Boca Juniors: 120 ans « d’or et de boue » (8)

En cette année 2025, l’institution xeneize fête ses 120 ans. En effet, le Club Atlético Boca Juniors a été fondé officiellement le 3 avril 1905 dans le quartier du même nom. Passé de club de quartier populaire à club mondialisé totémique, Boca Juniors a toujours, plus ou moins, gardé une certaine identité sur le terrain, à base de lucha et de garra. Car l’âme véritable du club, est, selon les dires, dans le maillot à défendre, qui serait plus important que le joueur. La tunique xeneize, c’est peut-être elle la véritable idole du club ! À la fois, club le plus supporté et, forcément, le plus détesté du pays, Boca Juniors cristallise les passions et les haines. Pour célébrer et parcourir son histoire, Pinte de foot vous propose un long format sous forme d’un Top 50, bonifié et étalé sur plusieurs semaines, de ses plus illustres bosteros.

Photo d’en tête: Boca Juniors-Deportivo Cali (finale Libertadores 1978 match retour).
Haut (de gauche à droite): Mouzo, Suñé, Sá, Zanabria, Pernía, Gatti, Bordón
Bas (de gauche à droite): Mastrángelo, Benitez, Salinas, Perotti

20. Hugo Gatti

Le football argentin regorge de locos. Parmi eux, un gardien a hérité de ce surnom : Hugo Gatti. Excentrique et provocateur, cet ancien de River Plate, entre 1964 et 1968, impose quelques années plus tard son style si caractéristique à la Bombonera. Arrivé dans les bagages de Juan Carlos Lorenzo en provenance d’Unión de Santa Fé, Gatti est déjà trentenaire quand il débarque à Boca Juniors. Il était passé respectivement par Atlanta, River Plate, Gimnasia La Plata et donc Unión. Même s’il était irrégulier, avec plusieurs buts casquettes encaissés qui sont à mettre à son crédit, Gatti était reconnu comme un gardien talentueux. Le portier aux bermudas, chevaux longs, bandanas et couleurs flashy, ne laissait pas indifférent sur le terrain, et a su gagner le coeur des supporteurs.

Pendant plus de douze ans, il tient le but bostero. Il assurait le spectacle sur le terrain par son jeu atypique de « gardien-libéro », qui trouve racine dans une école latino-américaine en la matière. Il avait été à bonne école avec Amadeo Carrizzo comme mentor à River Plate. Il avait appris à anticiper les attaques adverses, par sortir rapidement pour couper les trajectoires, tel un libéro. Et dans ses relances, balle au pied ou rapides à la main, il participait à la construction des phases de jeu, intégrant plus le rôle du gardien dans le jeu collectif. Sur sa ligne, il avait de bons réflexes, agile, mais il n’aimait pas plonger. Il faisait le show avec ses sorties kamikazes, bras écartés et à genou, offrant sa poitrine pour stopper les tirs. Mais ses sorties balle au pied, allant jusqu’à dribbler, donnaient des sueurs froides aux supporteurs pour cette prise de risque. Gatti c’était une forme d’insolence dans les buts. Critiqué par les uns pour être un clown, adoré par les autres pour être le fou bien-aimé.

La plus longue carrière du football argentin professionnel était aussi une grande gueule qui proclamait qu’il était le meilleur à qui veut l’entendre. Ce qui n’était pas le cas, pour être honnête. International, il fut sélectionné pour le Mondial 1966, pour occuper le troisième ticket dans la hiérarchie des buts. Son style de jeu, ses tenues tapageuses, sa personnalité excentrique, c’étaient trop pour la junte militaire (celle qui fut instaurée de 1966 et 1973), qui imposaient ordre et discipline. Gatti sortait du cadre, trop flambeur et tape-à-l’œil sur et en dehors des terrains. Un temps mis de côté de la sélection, il était revenu aux affaires plusieurs années après. Il était le titulaire peu avant la Coupe du monde 1978, jusqu’à ce qu’une blessure au genou droit, six mois avant la Coupe du monde, l’empêche de jouer et le contraint à renoncer. Menotti ne le prend pas, alors que lui clame haut et fort qu’il est le meilleur gardien argentin. La pression médiatique était forte en faveur d’Ubaldo Fillol, bien meilleur et plus sûr.

