguay et la France.

Il appartint à Lukas Aubin, directeur de recherche à l’IRIS[2], de conclure brièvement, et pour tout dire, je n’ai rien retenu de son propos !

Madame Pain

Au moment des questions – réponses, Pierre Arrighi nous narra le lien qui unit la délégation uruguayenne à Marie Célestine Pain.

Déçus par les conditions de vie du village olympique, les Uruguayens trouvèrent refuge au château d’Argenteuil, propriété de Madame Pain. Dans ce lieu, ils reçurent la diaspora uruguayenne en France, des caricaturistes, des journalistes, des célébrités comme Jules Supervielle… Dans une relation quasi filiale, Madame Pain fit tout pour leur rendre la vie agréable. Elle les conseilla même sur le plan footballistique, eux qui étaient en autogestion en termes de jeu, leur procura un ballon Michelin en caoutchouc pour accélérer leurs mouvements etc…

Quand les Uruguayens repartirent, elle poursuivit les échanges épistolaires, notamment avec le capitaine José Nasazzi. Des courriers prouvent qu’elle leur adressa des recommandations tactiques et psychologiques avant d’affronter l’Italie et l’Argentine lors des Jeux olympiques de 1928.

Témoignages photographiques du séjour de la Celeste à Argenteuil issus de la collection Carlos Plata.

Travaillant sur ce thème, Pierre Arrighi nous dévoila des photos de la délégation uruguayenne au château d’Argenteuil dénichées à Bogotá dans la collection Plata, un recueil de clichés réalisés par le gardien de la Celeste Andrés Mazali.

Puis vint l’heure du cocktail. Surmontant ma timidité, je me présentai auprès de Pierre Arrighi pour le remercier de cette invitation au nom de Pinte2foot et échanger quelques mots avec lui en dégustant quelques savoureuses empanadas accompagnées d’un verre de vin uruguayen.

Nota : Fred Astaire, notre doyen et notre rédacteur le plus rare, était également présent. Sa conversion au football sudaméricain est en bonne voie !


[1] Laura Georges était à Valenciennes d’où elle devait commenter le match de l’Equipe de France féminine face à l’Angleterre (1-2).

[2] Institut de relations internationales et stratégiques

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34 réflexions sur « Conférence sur le centenaire du Tournoi de Colombes »

  1. Bon, ça avait l’air vachement bien. Fred a pu se rincer à l’oeil, une fois de plus, et roupiller à l’aise. C’est cool pour lui ! Je suis content de savoir que les cotisations que je paie sont utilement employées…
    La thèse de Lorenzo Jalabert est disponible intégralement : https://theses.hal.science/tel-04165402
    J’avais prévu d’en faire une recension pour notre Lectures 2 foot, mais je n’ai finalement pas trouvé le temps.
    Belles photos, beau reportage, gracias mister Verano !

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    1. C’était vachement bien !
      Pour info, puisque je sais qu’Andrade t’intéresse, un bouquin écrit par Jorge Chagas et intitulé « José Leandro Andrade – Un champion olympique oublié » vient de paraître et sera promu à l’ambassade d’Uruguay le 7 juin.

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      1. D’après la couverture, il s’agit d’un roman et non d’une biographie.

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    2. Handicapé par des douleurs intestinales et stomacales, crois-tu que je me serais tapé 1h30 aller-retour de métro si je ne n’avais pas été uniquement mû par la soif de connaissances ?

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  2. Épaté par la rapidité de cette note. Un vrai travail journalistique. Très intéressante l’introduction sur l’architecture étrange de la bâtisse. J’ai été ravi de rencontrer Verano82 parmi les envoyés du site. Personnellement j’ai aimé que Laura Georges intervienne alors qu’elle était très occupée ailleurs. Son sourire et sa bienveillance, me semblent-il, ont fortement contribué a créé cette belle ambiance fraternelle qui s’est emparé de nous tous. Merci donc Verano82 pour cette couverture éclair et parfaite ! Amitiés à vous tous. Pierre

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  3. Même si l’écart était important en finale, l’équipe de Suisse était de qualité. Rudolf Ramseyer qui est un des grands défenseurs helvétiques. Aron Pollitz et evidemment Xam Abegglen, le frère de Trello, qui peut candidater à un top 10 suisse sans aucun problème. Pour avoir un peu bossé le truc, la médaille d’argent en 24 est importante dans l’historiographie ďu pays. Mais elle n’est pas assez mise en valeur. Suis pas spécialiste mais je ne pense pas qu’ils se considèrent comme vice-champions du Monde par exemple.

