Chili 2015: la révolution chilienne

La Copa América 2024 touche à sa fin en ce moment de l’autre côté de l’Atlantique, comme cette série sudaméricaine qui se termine avec le huitième et dernier épisode. Le Chili n’a pas brillé cette année, sorti logiquement au premier tour après des prestations bien ternes. Une sélection en reconstruction, qui doit tourner la page de sa génération sacrée en 2015.


En 2015, La Roja remporte la Copa América, une première historique à domicile pour les Chiliens. Jusqu’à cette édition, la sélection chilienne avait échoué à la deuxième place à quatre reprises. Deux fois deuxième en 1955 et 1956, derrière respectivement l’Argentine et l’Uruguay. En 1979, la sélection chilienne emmenée par ses stars, Elias Figueroa et Carlos Caszely, est battue par le Paraguay. Enfin, en 1987, c’est l’Uruguay qui empêche le Chili d’obtenir un premier titre. En dehors de ces coups d’éclats quand il peut compter sur plusieurs talents générationnels, le Chili est majoritairement derrière ses rivaux, éliminé très souvent au premier tour ou finissant en dehors du podium.

La victoire chilienne de 2015 est la consécration d’un travail profond et d’une excellente dynamique qui avait cours depuis quelque temps, portée par une excellente génération, alors que le Chili était au plus bas plusieurs années auparavant. Un redressement entamé sous Marcelo Bielsa qui reprend la sélection en main en 2007. À ce moment, le pays du Pacifique passe par un énorme trou d’air dans les années 2000 suivant la Coupe du monde 1998 où, porté par son duo iconique Ivan Zamorano et Marcelo Salas, il avait passé le premier tour et atteint les huitièmes de finale. Mais ce fut une traversée du désert ensuite, avec une dernière place lors des éliminatoires du Mondial 2002 et une campagne pour celle de 2006 pas beaucoup mieux.

Le fou

Le Chili renaît avec « El Loco », et marque son retour parmi l’élite mondiale en 2009-2010. Bielsa impose son style caractéristique. D’un côté, l’exigence du technicien argentin, toujours aussi tatillon et n’écartant aucun détail, entraîne une modernisation profonde des installations, des programmes et moyens d’entraînement. En quelque sorte, il fallait sortir le football chilien « de l’amateurisme, le professionnaliser » selon les propos de plusieurs joueurs et techniciens chiliens. De l’autre, l’application stricte et rigoureuse de ses principes de jeu. Les deux facettes d’un processus classique chez Bielsa, et qui en peu de temps, fonctionne assez rapidement. La sélection chilienne devient solide, pratique un jeu de mouvement et d’intensité ; offensive et séduisante, les résultats suivent. Le premier objectif est atteint avec une qualification pour la Coupe du monde 2010 acquise avec la manière. Une deuxième place, à un point du Brésil premier, et avec 10 victoires soit plus que lors des deux derniers éliminatoires réunis.

Autre point fondamental mentionné par les protagonistes de l’époque, le changement de mentalité du football chilien insufflé par Bielsa : le fait que le pays andin est capable de tout et de battre n’importe quelle équipe, et qui plus est, en jouant au ballon. À cet égard, la victoire contre l’Argentine le 11 octobre 2008 à l’Estadio Nacional de Santiago lors des éliminatoires est souvent vu comme l’élément déclencheur de ce cycle vertueux et qui leva les barrières mentales et psychologiques de la Roja. Car cette victoire contre le rival voisin est tout simplement la première en match officiel dans l’histoire du Chili. En plus, ce triomphe historique est acquis sur le terrain en offrant une prestation fabuleuse et aboutie. Le Chili remonte au classement FIFA et se place aux portes du top 10. Une bien belle performance car Bielsa ne dispose pas non plus d’une sélection de classe mondiale, sans réelles stars dans son onze. Lors de la Coupe du monde sud-africaine, le Chili atteint les huitièmes, éliminé par le Brésil, renouant avec la victoire, car depuis 1962 il n’avait pas gagné un seul match sur ses quatre ultimes participations (1966, 1974, 1982, 1998).