Son style de jeu, qui n’avait rien à voir avec Fillol, ne faisait pas l’unanimité, perçu comme risqué. Gatti était déjà coupable d’erreurs, comme Carrizo en son temps. À l’image du bonhomme, l’une de ses meilleurs performance en sélection, fut, deux ans auparavant, lors d’une partie épique à Kiev contre l’Union Soviétique en mars 1976 – quelques jours avant le coup d’État et l’instauration de la dictature (la plus sanglante et criminelle, celle de 1976-1983). La légende veut que le gardien, pour surmonter le froid, avait caché une flasque de whisky dans ses buts. L’Argentine s’impose 1-0 sur un but de Mario Kempes, et le Loco Gatti aurait joué bourré l’une de ses meilleures prestations.

Pour revenir à sa carrière à Boca Juniors, elle commence sur les chapeaux de roue. Sur le terrain, il est décisif au sein d’une équipe qui gagne tout. Boca réalise une année 1976 parfaite – les deux titres. Lors de la finale de Libertadores 1977 contre Cruzeiro, c’est lors de la séance de tirs aux buts qu’il fait le show. Après l’aller et le retour, conclus sur le même score de 1-0 pour l’équipe locale à chaque rencontre, une belle a lieu au Centenario de Montevideo. Le match se termine par un 0-0. Place aux tirs aux buts. Les tireurs ont chacun tous réussi leurs tirs : 5-4 pour Boca qui a l’avantage. Vanderlei, le cinquième tireur brésilien, se présente pour égaliser. Gatti arrête le tir de ce dernier et permet à Boca Juniors de gagner sa première Copa Libertadores. Les Bosteros feront le doublé l’année suivante et ajouteront une Coupe Intercontinentale.

Cependant, il perd sa place de titulaire lors de la saison 1981. C’est durant le Metroplitano 1981, remporté par Boca sous l’impulsion de Maradona, qu’il se distingue par une action qui offre la meilleure définition du « goal volant » qu’il était. À quatre journées de la fin, Boca recevait Estudiantes. A 0-0, peu avant la mi-temps, Gatti anticipe une passe en profondeur et sort couper l’attaque adverse à 40 mètres de ses buts, comme il en avait l’habitude. Sauf que cette fois-ci, il en fait plus. Il continue vers l’avant, balle au pied – évite un adversaire, et se retrouve dans le rond central. C’est là qu’il laisse le ballon à Hugo Perotti, attaquant de Boca, qui s’envole sur quarante mètres pour aller inscrire un but incroyable. Tous les joueurs viennent fêter le but dans les bras de Gatti passeur décisif. Le score final reste de 1-0 et Boca maintient sa course en tête. Ce sera le troisième titre de champion pour le gardien, mais le dernier titre pour lui.

Après 1981, Boca vit ses plus mauvaises années. La décennie fut la plus difficile pour le club avec les difficultés financières, de l’Argentine et de Boca Juniors, entraînant une crise sportive prolongée. La Bombonera ferme un temps, impossible de l’entretenir. Des retards de salaires, plus d’argent dans les caisses, des joueurs qui s’impatientent, faute d’être payés. Gatti perdure dans les buts, bon an, mal an. Car, avouons-le, faute de moyens financiers, Boca n’a plus un rond pour s’acheter un gardien et remplacer son vétéran. Son histoire avec Boca s’achève brutalement. Le 11 septembre 1988, lors de la première journée du championnat contre le Deportivo Armenio à domicile. Une sortie hasardeuse et mal calculée, qui finie en but pour l’adversaire et qui fera perdre le match à Boca. C’est l’erreur de trop ! La bourde du gardien met fin à sa carrière xeneize. Gatti a 44 ans. Son passage à Boca Juniors se termine, commençant très fort et terminant de manière plus compliquée, avec des passages à vides, des erreurs et des tournois où il sera mis sur le banc, en plus de recevoir de plus en plus de critiques des tribunes. Mais Gatti, record de longévité du football argentin, aura marqué son époque et le club, autant par ses tenues que son style de jeu. L’ex de River, qui recevait des balais des tribunes hostiles à son arrivée, a su devenir un pur bostero.

19. Francisco Varallo

À sa mort centenaire en 2010, Francisco Varallo était le dernier survivant, et témoin, de la première finale de la Coupe du Monde. Pancho Varallo c’était un emblème du football argentin de la décennie 1930, celle des débuts du professionnalisme. Il commence sa carrière au Gimnasia y Esgrima La Plata, avec lequel il est sacré champion d’Argentine en 1929. « El Lobo » devance Boca Juniors justement, après sa victoire en finale 2-1 (le championnat 1929 était divisé en deux groupes, avec une finale entre les deux premiers pour déterminer le titre). Le tout jeune Varallo, grande révélation de la saison, est l’un des artisans de ce titre. A 19 ans, il est l’un des plus talentueux du onze victorieux et un grand espoir du football argentin.

