Colombie 2001 : Maturana en vieux sage

La Colombie s’est qualifiée pour la finale de la Copa América 2024 en battant l’Uruguay. Il s’agit de sa troisième finale après 1975 et 2001, son unique sacre à ce jour. Cette avant-dernier épisode vous raconte cette victoire finale de 2001, acquise à domicile et sous les auspices de Pacho Maturana, l’emblématique entraîneur colombien qui avait quelques années enchanté la planète football de son « toque« .


En 2001, la Copa América est de nouveau traversée par des turbulences. Le tournoi se déroule pour la première fois de son histoire en Colombie. Le système de rotation mis en place permet à chaque pays d’organiser la compétition, comme ce fut le cas pour le Paraguay – novice en tant que pays hôte deux ans plus tôt. Sauf qu’à l’instar du Mondial 1986, l’édition est percutée par la situation intérieure colombienne 1. A deux jours du début de la compétition, le forfait de l’Argentine est un coup de théâtre alors que l’Albiceleste domine outrageusement les éliminatoires sudaméricains pour la Coupe du monde 2002. La sélection dirigée par Marcelo Bielsa est la grande favorite du tournoi continental, d’autant qu’elle est, avec les Bleus, sûrement ce qui fait de mieux en cette année parmi les sélections nationales. Elle propose un football offensif et exigeant, à l’image de la carrière du Loco. Sauf que, plusieurs jours avant le début du tournoi, une lettre avec menaces de morts envers la délégation argentine est reçue au Consulat d’Argentine à Bogotá.

Situation d’urgence à la CONMEBOL, d’autant que l’instance avait déjà des doutes sur l’organisation de la compétition au vu des événements intérieurs. En effet, la Confédération sudaméricaine pense à annuler la compétition, une solution qui est déjà dans les cartons depuis plusieurs semaines au vu d’un fort climat d’insécurité et de violences en Colombie, avec une recrudescence d’attaques à la bombe et d’enlèvement dans plusieurs villes. Elle pense au Brésil pour déménager le tournoi à la dernière minute, ou envisage de l’ajourner pour le début d’année 2002, mais les calendriers sont déjà chargés en cette année de Coupe du monde. Or, devant la pression des chaînes de télévisions et des sponsors, ajoutée à celle exercée par le gouvernement colombien, la compétition est maintenue. Ce dernier s’est lancé dans une campagne médiatique des plus grotesques pour sauver « son » tournoi, en faisant du maintien de la Copa une question nationale. Renommée la « Copa de La Paz » par les communicants, argumentant que la paix viendra par le football, « des buts face aux bombes » en quelque sorte… En coulisses, les discussions et intérêts politico-économiques l’emportent, la compétition aura donc bien lieu sans les Argentins ni… les Canadiens. Les seconds se désistent, également. Devant des négociations qui traînent quant au maintien ou non, la fédération canadienne avait pris la décision de renvoyer ses joueurs au lieu de les faire poireauter plus longtemps, las d’un verdict final qui se faisait attendre. Le Costa Rica remplace le Canada et le Honduras est choisi pour remplacer les Argentins au pied levé. Les centro-américains arrivent après le début de la compétition dans un avion affrété par l’armée colombienne. Difficile de parler football dans ce contexte, mais la Copa América 2001 se déroule, et au final sans incident.

Sur le plan sportif, après le forfait argentin difficile de dégager un favori qui sort du lot. À domicile, la sélection colombienne est en transition après avoir vu passer sa génération dorée dans les années 1990 où le pays a réalisé ses meilleurs résultats. C’est une Colombie rajeunie qui aborde la compétition à domicile. Parallèlement, elle est à la lutte pour un ticket pour le Japon et la Corée du Sud. Pour ses deux missions, inscrire son nom au palmarès pour la première fois en Copa América et obtenir une nouvelle qualification au Mondial, qui serait la quatrième d’affilée, elle a rappelé son « gourou » Francisco Maturana.

