20 fevrier 2024, je suis à mon bureau, je regarde le ciel gris par la fenêtre, peu motivé par la pile de dossiers à traiter. Je consulte les nouvelles sur mon smartphone, retardant le moment où il faudra s’attaquer à ces fichus documents. Étonnement, je lis qu’Andreas Brehme, l’unique buteur de la finale de la Coupe du monde 1990 est décédé d’un arrêt cardiaque. Six semaines après son sélectionneur de l’époque, l’immense Franz Beckenbauer. Le site de l’Equipe se trompe et croit illustrer sa brève d’une photographie de Brehme prise prétendument lors de la coupe du monde 1990 alors que le joueur porte sur cette photographie le maillot de l’Allemagne réunifiée lors de l’Euro 1992. L’erreur est soulignée poliment dans les commentaires. Sans doute l’auteur de la publication de la photographie est-il né bien après 1990 et pensait que personne ne s’en apercevrait.
Je me sens vieux. Je parcours les autres commentaires sous la brève, chose que je ne fais jamais habituellement, souvent déçu par les moqueries ou l’agressivité déplacée des commentateurs. Quelques-uns rappellent combien la Coupe du monde 1990 a été mauvaise. « La pire de l’histoire », renchérissent certains. Ce sont mes premiers souvenirs de foot. J’ai toujours un livre souvenir sur cette Coupe du monde dans ma bibliothèque. J’y tiens particulièrement. J’aime le consulter de temps à autre et laisser infuser la nostalgie de mon enfance. Certes, elle ne fait pas partie des plus belles, mais elle reste ma première, celle qui m’a fait aimer ce sport et conduit à prendre une licence dans le club de foot de mon village pour passer durant 30 ans mes samedis après-midi puis mes dimanches matins à sillonner mon département pour jouer avec mes copains. La pire, vraiment?
Non, je ne peux me résoudre à cette conclusion abrupte. Je voudrais la sauver, nuancer les propos de ceux qui veulent la jeter toute entière aux oubliettes. Il y a pourtant des choses à sauver de cette édition. Cette feinte, si belle, du jeune Roberto Baggio face à la Tchécoslovaquie, qui efface son défenseur pour aller battre le portier adverse tranquillement. Et Carlos Valderrama, son look improbable, avec sa coupe de cheveux reconnaissable entre toutes et ses bracelets au poignet ? Cette passe lumineuse contre la RFA, futur vainqueur, à destination de Rincon qui inscrira le but de l’égalisation pour qualifier la Colombie pour les huitièmes de finale au bout du temps réglementaire. Il y a bien des beaux gestes à sauver de cette décevante Coupe du monde. Il faut reconnaître la beauté, fugace, quand elle apparaît. Il faut se souvenir des quelques moments de grâce qui impriment durablement la mémoire d’un jeune garçon tentant de reproduire ensuite les arabesques de ses nouvelles idoles dans le jardin familial. Je me souviens de l’élégance du jeune Enzo Scifo durant cet été italien. Je me souviens des pas de danse du vieux Roger Milla au poteau de corner, après son vilain tour joué au flamboyant René Higuita, plus renard que lion indomptable sur cette action. De la joie du feu follet Caniggia contrastant avec la frustration du gardien italien Walter Zenga encaissant le premier but de sa Coupe du monde après cinq matches lors d’une sortie hasardeuse en demi-finale à Naples.
De cette Coupe du monde naîtra l’interdiction pour les gardiens de prendre à la main le ballon suite à une passe en retrait de ses coéquipiers.
Après cette édition, les maillots des équipes seront floqués des noms des joueurs dans le dos lors des compétitions internationales, ouvrant la voie de l’individualisation. Le jaune or du Brésil deviendra fluo, les chaussures prendront bien quelques couleurs, les arbitres abandonneront progressivement leur habit noir. On commencera à parler du football comme d’un produit autant qu’un jeu.