Bielsa n’a pas réussi à gagner la Copa América cette année, mais pour les Chiliens il l’a sûrement déjà remporté en 2015…

Bielsa devient une idole dans tout le Chili, une figure d’intouchable. Enfin presque. Car comme souvent l’histoire avec l’Argentin finit prématurément. Il part fin 2010, suite à un désaccord avec le nouveau président de la Fédération. Bielsa avait lié son sort au président sortant, qui l’avait fait venir et qui, battu, entraîne le départ du technicien de Rosario. Après que le Chili est retombé dans ses travers suivant son départ, l’arrivée à la fin de l’année 2012 d’un de ses disciples autoproclamés, son compatriote Jorge Sampaoli, remet le Chili sur de bons rails. Sampaoli était un entraîneur connu du côté des terres chiliennes, car il avait passé deux saisons avec succès à l’Universidad de Chile, ponctuées d’une victoire en Copa Sudamericana 2011 (avec des futurs cadres de la sélection : Eugenio Mena, Charles Aránguiz ou Eduardo Vargas), de trois titres de champions d’affilée (dont deux en 2011 réalisant « le grand chelem » cette année-là), et d’une demi-finale en Copa Libertadores 2012. À la tête de la sélection, il s’appuie pleinement sur une génération prometteuse, notamment les troisièmes de la Coupe du monde des moins de 20 ans 2007 (Arturo Vidal, Alexis Sánchez, Gary Medel ou Mauricio Isla). Se revendiquant comme fanatique de Bielsa, il applique les mêmes méthodes et la même philosophie de jeu : une équipe résolument offensive, faite de mouvement et permutations incessantes, avec une défense à trois et des latéraux tout-terrain ultra-offensifs, un pressing de tout instant, tactiquement toujours amener le surnombre offensif et utiliser toute la largeur dans ses phases de jeu. Sur le terrain, c’est une équipe qui paraît autant déséquilibre qu’organisée, ne tenant qu’à un fil, mais qui tient. Cependant, Sampaoli diverge quelque peu en étant moins dogmatique que son « maître à penser » (par exemple le fait d’évoluer à deux attaquants axiaux Sánchez-Vargas, contrairement à Bielsa qui n’a jamais changé son dispositif à une seule pointe ; des ajustements défensifs pour compenser les déséquilibres). L’équipe de Sampaoli gèrent mieux le tempo du match, moins « folle » et moins d’intensité que celle de Bielsa, plus équilibrée et une meilleure possession, avec une dose d’engagement supplémentaire, parfois à la limite.

« El Mago » Valdivia

Le Chili se qualifie pour la Coupe du monde 2014 (neuf victoires en 16 matchs, troisième de la zone sudaméricaine), et offre un premier tour intéressant en battant l’Espagne, championne du monde et tenant tête aux Pays-Bas, vice-champion du monde. Il est stoppé brutalement en huitième de finale, à quelques centimètres de l’exploit par le Brésil, ce dont Mauricio Pinilla pourra ne témoigner toute sa vie avec son tir sur la barre transversale à une poignée de secondes de la fin du match en prolongations. Continuant sur sa lancée, en 2015, le Chili aborde la compétition dans un rôle d’outsider avec l’avantage de jouer à domicile. Après une victoire inaugurale contre l’Équateur, un nul accroché contre le Mexique (3-3) et une large victoire contre la Bolivie (5-0), le Chili sort difficilement les Uruguayens (1-0) en quarts. La sélection n’est pas à l’abri des polémiques la virée nocturne de Vidal ou l’olive de Jara rappelle le passé pas si lointain d’une sélection minée par l’indiscipline, les beuveries, fêtes et coups tordus. La Roja composte son ticket pour la finale en battant le Pérou (2-1).

