Chapeau Charlie

Difficile pour tout amateur de sport qui soit de rester insensible aux exploits accomplis sur le Vendée Globe. C’est pourquoi, aujourd’hui, je lève mon chapeau à Charlie Dalin, vainqueur record de cette 10e édition, mais aussi aux autres aventurières et aventuriers toujours en course. Il en est certains parmi eux dont je connais un petit bout d’histoire que j’ai envie de vous raconter aujourd’hui.


Mon premier coup de chapeau est pour Charlie Dalin, qui contrairement à Chaplin n’est pas venu pour nous faire rire. C’est parce que lors de l’édition précédente, le skipper havrais a franchi la ligne en première position sans toutefois gagner la course. En effet, Yannick Bestaven, arrivé en 3e position huit heures plus tard, sera sacré grand gagnant grâce aux dix heures de compensation reçues pour s’être détourné dans l’Atlantique Sud pour tenter de venir à la rescousse de Kevin Escoffier. Evidemment, tout cela est logique mais notons quand même qu’arriver premier pour finir deuxième après un périple long de 80 jours c’est…frustrant. Comme il le disait encore lors de son arrivée victorieuse ce 14 janvier « gagner le Vendée Globe, j’y pense tous les jours depuis le lendemain de mon arrivée en 2021 » et ce ne fût pas de tout repos puisque son année 2023 sera parasitée par des problèmes digestifs, et il ne reprendra la compétition après l’accord des médecins qu’en décembre 2023. Mais Charlie n’a que son objectif en tête et hors de question de le louper, il reprend la course en avril 2024, terminant 4e de la Transat anglaise avant de remporter la Transat New York Vendée un mois plus tard. Ça y est, le skipper est définitivement de retour. Désigné favori de cette édition 2024-2025, il aura occupé la tête de course 42 jours sur 64, une domination quasiment sans partage mais qui aura été issue d’une belle lutte face à Yohan Richomme dont le bateau semblait mieux taillé pour les mers du sud, il passera d’ailleurs en tête au cap Horn avec seulement neuf minutes d’avance sur Dalin. Mais le bateau de ce dernier est lui un peu meilleur pour la remontée de l’Atlantique. On le verra donc reprendre la tête pour ne plus la lâcher. Charlie Dalin c’est un skipper pudique qui communique peu ses émotions mais qui a pu tout lâcher en cette magnifique matinée de janvier, sous le soleil levant, la pleine lune et des larmes dans les yeux.