Un beau livre sera écrit, avec cette Coupe du monde en toile de fond, par Gigi Riva, Le dernier penalty. L’auteur se demande si la Yougoslavie aurait pu survivre quelques temps encore si son équipe nationale avait continué son chemin et éliminé les tenants du titre argentin en quart de finale.
Ma cheffe me rappelle à la réalité en poussant la porte de mon bureau. J’ouvre mes dossiers. Mais que devient Marius Lacatus, international roumain dont le nom, semblant tout droit sorti d’un album d’Astérix, me faisait sourire à l’époque?
Et vous, que reste-t-il de votre première Coupe du monde?
Gribouille pour pinte2foot!
Pour commencer, nous te remercions Gribouille pour ce texte. Nous cherchons à créer un espace d’échange et c’est toujours un plaisir quand un lecteur prend sa plume.
Et sinon, ma première Coupe du Monde est la même que la tienne! Et c’est celle dont je connais absolument tous les résultats. Alors que je suis infichu de filer toutes les affiches des 8/1 de la Coupe du Monde au Qatar sans me tromper.
Ce qui etait particulier, j’ignore si tu es français, ce que nous vivions ce premier événement sans la présence des Bleus. Perso, étant également espagnol, j’avais la Roja à soutenir. Mais mes premières compétitions, le Mondial 90 et l’Euro 88, se déroulaient sans la France alors que le souvenir de la génération Platini était tellement frais pour la plupart.
Viendront l’Euro 92 raté et que dire de France-Bulgarie…
L’impression d’avoir raté une page magnifique de si peu…
De la génération Platini, nous n’avions que les dernières courses de Tigana avec Marseille. Les derniers arrêts de Bats, avant son remplacement par Lama au PSG. Fernandez ou Amoros qui disparaîtront à la suite de l’Euro 92.
Ferreri, Toure, Vercruysse ne prendront jamais la relève offensive. Et si JPP était à son top, il ne semblait pas appartenir à la génération Platini. Ou si discrètement.
1989 marquait la fin de carrière de Bossis et de Rocheteau dans des clubs qui signifiaient si peu de chose pour eux. Le Matra ou Toulouse…
Drôle d’époque pour le foot français jusqu’à l’Euro 96 et le peno raté de Pedros. Alors qu’il n’a jamais été aussi compétitif en Europe avec ses clubs…
Ma vraie première coupe du monde, dont tout le monde parlait dans la cour d école, chacun ayant son équipe préférée, facilitée par l absence de la France…peut-être celle aussi avec la plus grosse concurrence quand on voit le dernier carré (Pas de Bulgarie, de Corée ou de Turquie en demi…)
En effet mes premiers bribes de souvenir periode Platini c ‘est le france-allemagne 1982,ensuite l ‘euro 1984 belle equipe et superbe coupe du monde 86 au mexique,excellents souvenirs
Tu es né à la bonne époque Nono. Me suis maté plusieurs matchs de la génération Platini. Quelle équipe. Et moi qui suis de la génération Zidane, on peut quand même considérer que Platini est allé encore plus haut en terme de carrière. Ce qu’a fait Platini avec la Juve, ca reste au dessus des passages de Zidane à Turin ou au Real. Et son Euro 84 est la plus grande performance dans cette compétition. Et elle va etre dur à égaler…
Il m’en reste le souvenir de jours heureux à Lido di Iesolo, des premières fois où je pus me coucher à minuit, d’un merchandising déjà envahissant (Naranjito était omniprésent)..et surtout cette impression que tout le monde dans l’hôtel applaudissait équitablement le moindre but brésilien ou italien. Mais je ne pense pas que Brehme fût déjà international à l’époque.
Brehme est probablement l’un des tout premiers joueurs qui m’aient particulièrement impressionné : déjà il y avait sa dégaine à la Rutger Hauer (l’un des visages alors les plus flippants du cinéma, je me rappelle d’un film avec un autostoppeur, « Hitcher »).. cette ambidextrie peu commune aussi, je dus attendre Nilis (que je n’aime guère) pour retrouver cette indifférente aisance des deux pieds.
