Aux innocents les mains pleines

Chaque compétition de football est précédée d’une cérémonie très attendue : le tirage au sort. La refonte en profondeur des trois coupes européennes de cette saison 2024/2025, supprimant la phase de poules pour un championnat unique à 36 équipes, oblige l’UEFA à modifier considérablement son mode opératoire. Ce sera un tirage hybride, demandant l’intervention humaine et, pour une large partie, de l’outil informatique. Ce mode de sélection aléatoire n’est pas sans risque et il arrive parfois qu’un grain de sable bloque les rouages de cette belle mécanique, comme on l’a vu lors du tirage des huitièmes de finales de la ligue des champions, le lundi 13 décembre 2021. Une série d’erreurs et d’omissions a mis l’instance européenne en fâcheuse posture, jusqu’à l’invalidation et la reprogrammation du tirage. Un « problème technique généré par le logiciel d’un prestataire externe » se défendait l’UEFA.

Tirée par une main innocente, l’intervention ne devrait souffrir d’aucune contestation possible, et pourtant tel n’est pas toujours le cas. La manoeuvre est délicate et demande du professionnalisme, un couac et toute l’intégrité du tirage est remise en cause. Que ce soit par la main de l’homme ou le truchement d’une machine, la suspicion n’est jamais bien loin. Il faut savoir que le tirage au sort intégral n’existe pas, il est dirigé de façon à maintenir le suspens jusqu’à la finale. Si bien que des têtes de séries sont désignées et ne pourront se rencontrer que tard dans la compétition. Entre également en compte l’aspect géographique et politique. En effet, il est préférable d’homogénéiser les groupes, pour qu’ils ne ressemblent pas à des joutes continentales. De même il sera préférable d’éviter de faire se rencontrer deux équipes de pays belligérants ou politiquement en froid. Avant la Coupe du monde 1966, les tirages se faisaient à l’écart des télévisions, dans un relatif anonymat, mais ils sont dorénavant mis en scène, spectacle à l’appui. C’est devenu un show. L’annonce d’une équipe phare se retrouvant dans le groupe de la « mort » peut susciter l’interrogation, voire la défiance. Le tirage d’Italia 1990 nous offrit un de ces moments dont Diego Maradona seul peut nous gratifier. Il accusa l’actrice italienne Sophia Loren d’avoir utilisé une bague aimantée pour servir le destin des Azzurri. Il écopera d’une forte amende pour calmer son courroux. En 2006, ce sont des journalistes italiens qui émettent des doutes sur la main innocente, incarnée par le champion du monde allemand, Lothar Matthäus. Cette fois-ci, il y aurait eu utilisation de boules chaudes et froides pour évincer leur « squadra azzurra« . L’attitude de l’ancien capitaine de la Mannschaft tirant une sphère, la reposant, pour en prendre une autre n’aidant pas à adoucir le climat. La polémique prendra fin avec la victoire finale de l’Italie devant la France.

Le tirage au sort d’España 1982 ne vit pas intervenir la main de l’homme, mais d’énormes sphères à l’image de celles du loto national, pour un résultat… catastrophique. Une erreur de manipulation au moment d’introduire les équipes d’Amérique du Sud, aboutissait sur des groupes erronés, entrainant un nouveau tirage au sort pour la Belgique notamment. Et quand ce n’est pas l’humain, c’est la technique qui rend l’âme. Une des sphères bloque une boule et l’ouvre, initiant un ballet d’officiels essayant de dégager celle-ci, devant un parterre d’enfants goguenards.