Dr. Francisco Maturana

La Colombie a une histoire beaucoup plus récente avec la Copa América. Le football colombien a mis beaucoup de temps à se structurer. La fédération fut l’avant-dernière des 10 nations membres à rejoindre la CONMEBOL en 1936, l’année où elle s’affilie à la FIFA. Elle participe à son premier tournoi continental en 1945 et, même après, elle y participe avec parcimonie et sans éclats. D’autant que le foot colombien est en dispute avec la FIFA et sa sélection est suspendue par l’instance internationale. La raison principale est à trouver dans ce court épisode d’« El Dorado » qui signifie l’arrivée massive de joueurs internationaux dans le football colombien à partir de 1949, notamment d’Argentins partis après la grève de 1948-1949. Ce moment permet un développement éclair du foot colombien, mais qui ne dure pas, car il ne tient qu’au recrutement de vedettes étrangères. De plus, la ligue est en conflit avec sa propre fédération, qui conteste les règlements de la FIFA. Cette dernière met au ban la sélection colombienne pour plusieurs années, sous la pression également des fédérations sudaméricaines qui n’avaient que très peu appréciées la fuite de leurs talents et les ponts d’or offerts pour les attirer. La Colombie obtient son premier résultat probant avec une finale de Copa América en 1975 perdue contre le Pérou. Avant cela, il n’y avait qu’une seule qualification pour la Coupe du monde 1962. Les années 1970 et 1980 correspondent à la progression des clubs colombiens qui obtiennent de meilleurs résultats, notamment dans leur parcours en Copa Libertadores2. Pour la sélection ce n’est qu’à toute fin de la décennie 1980, qu’elle émerge et s’affirme dans les années 1990 comme une équipe compétitive et attrayante sur le plan footballistique.

Sous la houlette de « Pacho » Maturana, la bande à Carlos Valderrama pratique un jeu technique, rapide, virevoltant, le « toque ». « Le Doctor » est à l’initiative d’une nouvelle ère de transformation dans le jeu et de la culture foot de son pays, après l’épisode « El Dorado » et les années 1970. Le dentiste de formation est né dans le département du Chocó, du côté Pacifique, cette Colombie périphérique et majoritairement afro-latinoaméricaine, riche d’un écosystème à la fois fragile et hostile. Après une carrière de joueur principalement à l’Atlético Nacional, il commence à entraîner à Once Caldas, puis très vite il rejoint son ancien club de joueur. C’est au sein du club de Medellin qu’il met en place ses préceptes et devient le premier entraîneur à mener une équipe colombienne au succès continental avec une victoire en Copa Libertadores 1989 contre les Paraguayens d’Olimpia après une interminable et suffocante séance de tirs aux buts. Parallèlement, il a pris les rênes de la sélection nationale, qui s’appuie sur son noyau dur de l’Atlético Nacional. Une troisième place à la Copa América 1987 et une qualification au Mondial 1990 confirment la progression de la Colombie et de la méthode Maturana. C’est au début des années 1990 que les Cafeteros changent de dimension. Après avoir tenté sa chance en Europe, au Real Valladolid, un court passage sans grand succès, et revenu entraîné au pays, Maturana assure un second mandat à la tête de la sélection. Le point d’orgue est atteint durant cette période, en 1993-1994, avant le Mondial aux États-Unis, quand la sélection aligne une incroyable série de 24 victoires consécutives, dont une retentissante victoire 5-0 face à l’Argentine à Buenos Aires qui marquera les esprits. Et elle l’établit avec la manière, ce qui enchante les observateurs au point de considérer l’équipe colombienne avec sérieux pour le prochain Mondial.

La sélection colombienne qui a atomisée et traumatisée l’Argentine

Le jeu colombien est fait de mouvements permanents, ses joueurs disposent d’une grande liberté de déplacements, alternent les décrochages et les permutations. La majorité des joueurs ont une grande maîtrise technique et font circuler la balle, privilégiant la possession et le jeu au sol rapide, accélérant ses phases de jeu avec un enchaînement de passes à une touche de balle, le fameux « toque ». Défensivement, la Colombie de Maturana est alignée haute sur le terrain, pratique une défense en zone, avec une dose d’engagement physique non négligeable. Maturana a donc insufflé et donné une identité et un style à l’équipe colombienne, qui fait référence. Troisième de la Copa América 1993, éclatante dans les éliminatoires 1994, toutefois le Mondial étasunien sera un loupé terrible. La Colombie n’assume pas son statut et gâche trop d’opportunités dans ses matchs. En plus, elle sera rattrapée par le contexte national et les liens sulfureux avec le narcotrafic qu’entretient le football colombien depuis les 20 dernières années, l’entraînant dans les hauts et les bas. Maturana délaisse la sélection après le Mondial. La Colombie parvient néanmoins à se qualifier pour le Mondial 1998 sa troisième participation d’affilée au Mondial mais ne passera pas le premier tour également.