Dans la foulée, il ne perd pas de temps et il devient international. L’inter-droit est titulaire à 20 ans lors de la Coupe du Monde 1930. Il joue les deux premiers matchs et inscrit un but contre le Mexique. Il se blesse contre le Chili lors du troisième match, et est absent de la demie. Revenu pour la finale, il est titulaire au coup d’envoi de la première finale de l’histoire contre l’Uruguay, mais jouera diminué. De ce Mondial 1930, il en gardera un souvenir amer et vivace. À plusieurs reprises, ressassant ses vieux souvenirs, il avouera de n’avoir jamais digéré la défaite. Il dénonça les incidents et menaces envers l’équipe d’Argentine pendant le match qui pesèrent sur ses coéquipiers qui « étaient effrayés de remporter le match » selon lui. Au point que certains furent convaincus, qu’« on sortira pas vivant si on gagne le match » protesta t-il un demi-siècle plus tard, en prenant exemple de Luis Monti méconnaissable et apeuré durant le match. Même si ce fut exagéré de sa part, l’atmosphère fut tout de même électrique à Montevideo, la rencontre pouvant basculer dans un sens ou l’autre selon l’issue finale, d’après les divers témoignages de l’époque.

Après le Mondial, il reçoit des offres de l’Italie, mais signe finalement à Boca Juniors sur les conseils de son coéquipier en sélection, Roberto Cherro. Il rejoint le club pour la saison 1931 et se voit offrir un très bon salaire pour l’époque. L’institution xeneize aligne les quelques milliers de pesos nécessaire, 8 000 selon plusieurs sources, pour s’acheter les services du grand espoir du foot argentin. Le professionnalisme est officiellement instauré, Boca Juniors a la réputation d’un club populaire, ce qui est véridique à l’époque, le stade est rempli par la classe ouvrière du quartier et des alentours, mais le club a tout de même des réserves en caisse. Même si River Plate défraie la chronique en achetant plusieurs joueurs à coup de milliers de pesos, dont Barnabé Ferreyra, le mortier de Rufino qui était l’attaquant star, Boca n’était donc pas non plus sans le sou ! Et River Plate était aussi sur Varallo, signe que le marché du football se consolidait déjà autour des grands clubs de Buenos Aires, qui avaient les moyens d’attirer les meilleurs joueurs de l’interior et des clubs moins huppés de tout le Grand Buenos Aires. Ce qui aboutira à la consolidation des cinq grands qui trusteront les titres et les places sur le podium.

Les trois premières saisons de Varallo avec la tunique auriazul sont exceptionnelles ! Il dispute 85 matchs sur ces trois années et inscrit autant de but ! Une moyenne parfaite d’un but par match. La première se conclut collectivement sur le titre national, la troisième individuellement avec une place de meilleur buteur du championnat avec 34 réalisations. Au même moment, la rivalité Boca-River prend de l’ampleur. C’est au cours de la décennie que les confrontations s’intensifient de chaque côté, que les premiers récits épiques se forgent, autant que le côté décisif des rencontres. En 1931, durant le championnat, après avoir obtenu un penalty, et mené au score par River (0-1), Varallo le tire et voit le gardien de River le repousser, le ballon revient sur Varallo qui tire sur la barre, le ballon retombe, dedans ou dehors ? … Et c’est le début de la confusion, l’arbitre accorde le but. S’ensuit de vives protestations des joueurs de River, et le début d’échauffourées. Trois cartons rouges de sortis, mais les expulsés ne veulent pas quitter le terrain. Finalement, après conciliabule, les joueurs de River Plate se retirent ensemble en signe de protestation. Boca gagne le match sur tapis vert. Le « match » se poursuit dans la rue autour du stade, la police doit intervenir. Une des premières pierres qui alimentent la rivalité.

Varallo regagne deux nouveaux titres en 1934 et 1935. Il forme une attaque redoutable avec ses compères Cherro et Benitez Caceres. Il est l’auteur de 41 buts en 49 matchs sur ces deux saisons. Au terme de sa carrière avec Boca, il était en troisième position des meilleurs buteurs de l’histoire du club avec 194 buts, entre Cherro et Tarasconi. Joueur technique, agile, doté d’une bonne frappe de balle, celui qu’on surnomma «El Cañoncito » était un attaquant également puissant et efficace, malgré sa taille modeste (1 mètre 70). Il s’entendait à merveille avec son ami Cherro, « de mes 181 buts avec Boca, 150 je les dois à Cherro » confessa-t-il. Lui dans un rôle de 9, Cherro dans celui de 10.