Vargas et Sanchez à l’attaque contre le Mexique

Le Chili de Sampaoli s’appuie sur son formidable meneur de jeu « El Mago » Jorge Valdivia qui brille autant par sa formidable technique, ses inspirations divines en passe, que son indiscipline, lui qui a été souvent mis de côté pour ses motifs mais en qui Sampaoli a pleinement confiance pour mener le jeu chilien. Le 10 joue derrière le duo d’attaque, formé de la star Alexis Sánchez et du buteur Eduardo Vargas, qui joue en faux 9. Les deux profitent de leur vitesse, sont capables de prendre la profondeur et les ailes, souvent difficile à saisir pour les défenseurs adversaires. Au milieu, l’équilibre est assuré par Arturo Vidal et Charles Aránguiz. Marcelo Díaz est lui la véritable plaque tournante de cette équipe, il a un rôle déterminant dans la construction du jeu que pour l’équilibre et la transmission entre défense et attaque. Les deux pistons, le formidable et increvable Jean Beausejour à gauche, et son pendant à droite Mauricio Isla, enchaînent les allers-retours. Dans les buts, Claudio Bravo taulier et dernier rempart qui vit ses plus belles années. Devant lui, le pitbull Gary Medel intraitable dans son rôle de stoppeur et chef de la défense …. Au final, ce sont majoritairement des joueurs de sélections, à l’image des Beauséjour, Medel, Isla, Vargas, Diaz qui n’ont jamais autant performé sous le maillot chilien et apparaissent comme parmi les meilleurs à leur poste en sélection, bien loin de leurs standards en club, des joueurs transcendés, en confiance et qui s’épanouissent dans ce système tactique.

« Una muralla que vaya / desde la playa hasta el monte / desde el monte hasta la playa / allá sobre el horizonte. »

La finale se déroule à Santiago à l’Estadio Nacional, où plus de 45 000 supporteurs en fusion se sont entassé pour pousser le Chili, et tout un pays derrière. Le match accouche d’un difficile 0-0 au bout de 120 minutes. La partie est engagée, âpre, avec beaucoup de tension et d’enjeu sur le terrain. Le Chili met en place son plan habituel, un jeu rapide et au sol, avec un Sánchez actif et virevoltant, se créant des occasions, sans être franches. Mais il déjoue par moment, subissant mêmes plusieurs temps forts argentins et au supplice sur les coups de pied arrêtés, le jeu aérien étant la grande faiblesse de cette équipe chilienne. Malgré tout, les vice-champions du monde ne se montrent pas efficaces sur leurs rares opportunités, à l’image de Gonzalo Higuain en toute fin de prolongations qui aurait pu plonger tout le Chili dans la détresse. Lionel Messi a été bien contenu et la plupart du temps inexistant. Un match fermé donc, où les défenses ont pris le dessus. Le Chili a tenu et rendu le change, incarné par un Medel énorme défensivement et un Vidal hyperactif aux quatre coins du terrain. C’est la cruelle et fatidique séance de tirs aux buts qui départagera les deux nations. Les Chiliens ne tremblent pas, les Argentins s’écroulent. Une panenka d’Alexis conclue la partie et libère tout un peuple.

Les Chiliens peuvent célébrer, ils sont sur le toit de l’Amérique

L’Estadio Nacional exulte chassant les fantômes du passé et du coup d’état 1973 où ici même il fut un camp d’internement à ciel ouvert, où la torture et les assassinats se déroulèrent dans ses sous-sols. Tout le peuple chilien, du Salar à la Patagonie, de la Cordillère au Pacifique, des barrios populares à La Araucanía peuvent fêter enfin ce premier titre qui unit (enfin, pour un soir) le pueblo. Un sacre bien mérité au regard de l’ensemble du tournoi. Jorge Sampaoli n’a pas renié ses principes de jeu, même si la finale a été plus difficile, la discipline tactique, l’intensité et la solidarité collective ont primé. Cette génération poursuivra sa dynamique et en pleine confiance viendra remporter l’année suivante une seconde Copa, celle du Centenario encore une fois contre l’Argentine.

