Au coin de la rue…

Le 10 janvier 1993, j’étais chez un ami pour suivre, sur le télévision marocaine, la première finale de la Supercoupe de la CAF entre le Wydad et l’Africa Sports d’Abidjan. Une rencontre qui m’a profondément marqué. Le souvenir d’un dénommé Vassili Postnov, étonnant Tadjik arborant les couleurs du club de Casablanca. La crinière rebelle de Rachid Daoudi ou la force d’un jeune Naybet. Et surtout, la prestation du gardien marocain, Mustapha Achab, future légende dans notre petit cercle de passionnés… Après un nul (2-2), Achab va réaliser une séance de tirs au but inoubliable. Non grâce à ses parades, mais pour sa faculté inédite à se retrouver à trois mètres de l’adversaire avant que celui-ci n’exécute la sentence ! Une habile technique qui ne s’avéra finalement pas si bénéfique puisque l’Africa Sports s’imposera, mais qui se muera au fil des années en expression dans mon quartier : « faire une Achab », s’avancer plus que de raison. Le temps a passé et je n’ai jamais revu les images mais, ayant un peu sondé les fans du Wydad par la suite, je sais que le fossé entre réalité et mythe n’est pas si profond. En tout cas, j’aime à le croire… Certainement influencé par mon hôte, je n’ai guère de souvenir des Ivoiriens victorieux. Et je n’en connais quasiment aucun, mise à part Serge Alain Maguy qui fera un furtif passage à l’Atlético. Néanmoins, c’est un bout de leur histoire que je vais conter aujourd’hui, en me penchant sur la carrière d’un absent ce jour-là, Pascal Miézan…

Mustapha Achab

Les habitants du fromager 

Pascal Miézan est né en 1959 à Gagnoa, étape importante de la boucle du cacao, à 200 kilometres d’Abidjan, un an avant l’indépendance de son pays. Le club local, le Sporting Club, est compétitif (il sera d’ailleurs champion national en 1976) mais Miézan, surnommé affectueusement Pascalino, effectue ses débuts dans l’élite au sein du prestigieux Africa Sports. Nous sommes en 1975, Pascal n’a que 15 ans… L’Africa Sports est un club ancien, créé en 1947 par un groupe de jeunes Bétés, devançant de quelques mois celui qui deviendra son rival de toujours, l’ASEC. Bien qu’il ait cherché rapidement à s’ouvrir aux autres communautés, « la base sociologique est longtemps restée celle de l’Ouest et donc de l’opposition » souligne Arthur Banga, politologue, « mais Félix Houphouët-Boigny eut l’intelligence de ne pas vouloir que cette rivalité se tisse sur l’ethnie. Il n’hésitait pas à financer les deux clubs, il savait que cette rivalité pouvait asseoir son pouvoir. » Un club qui n’a donc jamais caché ses ambitions : preuve en est cet aigle sur l’écusson, symbolisant dans la culture bété la noblesse et la puissance.

Africa Sports 1958

Pascalino l’adolescent en impose aux entraînements et les doyens de l’institution, Ben Kuffi et Sery Wawa, n’hésitent pas une seconde à le jeter dans le grand bain. Le stade Robert-Champroux découvre dès lors son futur capitaine et emblème, un éternel numéro 8 dans le dos. Un homme au calme olympien, aussi à l’aise pour briser les ardeurs de l’adversaire que pour initier les contre-attaques supersoniques de ses compères Appolinaire Kabi Wayou ou Seri Casimir. En 1977 et 1978, Miézan gagne les premiers de ses huit titres de champion de Côte d’Ivoire.

La notoriété de Miézan commence à dépasser les frontières et Pascal a le privilège de participer au premier Mondial Junior organisé en Tunisie en 1977. Les Éléphants font mieux que se défendre en neutralisant le Brésil du buteur Baltazar María ou l’Italie de Giuseppe Baresi et Giovanni Galli, mais le voyage s’arrête au premier tour. Lors de ces convocations chez les jeunes, Pascal rencontre François Zahoui avec qui il va partager de nombreuses batailles au milieu du terrain et nouer une solide amitié. Un Zahoui qui deviendra le premier Africain du Calcio et un des flibustiers de la rade de Toulon quelques années plus tard. En 1980, l’Africa Sports atteint la finale de la Coupe d’Afrique des Vainqueurs de Coupe, après avoir sorti le redoutable Hussein Dey de Rabah Madjer et de Chaâbane Merzekane, mais trébuche sur la dernière marche face au TP Mazembe. Une désillusion que Miézan se promet d’effacer à l’avenir…