Pancho remportera tout de même un titre avec l’Albiceleste : la Copa América 1937. Une compétition durant laquelle il est titulaire à tous les matchs et inscrit trois buts. Son meilleur souvenir en sélection est néanmoins une victoire en 1933 sur les terres uruguayennes au Centenario, 1-0, sur un but de lui-même. Une petite revanche sur le passé qui lui a toujours laissé un goût amer. Cependant, il loupe la saison 1938, et une nouvelle blessure le contraint à mettre un terme à sa carrière à 30 ans.

18. Carlos Sosa

« Centre de Sosa, but de Boyé », c’était la définition d’une action classique dans les années 1940, dans les discussions chez les supporteurs de Boca Juniors ou dans les retranscriptions de la presse. Et ça marchait aussi avec l’Uruguayen Varela : « Centre de Sosa, but de Varela ». Celui qui centrait souvent pour le but de l’une des deux vedettes de l’attaque xeneize, c’était donc Carlos Sosa. Milieu droit, évoluant au sein du trio magique Pescia-Lazzatti-Sosa, Lucho était reconnu pour sa précision et sa force de frappe. Et pour beaucoup de ses contemporains, c’était lui le meilleur tireur de coup franc. Mais il n’était pas seulement un magnifique artificier. Bien qu’ayant un rôle défensif à remplir, ce qui était généralement le plus demandé à un demi-droit, de se mettre au marquage de l’ailier gauche adverse ; il était très apprécié pour ses qualités offensives. Il multipliait les montées sur son côté droit qu’il illuminait de son élégance dans sa conduite de balle et de sa grande technicité. Et parfois même, il s’autorisait des dribbles. Un profil aussi offensif, quasiment comme un ailier par moment, c’était plutôt rare à son époque pour un milieu droit.

Sosa avait débuté sa carrière en 1939 au Club Atlético Atlanta. Il y reste deux saisons avant de rejoindre Boca Juniors. Le club de la Ribera débourse 20 000 pesos, inclus deux joueurs dans la transaction et l’organisation d’un match amical entre les deux équipes pour financer le reste au club bohemio. Boca Juniors ne se sera pas fait avoir dans l’affaire. Le joueur ne déçoit pas. Rapidement, Lucho Sosa montre tout son talent sur les terrains. Il est l’un des joueurs les plus doués à son poste et du football argentin. Il met ses qualités techniques au service du jeu offensif, mettant en lumière les spécificités de son poste, jusque-là moins considérées dans les schémas tactiques et collectifs. Il n’oubliait pas non plus son rôle premier de défendre. Son sens de l’anticipation pour couper les trajectoires des attaquants était redouté, tout comme son strict marquage : « El wing, que me siga siempre de atrás » (« L’ailier, qu’il me suive toujours de derrière ») annonçait-il fièrement. Avec le recul, beaucoup le considèrent comme l’un des tous meilleurs arrières droits argentins, même si à son époque le poste n’existait pas dans les faits.

A Boca, il eut l’opportunité de déployer toutes les facettes de son jeu, en particulier sa capacité à se projeter offensivement. Car ses coéquipiers le couvraient. Que ce soit un José Marante en défense qui coulissait sur son côté droit, ou Pio Corcuera, un attaquant qui était reconnu pour son labeur défensif, qui, inversement, couvrait ses montées. Pour Sosa, ce jeu était naturel, ça venait du barrio, onze contre onze, tout le monde joue. Mais il fallait se situer et chacun devait bien se placer sur le terrain, que tous se coordonnent. La clé du succès pour ne pas laisser des espaces et se faire prendre. Naturellement, il fut un homme-clé du doublé national en 1943 et 1944, quand Boca s’est taillé une part du gâteau dans ces fabuleuses années du football argentin. Sosa est indissociable de cette équipe et de son trio médian dominateur et complémentaire. Même s’il devait faire face aux remontrances de Lazzatti, le chef d’orchestre, pour canaliser son ami Lucho, lui demandant de bien équilibrer entre son travail défensif et sa volonté d’attaquer.