El Profesor est finalement rappelé pour la Copa à domicile. C’est avec une Colombie rajeunie, qui a tourné la page de ce qui était ses plus belles années jusqu’à présent, que le vieux sage se présente. Les Asprilla, Rincón, Valderrama, Álvarez, Herrera, Perea, de Ávila et consorts ont laissé leurs places aux Ivan Córdoba Bedoya, Vargas, Yepes, Hernández, Grisales… Seul l’excellent Óscar Córdoba dans les buts, qui avait pris la relève du fantasque René Higuita et qui vit ses plus belles heures en club avec Boca Juniors, demeure. Le gardien colombien est une valeur sûre à son poste, loué pour ses qualités de jeu au pied et sa participation à la construction du jeu, essentiel sous l’ère Maturana.

Óscar Córdoba, gardien du temple

La Colombie joue ses matches à domicile dans la fournaise de Barranquilla, un des lieux les plus difficiles pour jouer sur le continent sudaméricain. Pour débuter sa compétition et sur une pelouse en souffrance, la Tricolor fait un sans-faute face à ses voisins : victoires face au Venezuela (2-0) et à l’Équateur (1-0). Puis elle conclut son premier tour contre le Chili (2-0) dont la sélection est en pleine crise et larguée. Víctor Hugo Aristizábal, attaquant semi-inconnu, un des plus expérimentés du groupe, surtout connu pour être une gloire d’« El Verde », se met en évidence en inscrivant quatre buts lors de ses trois matchs. Il s’est mué en leader de l’attaque, et finira meilleur buteur de la compétition avec six réalisations. Aristizábal vit son moment de gloire, et poursuit sa lancée avec un doublé contre le Pérou en quart de finale (3-0). En demie, la Colombie est opposée aux surprenants Honduriens, invités de dernière minute qui ont créé la surprise en quart en sortant le Brésil 2-0. La Seleçao, souvent habituée à ne pas venir avec toutes ses stars, est en grandes difficultés dans les éliminatoires. Elle était venue avec une équipe remaniée avec des espoirs et des joueurs locaux, même s’il y a dans le lot quelques joueurs qui seront champions du monde un an plus tard. Mais ses objectifs, comme d’autres sélections présentes, étaient ailleurs que dans cette Copa avec la qualification au Mondial dans la visée. La Colombie met fin à l’aventure des « Catrachos », qui finiront troisièmes, en gagnant 2-0.

Le 10 colombien Aristizábal contre le Honduras

La finale a lieu à Bogotá. La Colombie s’impose 1-0 contre le Mexique. À l’image de son tournoi, car elle s’est appuyée sur une base défensive imperméable, avec zéro but encaissé et a fait preuve de solidité tout au long de ses matchs. Elle a écrasé le tournoi grâce à sa défense, sans non plus étaler une démonstration dans le jeu, même si les schémas de Maturana ne sont pas abandonnés, mis en application ici ou là et permettent d’offrir de jolis séquences à quelques moments. Le tout dans une compétition plutôt pauvre techniquement, mais qui est restée festive et agréable malgré tout. Il faut noter que les sélections avaient les yeux rivés sur les interminables et difficiles éliminatoires sudaméricains, la plupart en manque de talents et certaines en crise générationnelle. En l’absence du super favori, la Colombie s’impose naturellement. C’est Iván Córdoba, capitaine de la sélection et nouveau joueur de l’Inter Milan, qui d’une tête à la réception d’un coup franc venue de la droite peu après l’heure de jeu, inscrit le seul but du match. Suffisant pour la Colombie pour s’offrir un premier sacre à domicile.

Iván Córdoba, héros colombien et défenseur mythique à Pro Evolution Soccer

Cependant, la dynamique de la victoire ne portera pas ses fruits. Avec cinq journées restantes et déjà en retard au classement sur ses concurrents, la Colombie enchaînent trois matchs sans victoires après la Copa en éliminatoires pour la Coupe du monde 2002. Les deux dernières victoires ne suffiront pas, los Cafeteros terminent sixième à égalité avec l’Uruguay, cinquième, mais c’est bien la Celeste au des confrontations directes qui ira en repêchage et au Mondial. Pour la Colombie, ce sera synonyme d’un nouveau creux pour les années suivantes avant l’avènement d’une nouvelle génération au début des années 2010.


1 La Colombie avait été désignée hôte de la Coupe du monde 1986 avant de se résigner en grande partie pour sa situation économique de l’époque

2 Deportivo Cali (finale perdue en 1978), l’América Cali (finales perdues en 1985, 1986, 1987) et l’Atlético Nacional (victoire en 1989).

13 réflexions sur « Colombie 2001 : Maturana en vieux sage »

  1. J’étais au courant du forfait de l’Argentine (incroyable lorsqu’on y pense, ils roulaient littéralement sur leur continent) mais je ne savais pas pour celui du Canada ! Quelle situation ubuesque tout de même.