14 réflexions sur « Chili 2015: la révolution chilienne »

  1. Le mundial (controversé) à domicile de 1962 correspond également à une belle génération chilienne menée par Leonel Sánchez. Parmi la Roja, Alberto Fouilloux (futur joueur du championnat de France) ou Carlos Contreras.

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    1. Il a joué Fouilloux en 62 ? Il etait sacrément jeune. Dans cette equipe, Jaime Ramírez avait mis deux buts superbes face à la Suisse et l’Italie et la prestation de Jorge Toro avait débouché sur un transfert à la Samp. Aucune formation européenne n’a cherché à recruter Sanchez ?

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      1. Fouilloux est titulaire lors des deux premiers matchs et est blessé contre l’Italie. Fin du tournoi !

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  2. Dans cette équipe, j ai adoré Beausejour: un blaze magnifique pour un vrai bon joueur. Díaz et Aranguíz furent aussi tres bons sous les couleurs de cette Roja. leur niveau de jeu etait multiplie par 5 quand ils enfilait leur liquette nationale. Vargas c’etait le plus flagrant dans ce genre lá. Un tout autre buteur avec le Chili.

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  3. Je me souviens du mondial 2014 : leur match de titans face aux Espagnols, qu’ils éliminent dès le premier tour, logiquement. Et puis ce huitième de finale dantesque, cette barre de Pinilla à la fin de la prolongation… J’étais chez des amis, on a tous hurlé en pensant voir le Chili marquer mais non !

    À l’instar du Pérou et de sa génération Guerrero-Farfan-Advincula etc… ils n’arrivent pas à tourner la page de leurs glorieux aînés. Guerrero rappelé à 40 ans et Bravo dans les cages à 41 ans, sans compter tous les joueurs ayant la trentaine bien entamée.

    Comme un symbole, les deux voisins étaient dans le même groupe en Copa América, finissant sur un triste 0-0, combat entre deux générations usées jusqu’à la corde. C’est la première fois de toute son histoire que le Pérou ne marque aucun but lors d’une Copa América et cela n’était pas arrivé au Chili depuis… 1917.

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    1. Perso, je préfère largement Sanchez sur leur carrière et dans leur jeu. Sanchez a été un moteur de cette équipe chilienne, souvent présent dans les gros matchs, Vidal aussi. Par contre sur cette Copa 2015, Vidal a été bien meilleur malgré ses déboires en voiture…. Alexis s’est réveille sur la fin lors de la finale notamment.

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      1. Live, je n’ai pas vu meilleur footballeur chilien qu’Alexis Sanchez. Et puis quel peps!

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  4. En 2016, je me rappelle notamment d’un premier tour difficile, avec une défaite d’entrée 2-1 contre l’Argentine puis d’une victoire arrachée sur pénalty à la 90+10 contre la Bolivie et une victoire 4-2 contre le Panama. Ensuite, l’incroyable 7-0 infligé à des Mexicains humiliés et dépassés en quarts, avec un quadruplé de Vargas pour ensuite filer jusqu’en finale et battre (encore) l’Argentine aux tirs au but.

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  5. Je repasserai sur celui-ci!, mais déjà une question : comment expliquer que l’un des pays les plus développés d’Amérique du Sud..en soit, aussi, l’un des moins performants en football?

    Et ce débat existe-t-il en Amérique du Sud? Il inspire quoi, le Chili footballistique, à ses voisins?

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    1. j’ai pas de véritables explications. et les arguments démographique, culturel, géographique, historique, ne tiennent pas la route. à chercher dans les politiques publiques et sportives ? les décisions et choix politiques ? les moyens mis en oeuvre pour développer (ou pas) le football ?
      quoi qu’il en soit, le chili n’a pas de véritable poids footballistique en amérique du sud, quelques exploits et beaucoup de passages à vide. dans l’ombre (et sous domination) de l’argentine dans le domaine du football, véritable complexe des chiliens face aux argentins, mis à a part 2015-16 donc.

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