Ses performances individuelles lui permirent d’intégrer l’Albiceleste, où la concurrence était forte à chaque poste. Il est double vainqueur des Copa América 1945 et 1946. Lors de l’édition chilienne en 1945, il joue tous les matchs de la compétition. Le même milieu est aligné à chaque match : Sosa à droite, Angel Perucca (Newell’s Old Boys) au centre, et Bartolomé Colombo (San Lorenzo) à gauche. Sosa brille dans le tournoi, et est distingué dans l’équipe-type, établie par le journal brésilien O Globo Sportivo. L’année suivante, il perd sa place au profit de Juan Carlos Fonda (Platense). Sa carrière internationale sera de courte durée. Un différend tactique avec le sélectionneur Guillermo Stábile. Selon Sosa, Stábile ne l’aimait pas et préférait un profil plus défensif et moins extravagant que le joueur de Boca. Trop offensif au goût du sélectionneur, il reste en marge de la sélection pour les années suivantes. Mais cela ne l’empêche pas d’être, encore une fois, a posteriori, cité parmi de grands journaux argentins et la Fédération comme l’un des meilleurs internationaux de l’histoire au poste d’arrière droit. Après son double sacre, Boca enchaîne trois secondes places. River par deux fois (en 1945 et 1947) et San Lorenzo (1946) se montrent plus fort sur les trois saisons suivantes.

Puis survient la grève des joueurs argentins en 1948. Sosa, qui est également représentant syndical des joueurs, est l’un des plus actifs dans ce mouvement. Il reste en Argentine, contrairement à beaucoup d’autres. Orphelin de Lazzatti, Boca Juniors est à deux doigts de descendre à l’issue de la saison 1949. L’équipe est totalement remaniée et se sauve pour un point, dans une saison encore perturbée par le mouvement social et largement affaiblie par la fuite des talents. En 1950, toujours accompagné du fidèle Pescia, mais sans toujours avoir trouvé le remplaçant de qualité à Lazzatti, Boca termine néanmoins second derrière le Racing. En 1952, Boca recrute Francisco Lombardo de Newell’s Old Boys au poste de demi-droit.

Sentant son heure venir, le vétéran Lucho part pour la France, ne voulant pas cirer le banc à Boca. Le Racing Club de Paris l’engage. Il y jouera plusieurs saisons au point de terminer sa carrière là-bas. Sosa relata son expérience française et européenne à son retour au pays, il y découvrit un football aux méthodes plus professionnelles et aux règles strictes, une dimension plus importante de l’athlétique et du physique. Là-bas, dans un football tactiquement différent, il met sa polyvalence, sa science du jeu et ses qualités techniques à contribution, pour faire le lien entre les footballs. Qui mieux que ce joueur emblématique et ambassadeur de l’âge d’or du football rioplatense.

17. Roberto Mouzo

Roberto Mouzo à Boca Juniors, c’est synonyme d’abnégation, de sacrifices, de sueur, d’amour du maillot. Le défenseur, qui ne comptait pas ses efforts sur le terrain, incarnait ces valeurs chères à Boca. Il est toujours le détenteur du record d’apparitions officielles sous le maillot de Boca Juniors avec 426 matchs. C’était la rigueur et la discipline hors du terrain pour rester au plus haut niveau. Durant toute sa carrière, il consentit à travailler dur pour se maintenir, s’imposer des règles pour tenir sa condition physique, ce qui nécessita deux fois plus d’efforts et de travail que ses coéquipiers selon lui. Mouzo était réputé pour ses heures supplémentaires de travail physique en dehors des entraînements, ainsi que son travail méticuleux d’observation et de décorticage des attaquants adverses (un précurseur de l’analyse vidéo). Défenseur central qui a grandi comme hincha de Boca Juniors, il a pris la succession du péruvien Julio Mélendez, qui était l’un de ses idoles de jeunesse au même titre que l’immense défenseur argentin Roberto Perfumo.

Sorti du centre de formation, il débute en équipe première en 1971, plutôt comme arrière droit, avant d’être très vite repositionné au centre. Il s’impose très vite au début des années 1970 dans l’équipe xeneize. Mais sa carrière prend un tournant avec l’arrivée de Toto Lorenzo, l’ex-sélectionneur de l’Albiceleste, qui impose son style et ses méthodes : une discipline rigoureuse, le travail physique et des entraînements quasi militaires. Du travail, de l’efficacité, de l’exigence, cela correspondait parfaitement à Mouzo. Il devient une pierre angulaire du dispositif et de l’équipe. Au fil des matchs, Boca retrouve le haut du tableau et renoue avec le succès. Une équipe de « salopards » et de « bouseux » qui part à l’assaut du continent.

Sous les ordres du caractériel Lorenzo, Boca remporte les deux titres de l’année 1976. Dans le Metropolitano, c’est surtout au second tour final que Boca Juniors fait forte impression, en étant invaincu sur les 11 journées, avec seulement 8 buts encaissés. Premier et champion, Boca devance Huracán, qui avait pourtant largement dominé le premier tour. Dans le Nacional, Boca maintient son niveau, termine premier de son groupe, et se défait consécutivement de Banfield et Huracán, avant de battre River Plate en finale (1-0) sur un coup de franc de Rubén Suñé. Mouzo, qui n’avait rien d’un joueur exceptionnel, mais qui compensait par sa garra et ses qualités physiques, ainsi que d’une bonne anticipation et lecture du jeu, défendait d’une main de fer. Avec Pernia et Tarantini sur les ailes, il occupait l’axe avec l’expérimenté Francisco Sá, idole d’Independiente des années 1970.