    Ça ne s’est jamais vu un champion de Copa America qui finit sans prendre de but ?

    Et Oscar Cordoba qui n’avait pas fait un excellent tournoi en 1994, étant quelque peu fautif sur plusieurs des buts encaissés contre la fantastique Roumanie de Iordanescu et le but de Stewart lors du second match.

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  2. Bon.. Comme ça il n’y a évidemment que Bölöni dont le nom me revienne, mais y a eu un paquet de dentistes dans le foot du plus haut niveau.. Tostao? Bilardo?? Autres??? Je ne sais plus..

    Je ne connais qu’une seule personne qui soit allée dans ce coin du monde, Nord-ouest pacifique de la Colombie disons..et c’est mon beau-père, qui en avait vu de belles en Afrique centrale mais, à l’en croire, rien de plus glauque et déplaisant que Buenaventura, non loin du lieu de naissance de Maturana..et moins loin encore de Cali, ce qui explique peut-être cela.

    Sa Colombie de la première moitié des 90’s : ce que j’en ai vu était génial……..mais je suis loin d’en avoir tout vu!, bref : était-ce vraiment, à ce point formidable? Quoi qu’il en soit : quelle déception en 94. De grandes promesses qui n’y arrivent pas, ce n’est pas ce qui aura manqué..mais voilà probablement l’équipe qui, aujourd’hui encore, m’aura laissé le plus de regrets – mais je fantasmatisais probablement ce qu’elle avait vraiment dans le ventre…… ==> Comment cet échec fut-il perçu en Colombie? Maturana fut-il d’une manière ou d’une autre épinglé?

    Rétrospectivement, le passage de Maturana à l’Atletico paraît suicidaire, contre-nature.

    Ta série est formidable!

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    1. ce nord-ouest côté Pacifique Choco côté Colombien, Darién côté Panama, c’est une vaste zone de forêt tropicale, hyper humide, hyper inaccessible, hyper hostile, l’un des endroits les plus préservés et inhabitables de la planète. De ce qu’on dit, jamais été en Colombie de ma vie non plus.

      Côté foot: C’est quasiment 3 années d’invincibilité pour la Colombie entre la Copa América 91 et la WC 94. Leur élimination à la Copa América de 93 survient aux TAB contre l’Argentine, donc on compte ça pour un nul. Après, elle a pas joué non plus que des cadors. Quasiment que des équipes américaines, concacaf et conmebol. Mais tenir tête et gagner avec la manière (certains matchs elle les a baladé) au Brésil, à l’Argentine et à l’Uruguay dans une moindre mesure, c’est déjà du lourd sur la planète foot. Mais la double victoire en une semaine, 4-0 contre le Pérou et donc ce 5-0 contre l’Argentine avait marqué les esprits. Assez pour cataloguer la Colombe d’équipe favorite à 9 mois environ du Mondial. Dans les faits, comme souvent, même pour d’autres grandes équipes c’est pareil, ce ne fut pas que des démonstrations, alternant de très bons matchs et d’autres plus poussifs, plus moyens. Mais il est clair que le jeu déployé était remarquable. Elle a marqué les esprits. Mais jouer une équipe européenne costaud comme l’était la Roumanie au 1er match, ça ne c’était pas encore présenté devant elle …
      Autre temps, mis à part les trois géants cités, les autres nations sudams ne faisait pas de tournée ne Europe, il y avait moins de match internationaux aussi.. Disons que la Colombie manquait peut être de s’avoir jaugé avec l’Europe avant…

      Sur le fiasco de 1994: Maturana et l’équipe en ont pris dans la presse il me semble. Mais le groupe était en train d’exploser, bien des semaines avant. Maturana avait perdu totalement la main et le contrôle. L’échec était programmé. Tous les sur et en dehors du terrain pourrissaient l’équipe colombienne: la presse, la fédé, les joueurs entre eux, le public, les cartels, les relations staff-joueurs…

      PS: Bilardo n’était pas dentiste, il était gynécologue.

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      1. ..et Tostao médecin, donc c’était pas lui non plus.

        Pourtant, j’en suis sûr de sûr : on trouverait plein de dentistes.

        Merci pour tes compléments d’info, très appréciés.

        Un dernier pour la route : quid de son passage-éclair à l’Atletico? Et pourquoi n’avoir tenté le coup au Real? Il ne fut pas libéré, ou..??

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      2. Sur Maturana et la Liga, faut demander à nos spécilaistes, Verano, Khia… yo no sé

        Alex, Khia: Faites nous un article XI « des docteurs » 🙂

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