Mon deuxième coup de chapeau est tiré pour ces skippeuses d’élite qui ne cessent de m’épater. Tout d’abord, Clarice Crémer. Clarice c’est l’ascension fulgurante et l’apprentissage éclair, brillante étudiante elle découvre la régate à 15 ans lors du trophée des lycées mais ce n’est réellement que lors de son passage à HEC Paris qu’elle va s’y consacrer de plus en plus. Elle devient même présidente du club de voile de la célèbre école de commerce et participe au tour de France à la voile en 2010. Puis viendra l’impulsion de son compagnon, Tanguy le Turquais, (lui aussi engagé sur cette 10e édition) skipper participant aux éditions de la Mini Transat de 2013 à 2015 autour duquel elle va pouvoir poursuivre son apprentissage. Pendant ce temps, fraîchement diplômée elle fonde une société à succès, Kazaden, un site web permettant de réserver des séjours d’aventures (randonnée, ascension du mont blanc, …). Avec Clarice tout est étudié brillamment et tout fonctionne tout de suite. En 2015, elle s’installe en Bretagne et fait ses premiers pas dans la course au large avec la Mini Transat. Trois ans plus tard, finis les petits bateaux et direction la Classe Figaro, et à peine quelques mois plus tard, en novembre 2018, elle est contactée par le team Banque Populaire pour participer au prochain Vendée Globe. Elle accepte et passe professionnelle à plein temps dès 2019. Une ascension vertigineuse, mais il faut encore confirmer, passer de la classe Mini à un Imoca, voilier de 18 mètres c’est un monde voire deux ! Encore une fois l’expérience est une réussite puisqu’elle devient la femme la plus rapide autour du monde bouclant l’édition 2020-2021 à la 12e place en 87 jours. (A l’heure actuelle, Clarice risque de perdre son record de femme la plus rapide du monde au profit de la Suissesse Justine Mettraux qui la devance de pratiquement 600 miles nautiques. Une navigatrice qui force aussi l’admiration par sa détermination !)
Ce qui plaît avec la skippeuse, c’est sa communication, ses anecdotes simples et pétillantes sur le bateau, on navigue avec elle, on rigole avec elle quand elle nous raconte sa cuisine du jour, on a peur avec elle quand elle livre ses craintes. Difficile de rester insensible face à tant de réussite et de simplicité ! Néanmoins tant de succès ne fût pas assez pour garder son partenariat avec Banque Populaire. Alors qu’elle vient d’accoucher, le Team se sépare d’elle début 2023 la jugeant « moins compétitive » pour la prochaine édition de la course (car ne pouvant participer que tard aux courses qualificatives pour l’édition 2024). C’était bien mal connaître la navigatrice et son tempérament, elle critique violement cette mise à l’écart et orchestre le « Bad Buzz » à l’encontre de son ancienne équipe, déclarant « Ils [Banque Populaire] sont prêts à assumer le risque d’un trimaran géant, et tous les aléas naturels, techniques et humains liés à la course au large, mais visiblement pas celui de la maternité ». Résultat, Banque Populaire se retire de l’édition et le bateau est racheté par le Gallois Alex Thomson qui le loue à Clarice et son nouveau Team, l’Occitane en Provence. Devenue professionnelle, un peu plus tard que son mari qui lui a tout appris, Clarice devient tout simplement meilleure que lui ! Engagé tous deux sur cette 10e édition, elle oscille entre la 11e et 13e place, plus de 1000 miles nautiques devant son mari.


Plus loin dans le classement on retrouve la Benjamine de l’édition, Violette Dorange, dont j’ai pu suivre les aventures grâce à ses vidéos YouTube depuis quelques années maintenant. La skippeuse de 23 ans, coqueluche de cette édition séduit aussi par sa communication ciblée et proche des gens. Son destin à elle est tracé dans la mer depuis son plus jeune âge tant elle bat des records de précocité. Agée de 15 ans, en 2016 elle devient la première femme à traverser la manche en optimist. Un an plus tard, c’est une nouvelle première, la traversée du détroit de Gibraltar, toujours sur son petit optimist. C’est donc tout naturellement que ses exploits vont la porter vers la Mini Transat en 2019 où elle sera… vous me voyez venir… La plus jeune participante de l’histoire à seulement 18 ans. Rebelote l’année suivante, plus jeune femme sur la Solitaire du Figaro. La suite logique n’est autre que l’Everest des mers, le Vendée Globe. Elle monte le projet DeVenir, récupère le bateau de Jean Le Cam et parvient à se qualifier pour la course. Une nouvelle fois, c’est la plus jeune de l’histoire, mais pas question d’aller jouer la gagne, Violette est encore en apprentissage et ne connait rien des mers du Sud. Mais même en y allant pour découvrir, la Rochefortoise épate et oscille entre 25e et 28e place, dans un groupe avec d’autres marins bien plus expérimentés. Quelques frayeurs dans du gros temps et même son bateau qui se couche à l’horizontale, avec l’eau qui entre dans le puit de quille et la navigatrice qui se retrouve à l’envers la jambe coincée sous la colonne de winch, mais Violette s’en sort et reprend sa route. Elle, qui avait la tête dans les étoiles sur le chenal au départ sait garder la tête froide dans les pires moments malgré son jeune âge, continuant de fasciner et d’épater tous les observateurs. Il y a quelques jours, là où de nombreux loups de mer l’ont précédés, la jeune violette est devenue cap-hornière à son tour.