Devenu maître sur la scène nationale, Boca s’attaque à son rêve: la Libertadores. La mission est accomplie en remportant l’édition 1977. La défense de fer a parlé : seul 3 buts encaissés en 13 matchs, avec beaucoup de victoires 1-0. C’était un Boca efficace, pragmatique, dur. Lors de sa première Copa Libertadores de son histoire, face aux Brésiliens de Cruzeiro, Mouzo montre l’exemple et tire le premier lors de la séance des tirs aux buts. Il n’avait déjà pas tremblé face au Deportivo Cali au tour précédent pour égaliser sur penalty (1-1), un match qui pouvait s’apparenter à une demi-finale décisive dans la phase de groupe à trois. En finale, sur ce tir au but, le destin est de son côté. Mouzo s’élance et son tir s’écrase sur le poteau… mais l’arbitre lui ordonne de le retirer pour une faute du gardien qui s’est trop avancé. Mouzo ne rate pas son second essai et lance Boca Juniors. Déjà lors du premier tour, il avait de la réussite sur son penalty face à River, qui était dans le même groupe, ce qui était la règle à l’époque, les deux qualifiés de chaque nation croisaient le fer en phase de groupe. Mouzo avait manqué son penalty qui toucha le poteau et Fillol, mais il avait pu marquer en suivant l’action et en reprenant le ballon d’un tir puissant, alors que le ballon s’était arrêté sur la ligne et n’avait que quelques centimètres à franchir…

L’année suivante Boca réalise le doublé contre le Deportivo Cali. Boca se sort de tous les pièges dans cette lutte sans pitié, avec évidemment Mouzo en première ligne. Entre deux, Boca Juniors remporte également la Coupe Intercontinentale de 1977 contre le Borussia Monchengladbach, qui avait remplacé Liverpool. Au sommet de sa carrière, Mouzo aura peu connu la sélection, quelques capes internationales tout de même à son actif. Il était avant tout un joueur de Boca et taillé pour cette équipe. Trop juste pour le niveau supérieur. L’équipe manque le triplé continental, car elle sera défaite en 1979 par Olimpia. Mouzo connaît quelques blessures, et est moins performant. La fin de cycle Lorenzo se fait sentir. Elle sera effective après cette défaite contre les Paraguayens.

Mouzo redevient performant et une figure du onze lors du Metropolitano 1981, tenant impitoyablement son rôle en défense dans l’équipe championne et couve l’éclosion de son jeune partenaire en défense centrale, Oscar Ruggeri. Empêtré dans une crise économique et sportive, Boca galère dans les années 1980 et en 1984, Mouzo quitte Boca Juniors, qui le laisse libre après un conflit avec sa direction et une partie de ses coéquipiers, dont Ruggeri et Gareca, sur fond de grèves, de division interne et de salaires impayés. Il mettra un terme à sa carrière peu de temps après, et fut même un temps « banni » de la Bombonera, avant qu’on lui pardonne et érige une statue dans les couloirs du stade. Car, Mouzo est un symbole du club qui a laissé une belle page dans l’histoire de Boca, et son record prestigieux, n’est pas près d’être battu.

16. Sebastián Battaglia

Le joueur le plus titré de l’histoire du club avec ses 17 trophées (sept championnats locaux et dix coupes internationales) est un enfant du « bianchismo ». Sebastian Battaglia a été repéré par Jorge Griffa, le plus célèbre dénicheur de talent argentin, qui avait offert ses services à Boca. Formé au club, le Santafésino débute sa carrière avec le maillot auriazul en mai 1998. Le début d’une longue histoire avec Boca, auréolée d’une multitude de titres, mais gâchée par de nombreuses blessures.