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      1. Ah oui, je savais bien que je connaissais Pollitz de quelque part. Tragique…

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  4. « Mais si j’étais là, c’était pour écouter Pierre Arrighi dont j’avais déjà lu Trois naissances du championnat du monde et quelques autres publications, ainsi que Lorenzo Jalabert d’Amado, docteur en histoire contemporaine et auteur d’une thèse intitulée Aux origines de la Coupe du monde de football, Montevideo 1930. Culture de masse, usages politiques du sport et construction nationale (2021, Université Paris III). »

    Fake news ! On sait tous que tu étais là-bas pour boire du vin uruguayen et rencontrer Fred !

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  5. Ce que dit bobbyschanno est exact. Grande expo à la BNS avec cette idée phare: Uruguay champion du Monde, Suisse championne d’Europe. La presse suisse très fair-play mais pas Gabriel Bonnet qui veut intimider l’Uruguay en accusant les joueurs d’être financés par des mécènes alors qu’ils viennent de se taper l’Espagne de long en large logés dans des hôtels minables et se déplaçant en trains de 3e classe. Bonnet qui préside le Servette, club ultra professionnalisé, et qui représente une sélection dont de nombreux joueurs sont des exportés notoires, qui ont même joué dans la sélection « étrangers de France » juste avant les Jeux. Je trouve que le titre de champion d’Europe pour la Suisse est mérité. Et celui de vice champion du monde encore plus. A l’époque la FIFA bloquait le championnat d’Europe et il fallait bien un cadre qui permette de classer les équipes de la zone. Cette situation a d’ailleurs duré longtemps. On attribue à Delaunay l’idée de la Coupe d’Europe, qui en réalité, date de 1903. On la doit à Robert Guérin que les textes du Musée de la FIFA qualifient honteusement aujourd’hui de paresseux dépressif, sorte de roi fainéant d’une FIFA de papier. Si la FIFA de Guérin était de papier alors celle qui a suivi, des Anglais était faite de vent mensonger et de trahisons. En 2014 j’ai contacté l’association suisse qui se disait heureuse de l’expo de la BNS « le triomphe de nos couleurs ». Malheureusement aujourd’hui aucune association n’est souveraine, aucune ne veut aller contre ce qu’elle croit être « le récit de la FIFA ». Je dis bien « croit » parce que la FIFA ne peut pas avoir de récit. Rien dans les statuts de la fédération internationale l’autorise à décider quelle a été l’histoire du football ni même à ouvrir le débat.

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      1. Merci Bobby. Mutti de la famille du gardien Cayetano Saporiti donc.

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      2. Super itw, totalement en accord avec les propos de Lorenzo Jalabert.

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      1. Pierre une question : j’ai écrit un papier sur Cecilio Pisano, un obscur oriundo au destin tragique. Il aurait été sacré avec Peñarol dans les années 30 avant de rejoindre Gênes mais impossible de trouver trace de lui sur les sites dédiées à Peñarol. Une idée de site où chercher des infos ?

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  6. Paarrrrriiiiiiiiis, rrrreeeeiiiiiiiiine du mooooooooondee………… (qui a la référence?)

    Compliqué de se déplacer sur Paris avec un pied dans le plâtre ; heureusement les collègues sont d’évidence au top pour rapporter tout cela, merci à tous!

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  7. Verano,
    concernant ce Pisano
    aucune idée

    le seul qui pourrait avoir quelque chose c’est Garrido (Atilio) qui est le journaliste-éléphant de l’Uruguay. Personnellement je n’ai plus de relation avec lui…. mais tu peux lui écrire à cette adresse mail: garrido15@gmail.com

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