Passons maintenant de la benjamine au vétéran, Jean Le Cam. C’est déjà le 6e tour du monde en solitaire pour le Quimpérois qui continue de montrer l’exemple. Contrairement aux meilleurs, le Roi Jean se refuse à avoir un bateau à foil, voulant privilégier l’équilibre de son bateau. Supposé aller moins vite sans les imposants appendices qui font voler les bateaux, il n’en donne pas moins une belle leçon de pilotage à de nombreux foilers, se retrouvant autour de la 15e place de la flotte et premier des bateaux à dérive (sans foils). Il faut dire que le marin est de l’école Tabarly (avec lequel il fit le tour du monde) et possède le sens marin le plus aiguisé de la course, là où les plus jeunes skippers se réfèrent aux modèles météorologiques et établissent leur route des heures durant, Jean arrive à sentir les éléments pour faire une des routes les plus courtes qui soient lors de chacune de ses participations. Il fit encore démonstration de son talent au large du Brésil de cette édition pour s’extirper on ne sait comment d’une zone sans vent et gagner quelques places. Jean Le Cam, c’est également une humanité remarquable tout en étant un peu bourru dans son coin, mais quand il parle on veut tout écouter. Il a tout vécu sur le Vendée Globe, d’une deuxième place surprise pour sa première participation en 2004-05, à un chavirage après le cap Horn en 2008-09 (alors 3e il sera sauvé par Vincent Riou alors qu’il était réfugié à l’intérieur de la coque, son bateau renversé) avant d’être lui-même sauveur en 2020 de Kevin Escoffier dans un sauvetage dont beaucoup doivent se souvenir. Sa capacité à surmonter les défis, son ingéniosité face aux imprévus et son attachement à l’éthique maritime font de lui une figure emblématique et inspirante. Il est un ambassadeur de la mer et un modèle pour les générations futures, rappelant à chacun que l’audace et la solidarité sont les véritables boussoles de l’aventure humaine.


Et enfin bien loin de tout ceux-là, un petit mot sur le dernier de l’épreuve, mon compatriote Denis Van Weynbergh qui, naviguant sur un bateau construit par le hongrois Nandor Fa (premier hongrois à finir le Vendée Globe) a pour objectif d’être le premier Belge à boucler la boucle autour du globe. Belgitude oblige, lors d’une interview en direct début décembre pour la quotidienne du Vendée Globe, il était vêtu d’un maillot d’Eddy Merckx, en hommage à la chute survenue par notre illustre champion survenue quelques jours auparavant comme il l’expliquera. Même à 10 000 lieus sur les mers, le Belge à ses priorités !
Evoluant à des années lumières de la tête de course (il n’a pas encore franchi le cap Horn le jour ou Charlie Dalin est arrivé) il montre que le Vendée Globe n’est pas une course pour tout le monde mais avant tout, une incroyable aventure humaine qui vous transforme pour la vie. Et je me joins à l’avis d’un rédacteur P2F en disant que ces performances m’émeuvent désormais bien plus qu’une finale de ligue des champions…

3 réflexions sur « Chapeau Charlie »

  1. Merci Mayo. Je n’y connais pas grand-chose en sport nautique mais j’avais été touché par le récit de Donald Crowhurst. Un amateur qui partit dans une course autour du monde et y perdit la vie. Après avoir sciemment truqué ses positions, à une époque où c’était encore possible. Et ayant perdu la raison et ne pouvant affronter sa supercherie, n’aura plus d’autre issue que le suicide.
    https://en.m.wikipedia.org/wiki/Donald_Crowhurst

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  2. Pour l’anecdote, c’est le bateau du Belge qui a servi pour le tournage du film  » Seul » qui raconte l’aventure d’Yves Parlier (interprété par Samuel Le Bihan) lors du Vendée Globe 2000. Favori, il demate dans les mers du Sud et alors que tout le monde abandonne après un démâtage, lui est parti réparé son mat dans une crique des Îles Stewart pour finir la course derrière. Histoire dingue d’un des plus grands cerveau de la voile française.

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