Au début de l’année 2000, il a l’opportunité de jouer plus et il saisit sa chance. Bianchi lui fait confiance et lui accorde un plus grand rôle dans l’équipe, l’inclut dans la rotation de son milieu, avec Josué Basualdo, Gustavo Barros Schelotto, Julio Marchant. Diego Cagna et Cristian Traverso se partagent le poste du milieu central défensif. Très utilisé durant la Libertadores 2000, à laquelle il prend une part importante, Battaglia se montre décisif au retour contre River Plate. Dans le quart de finale retour, il provoque le penalty transformé par Riquelme qui amène le 2-0 et offre la passe décisive à Palermo pour le 3-0. Battaglia sera aligné titulaire pour la finale, à l’aller et au retour. Son travail d’abattage, de récupération et de transmission au milieu a convaincu l’exigeant Bianchi. C’est la première Libertadores qu’il remporte. Au total il en remportera quatre, record à Boca Juniors qu’il partage avec Hugo Ibarra et Guillermo Barros Schelotto. Battaglia s’impose définitivement dans le onze. Il est devenu la pièce maîtresse du milieu qui gagne un nouveau championnat, l’Apertura 2000, et l’Intercontinentale contre le Real Madrid. À la fin de l’année 2000, à tout juste vingt ans, Battaglia est promis à un bel avenir. Il est devenu un rouage essentiel de Boca, tout en discrétion, car il n’avait pas besoin de crier pour s’affirmer dans l’entre-jeu xeneize.

Mais en décembre 2000, contre Independiente, survient sa première grave blessure qui le freine durablement. Une déchirure des ligaments croisés du genou le met sur la touche pour de longs mois. Il ne joue quasiment pas de l’année 2001, tout au plus une petite dizaine de matchs, dont deux en Libertadores dont la finale aller, que remporte à nouveau Boca Juniors. 2002 est l’année du renouveau pour Battaglia. Rétabli pleinement, il regagne peu à peu sa place et retrouve son niveau de jeu. La confirmation de son retour et de son influence au sein de l’équipe et du jeu xeneize est pour l’année 2003. Un nouveau triplé pour Boca Juniors. Le club remporte la Libertadores contre Santos, l’Intercontinentale contre le Milan AC et un championnat: l’Apertura 2003. À chaque fois, Battaglia se montre impérial en finale. Revenu à son plus haut niveau, il saisit sa chance d’aller en Europe. Il rejoint Villarreal au mercato hivernal. Le club espagnol s’est transformé en colonie xeneize et sudaméricaine. Il passe une saison et demi au sein du « Sous-marin jaune ». N’ayant pas réussi à s’imposer, et une nouvelle fois freiné par ses blessures, il fait son retour à la maison Boca dans l’équipe d’Alfio Basile. Battaglia passera six nouvelles saisons, entassant les trophées et toujours freiné par des blessures à répétition.

Car, sans ses blessures et en pleine possession de ses moyens physiques, Battaglia est « El Equilibrista » comme Coco Basile le surnommait. Certains l’ont vu comme le nouveau Rattin pour ses similarités dans le jeu, de son rôle à la récupération du ballon et son état d’esprit combatif sur le terrain. D’autant que Battaglia avait la même particularité que l’illustre légende, de ce joueur au profil bas, discret sur le terrain, qui ne font pas la une les lendemains de matchs, mais tellement essentiel à l’équilibre de leur équipe, dans le repli défensif pour arrêter les contres attaques, ainsi que pour réajuster l’équipe dans les transitions. La sentinelle Battaglia était agressif – dans le bon sens – pour récupérer la balle, avait un jeu de tête impeccable et assurait par moment le « sale boulot » et capable, à l’inverse, d’apporter en attaque. L’ADN xeneize de ces années-là en quelque sorte : solidarité dans l’effort et intelligence collective. Pas un joueur spectaculaire, mais son rôle était précieux. Car, quand il était sur le terrain, Battaglia interprétait son rôle à perfection. Et Boca gagnait. C’était cela aussi Battaglia. Un talisman, imprégné de toute cette mystique gagnante insufflée par Bianchi et qui a perduré pendant toute cette époque dorée des années 2000. Et Battaglia en était un élément, un symbole.

Très apprécié par les supporteurs qui l’adorait, car Battaglia ne décevait jamais dans les confrontations avec River Plate. Il l’était aussi de ses coéquipiers. D’autant qu’en dehors des terrains, il assumait ce même rôle d’équilibre dans un vestiaire divisé entre les « palermistas » et les « riquelmistas », selon les futilités et égos des deux leaders. Avec le temps, l’expérimenté Battaglia paraissait un vétéran à Boca. Et pourtant il n’avait pas encore atteint la trentaine. Au milieu, au fil des saisons, il entoure et forme ses nouveaux partenaires, appelés à un grand avenir, comme les jeunes Fernando Gago ou Éver Banega. Que ce soit dans les succès lors de la Copa Sudamericana 2005 ou de la Copa Libertadores 2007, il rayonne à nouveau. Plombé par les blessures à répétition, qui l’ont fortement limité, Battaglia met un terme à sa carrière en 2011 à 31 ans. Il n’a jamais été une star, mais un titulaire absolu quand il était en état de jouer. Un symbole de l’histoire du club, d’un âge d’or récent, comblé de titres et de records.