Rétrospectivement (car je manquais alors de bagage pour le réaliser), ce qui me marque le plus désormais : sa lenteur, peu commune dans le chef d’un latéral offensif européen. Il jouait volontiers au trot.
Wow un nouveau!
Salut gribouille! Merci pour le texte, Milla au poteau de corner, j ai dû la refaire mille fois dans la cours de recre ahah
Merci Gribouille et welcome sur P2F.
1ère CM : 1978, un souvenir précis du but de Lacombe sautant plus haut que Bellugi face à l’Italie. Les bleus en vert et blanc contre la Hongrie. La victoire argentine et les papelitos par milliers. Et des souvenirs diffus de bribes de matchs, dont je ne suis plus sûr qu’ils soient associés à des images vues en direct…
Le sublime petit bijou d’Andreas lors du match contre les Pays-Bas en 1990 :
https://youtu.be/25TF3SD-Axk?si=H5GxmTHcoUNJSvKF
Pour moi et mes copains de l’époque (été 1990) : on a passé le mois d’août à la page et à chaque fois que l’un d’entre nous marquait un but dans ces petits matchs improvisés sur le sable, il allait sur le côté et entamait une danse à la Milla 🙂
J’ai toujours ce maillot de la Nationalmannschaft acheté dans un souk à Agadir pour même pas 5 €
Lol.. T’en aurais combien maintenant, pour ce prix-là? Une vingtaine??
Merci pour votre accueil! C’est un plaisir de vous lire sur P2F. (PS: il y a une coquille dans mon texte: « seront floqués* ». Mea culpa)
Corrigé!
Ahah ne t excuse car c’est de ma faute.
En relisant le texte à la chasse aux coquilles, justement, j en ai fait une belle…
J ai modifié quelques trucs légers aussi, j espère que ça ne t embête pas.
Au plaisir de te relire en tout cas!
Merci Gribouille ! Ce n’était pas ma première Coupe du monde, mais le 2-0 de Brehme pendant RFA-Pays-Bas a été un souvenir jouissif, comme en général cette revanche de 1988 d’ailleurs. J’étais le seul supporter de la RFA dans ma résidence étudiante à Los Angeles, avec une vingtaine de gonzes affalés dans le salon autour de l’unique TV à parabole. Les grands médias US faisaient l’impasse sur la CM et on regardait Univisión avec Andrés Cantor au micro dont j’ai parlé par ailleurs. À 1-0, la RFA dominait nettement mais ne marquait pas, malgré un Klinsmann en mode extra-terrestre, et les pro-Oranje du salon espéraient un coup heureux. Et puis Brehme est arrivé, il a enroulé, et je me suis levé en hurlant « JAAAAAAAAAAAAAA ! » Encore mieux que la victoire en finale. Ce moment-là, le hold-up de Caniggia, Cameroun-Angleterre, et Andrés Cantor vocalisant « Salvatore Totooooooooooo Schiiilaaachi ! » sont mes souvenirs marquants de 1990.
Et la frappe de Brehme, face à Bats en 86, t’a procuré la même sensation? La France veut savoir!
Moi je l’aurais mauvaise : la faute en amont était vraiment douteuse, puis les Allemands ont cassé, cassé et encore cassé le jeu..
Certes la France n’a pas marqué, certes Bats se troue..mais les arbitres n’étaient quand même pas souvent très tendres avec vous.
C’était un combat d’infirmes : les Bleus étaient cramés. Platini jouait sur une jambe, Giresse sentait le poids des ans et le quart contre le Brésil avait été usant. La RFA était à peine plus fringante après un match à rallonge face au Mexique mais savait mieux gérer ces matchs là.