Le jeune secrétaire de la FIFA, Sepp Blatter, prit la décision d’en finir avec le tirage à la main. Adieu le système mécanique, désormais laissé aux oubliettes. La Ligue des Champions 2013 ne calmera pas les adeptes de la théorie du complot, en particulier à la suite du tirage des huitièmes de finales. Chaque tirage de l’UEFA fait l’objet d’une répétition la veille de la cérémonie afin d’éviter les embuches de dernière minute. La cérémonie se passa bien, trop bien même, car elle proposa un résultat en tout point identique à celui de la veille ! De quoi interpeller les conspirationnistes qui n’hesiterent pas à mettre en exergue la faible probabilité de voir un tirage à seize équipes, similaire d’un jour sur l’autre. Alors tricherie ou coïncidence ? Ce ne sont pas les sorties mémorables de deux anciens dirigeants du football, qui calmeront les esprits chagrins. Sepp Blatter, tout d’abord, pense que tricher lors d’un tirage au sort est possible, mais pas à la FIFA bien entendu. Il avoue l’avoir vécu dans la Confédération Européenne, sans toutefois dénoncer les fautifs et sans juger utile de s’en émouvoir publiquement auparavant. Michel Platini lui, admet avoir été l’instigateur d’une « petite magouille », afin de s’offrir un France-Brésil en finale du Mondial 1998 dont il était coorganisateur. Il disposa, avec l’aide de la FIFA, les deux pays dans les groupes A et C, de telle sorte qu’ils ne se rencontrent pas avant la finale, à condition qu’ils finissent premiers de leur groupe respectif. Là aussi, on peut se demander s’il est bien opportun de le rappeler vingt ans après, quand bien même, « les autres le faisaient aussi dans les précédentes coupes du monde » dixit Platoche. Ces arrangements entre amis desservent-ils le football ou est-ce le prix à payer pour voir de grandes confrontations ? Soyons pragmatique, après tout. N’est-il pas préférable de penser, comme le dit le proverbe, que faute avouée est à moitié pardonnée ? 

Remuald Gaudès pour pinte2foot !

8 réflexions sur « Aux innocents les mains pleines »

  1. J’ai reconnu la photo aussi sec, ce tirage à la noix, lol..

    La Belgique, les organisateurs ne surent décidément qu’en faire en 82 : brin miraculeusement (ce match bizarre face aux Hongrois) première de son groupe, devant l’Argentine, la Belgique est donc appelée à jouer au Nou Camp, dans un groupe bien peu glamour…………..et il fut donc très sérieusement question d’échanger le théâtre de ces rencontres avec celui d’un autre groupe..ce qui, pour une fois, déclencha l’ire énormissime du Président de la fédé belge, menaçant publiquement de faire un scandale pas possible…….si bien que le projet d’inversion des stades en resta prudemment là..

    J’ai vu un truc assez WTF en Belgique il y a un an ou deux, un tirage de Coupe de Belgique : les boules étaient ouvertes derrière une espèce de pupitre, impossible de (sa)voir ce qu’ils en foutaient..sans compter que la manipulation durait parfois une plombe……….

    0
    0
    1. Et oui, la trilogie née du groupe Italie, Brésil, Argentine s’est tenue à Sarrià, sans doute le stade le plus vétuste de la Coupe du monde 1982.

      Merci Remuald pour ce revival des tirages passés les plus marquants.

      0
      0
      1. Les organisateurs ne s’attendaient pas non plus à un groupe RFA, Angleterre et Espagne.

        0
        0
    2. Me suis fait Pologne-Belgique récemment. Qu’est-ce qu’il leurs a mis Boniek ! Fantomatique les Belges. J’ai également maté un bout de Pologne-Bresil en 86. Et bien, le score 4-0 pour les Brésiliens ne reflète pas le match. Les Polonais ont deux transversales en début de match, un nombre incalculable de frappes. Ce match aurait du finir sur un 3-2. Connaissant le score depuis toujours, je n’aurais jamais cru à un tel contenu.

      0
      0
      1. Exact, je l’ai revu pour le portrait de Josimar. La 1ere mi-temps est très flatteuse pour le Brésil. Les Polonais flanchent par la suite mais ils auraient très bien pu mener 2-0.

        0
        0
      2. Les Polonais s’étaient réveillés..et les Brésiliens aussi, quoique plus tardivement. Mais, oui : très flatté!

        Et déjà au premier tour, ce Brésil-là, bof.. Y a pas que le « but » somptueux de Michel à se mettre sous la dent à leur encontre.

        0
        0
      3. Pologne-Belgique 82 : prévu dans le cadre d’un article consacré à Khadafi, star par contumace du match.

        Sur la pelouse : Boniek über alles toutefois, évidemment.

        0
        0
  2. Remuald, tu évoques la CM 1990. Il me revient en tête qu’au 1er tour, l’Eire et les Pays-Bas avaient fini ex-æquo à la 2nde place derrière l’Angleterre. Un tirage au sort les avait départagés, l’Irlande devançant les Pays-Bas. Il y avait eu une brève polémique car cela signifiait en 8ème un match choc entre la RFA et les PB alors que l’Irlande se retrouvait dans la partie de tableau de l’Italie.

    0
    0

Laisser un commentaire