à Samedi prochain pour la suite !

26 réflexions sur « Boca Juniors: 120 ans « d’or et de boue » (8) »

    1. Dans une interview des années 70, que j’ai consulté pour écrire son paragraphe, il disait qu’ils étaient très bon amis. Au départ, Amadeo l’a pris de haut, parce que forcément c’était lui le boss et Gatti arrivait pour le foutre dehors. Mais Gatti disait qu’il avait beaucoup appris de lui, Carrizo jouant son role de mentor. Ils finirent par bien s’entendre.

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    1. Outre des soucis récurrents avec les kilos, je crois que Cherro avait régulièrement des problèmes de maîtrise de lui même, il sortait trop vite de ses gonds. Il me semble même que face à la France, c’est le cas quand les supporters uruguayens le provoquent.

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    1. Il faut demander à Fred, c’est lui le spécialiste du Racing parisien. D’ailleurs je me demande ce que Sosa a laissé là bas (et si influence quelconque sur le foot français…), il passe quasiment toute la décennie 1950 en France. et c’était pas n’importe qui dans le football mondial des 40s.

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      1. Un des rares noms que j’aurais pu citer pour les défenseurs des 40’s, c’est dire 😉

        Référence mondiale, non?

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    1. Oui Battaglia et avec Riquelme, la saison d’avant leur demi finale de Ligue des champions. La moitié de l’équipe Boca 2000 est passée à Villarreal, les asados devaient être bons là-bas pour tous les attirer.

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  1. Mouzo, pour tout dire, je pensais qu’il serait plus haut dans le classement pour tout ce qu’il représente, cet acharnement à performer avec des séances d’entraînement de spartiate.

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  2. J’ignorais que Gatti avait joué jusqu’à ses 44 ans, en 88?? Je l’associe tellement aux 70’s………..mais en fait je l’ai manqué de peu en live, donc. Ca me fait bizarre.

    Et en 88, à juger de ce que je lis de ci de là : il ne fait pas de la figuration ou le nombre, non : il joue!..et beaucoup!

    D’archives : jamais été convaincu, en exagérant un peu on dirait un joueur de champ qui dépanne. Et je ne dis pas ça parce qu’il avait des penchants pour l’avant, mais pour son style dans le but. Ceci dit : je comprends mieux à ton portrait son caractère légendaire. Et pour rester dans le même genre, il me paraît d’un niveau incontestablement supérieur à un Higuita, il a quelque chose comme gardien.

    Sa dégaine de Joe l’indien, sa longévité.. Il me fait penser au Yougo Ratko Svilar..dont même pour le caractère fantasque, quoique : j’ignore si, à l’instar de Svilar, Gatti s’est fait rattraper aussi par la patrouille pour des histoires d’arnaques et trafics en tous genres, et quelques fois plutôt minables.

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    1. Gatti est souvent placé en bonne place de l’histoire des gardiens argentins, et même souvent premier de ce genre de onze historique à Boca. Ici, je l’ai mis plutôt haut pour des raisons plus symboliques que d »un haut niveau footballistique (c’était pas un manche non plus..). Roma et Cordoba qui sont déjà passés, étaient bien meilleurs que lui. Et en Argentine, facile d’en trouver une demi-douzaine bien meilleurs. Dégaine de Joe l’Indien haha je sais plus quel joueur de Boca (Mouzo ? ou un autre) disait que Gatti « bronzait » dans les buts de Boca.

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    2. Ce qui a également nourri sa légende à Boca, c’est quand le public l’a cru mort à la suite d’un choc contre un joueur d’Independiente. Il était sorti inconscient, la gueule en sang. Sinon, suis comme toi, jamais accroché à lui.

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  3. Battaglia, une saison et demi pour s’imposer ou non.. : c’est beaucoup et peu à la fois, il n’y avait vraiment pas d’autre raison? Ces blessures que tu évoques, aussi? Toutes les parties ont dû s’y retrouver.

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  4. il arrive au mercato d’hiver, il est dans le coup sur cette demi saison. mais la saison suivante, il est blessé et titulaire à l’infirmerie. je crois que marcos senna explose aussi au même moment, il a jamais retrouvé de place.

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      1. Merci, si ça plait aux fidèles lecteurs, c’est déjà ça hehe. (Et c’est pas fini, on avance mais il y a encore du bel ouvrage à venir)

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      1. Possible.
        Il a aussi fait quelques grandes prestations contre River.

        Sur les CF qu’il prend, on peut admirer le sens du placement de Gatti 😀

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