Quelle déception, celle-là, après le Brésil… À revoir les images, on s’aperçoit que Bats a fait un match lunaire. Le coup franc de Brehme et la sortie kamikaze sur le 2-0 de Völler… (venant sur une de ces relances à la main façon quarterback pour lesquelles Schumacher était connu) Difficile de gérer le fait d’avoir sorti le meilleur match d’un gardien français au XXème siècle juste avant, mais quand même…
1ere vraie coupe du monde pour moi (82 un gamin de 7 ans a de vagues souvenirs) mais cette demi et cette arconada de Bats sur le coup franc de ce monsieur à la tête de méchant m’avait rendu triste mais triste!^^
merci pour cet article
Sainte, je peux te conseiller, si cela t’a échappé, le livre « Espagne 1982, la coupe d’un monde nouveau » de B.Colombari et R.Coudrais pour te replonger dans ta première coupe du monde. Il est bien écrit, de mon point de vue, ce qui n’est pas toujours le cas de la littérature sportive.
S’agissant du but de Brehme contre les Pays-Bas, on peut dire que le bonhomme a été décisif lors des gros rendez-vous au cours de cette coupe du monde. Contre de (pâles) champions d’Europe en titre en 1/8e et en finale en inscrivant le penalty décisif face à un gardien argentin en état de grâce dans cet exercice. Il paraît qu’il a pensé, avec un peu d’envie, à son frère en vacances à Majorque au moment de tirer son penalty. Insubmersible mentalement ces champions du monde allemands, ai-je l’impression…
c’est quand même très drôle en lisant les réactions sur ce genre d’articles où l’on peut deviner l’âge de chaque personne selon le souvenir de sa 1ere coupe du monde, et encore ça dépend s’il est précis ou non^^ pour des amateurs de sports les JO ou une coupe du monde de foot (voir la victoire de Noah^^) c’est un marqueur certain
Merci Gribouille pour la recommandation non je l’ai pas lu et vu le partis pris de ce livre il se pourrait bien que je me le commande.
j’en ai déjà parlé je crois par ici en vrai j’ai quelques souvenirs diffus de ce « mundial » l’émir qui descend sur le terrain vu en direct, Dieu (encore seulement prince) qui se fait casser par un méchant ‘ »Lybien » à moustache vu en direct, la 1/2 de Séville et la finale merci les tontons parce qu’il fallait pas compter sur les darons qui n’ont jamais été dans le délire sport (même pas certains qu’ils sachent qu’on a été champion du monde en 98 et je plaisante à peine!!)
1984 bien sur j’ai grandis mais 1986 oui là j’ai tout vu ou presque (mes parents hallucinaient y’avait le décalage horaire)et Dieu m’est apparu et il était pas originaire de Joeuf^^
Comme 62 ne compte pas vraiment (pas de directs et pas de matchs en entier), la première vraie Coupe du monde sera seulement celle de 66.
Ils ne mettaient pas les matchs en entier en 62, Fred? Après, le décalage horaire devait jouer.
Les moyens techniques ne permettaient pas le direct avec le Chili en 1962. Le premier satellite de télécommunications, Telstar 1, a été lancé cette année-là et ne permettait qu’un direct très limité (quelques heures par jour quand il était à portée, car il n’était pas en orbite géostationnaire) entre l’Europe et l’Amérique du Nord. Il a d’ailleurs été rapidement mis en panne par les radiations résiduelles d’un essai nucléaire américain à haute altitude, mais ceci est une autre histoire. En 1966, on pouvait sans difficulté transmettre un signal TV des îles britanniques au continent par faisceau hertzien 24 heures sur 24, donc le direct (encore en noir et blanc) était possible.
Brehme ça me rappelle la VHS « 500 buts en avalanche » avec les coupes du monde 82, 86 et 90. Je l’ai usée jusqu’à la moelle.
Cette époque où les gardiens portaient les mêmes chaussettes que les joueurs de champ, ce qui donnait parfois lieu à des mélanges de couleurs improbables mais qui avaient plus de style que les ensembles fluos/flashy immondes que l’on voit dorénavant.
Ma première coupe du monde, c’est 1998, la première édition à 32 équipes (sûrement le meilleur format pour un mondial).