Zahoui et Miézan

Une mémoire d’Éléphant

Installé durablement en sélection, Miézan accompagne le retour au premier plan de la Côte d’Ivoire sur la scène continentale dans les années 1980. A la suite du désistement de la Tanzanie et sous l’impulsion d’Houphouët-Boigny, Abidjan est choisi pour accueillir la CAN 1984. La pression populaire est immense pour cette première édition à domicile. Tchétché Aimé dit Gallego raconte : « Il ne fallait pas se louper face au Togo lors de ce premier match. Nous étions gonflés à bloc. L’équipe s’était préparée depuis des semaines. Nous étions au Golf Hôtel à Abidjan. Je me rappelle de la sortie de l’hôtel pour aller au stade Félix-Houphouët-Boigny. C’était de la folie avec des haies de fans sur notre chemin. Mais la foule au départ n’était rien à côté de celle qui était présente dans l’enceinte du stade. Il y a avait au moins 50 000 personnes qui nous attendaient. C’était impensable de se louper. » Les Ivoiriens du funambule Youssouf Fofana débutent par une splendide victoire 3-0, la rue est en liesse, mais le soufflé retombe immédiatement. Moins bien organisée, néophyte et un peu naïve, la Côte d’Ivoire ne peut rien face aux mastodontes que sont l’Égypte de Taher Abouzaid ou le Cameroun du malin Milla, futur vainqueur. Pour les observateurs impartiaux et leur peuple, Miézan, buteur face aux Pharaons, et sa troupe ont failli dans les grandes largeurs…

Miézan, le fanion dans les mains, avec sa sélection en 1983.

Malgré la déconvenue, le Vieux Continent ne peut demeurer plus longtemps insensible aux qualités du métronome de l’Africa Sports, et Pascal débarque en Belgique en 1985 – à Lierse, un nom qui compte outre-Quiévrain. Toutefois, fauché comme les blés, le club qui accueillit les premiers exploits de Jan Ceulemans ou d’Erwin Vandenbergh n’a plus son lustre d’antan, et Pascal découvre un bourbier. Censé remplacé le Néerlandais van Roon, Miézan tente de stabiliser le milieu, plante quelques buts, mais est impuissant à contenir une chute inéluctable. Après s’être sauvé miraculeusement la saison précédente, Lierse descend en 1986 après 32 ans dans l’élite. Une première expérience à l’étranger au goût amer pour Pascal. Elle ne connaîtra pas de lendemain, mais cette année 1986 a encore énormément à lui offrir…

Auprès de mon arbre…

Englué dans l’atmosphère neurasthénique de Lierse, Miézan voit d’un bon œil un retour sur son continent, à l’occasion de la CAN organisée en Egypte. La sélection a mûri, le fantasque attaquant Ben Badi enfile les perles, mais une victoire face au Sénégal est obligatoire pour atteindre le dernier carré. Des Sénégalais qui ne touchent plus terre depuis leur victoire-surprise face au pays hôte lors du match inaugural. Hôtel ouvert aux quatre vents, histoires de primes, sommeil haché… ce sont leurs spectres qui se présentent face à Miézan et ses coéquipiers. Laminé par l’enjeu, détruit par « ce trop-plein d’huile qui nous montait à la gorge » selon Pape Fall, le Sénégal s’effondre… Remis d’une nouvelle déception face à la bande de Roger Milla en demi-finale, Miézan ira quérir le bronze face au Maroc : son meilleur résultat en quatre épreuves continentales.

Son contrat rompu à la hâte avec Lierse, Pascalino monte en clandestin dans le wagon conduisant son Africa Sports vers les sommets. L’Espérance et le Nkana Red Devils sont abandonnés sans égard sur la route, Pascal retourne en Egypte quelques mois après son dernier passage. Front contre front face au Zamalek de l’élégant Ibrahim Youssef… Déjà couronnés en 1984, les Égyptiens sont clairement favoris et le démontrent dès le match aller. Deux buts à remonter au retour au stade Houphouët-Boigny : la mission est délicate mais les Ivoiriens donnent tout et comblent leur retard dans une ambiance de folie. Ils sont bien proches de l’exploit lorsque Guédé Gba Ignace, dit Turbo, part du rond central, dribble la défense adverse, avant de lober astucieusement le portier de Zamalek. Le stade exulte… Las, le ballon ne franchit pas la ligne. Plus tard, Alain Gouaméné s’avouera vaincu lors des tir au but. Miézan ne gagnera jamais la compétition de clubs la plus prestigieuse d’Afrique.

En 1987, un physique hors-norme s’invite sur les terres de Miézan en la personne de Rashidi Yekini. Le Nigerian est l’incontestable terreur du championnat, l’Africa Sports réussit l’exploit de conserver son trône pendant cinq saisons consécutives, mais les rêves de grandeurs semblent définitivement s’éloigner pour Pascal. Les CAN 1988 et 1990 n’ont pas eu les résultats escomptés et le vieux capitaine des Éléphants cède définitivement son brassard après 13 ans de bons et loyaux services.

L’histoire ne s’arrête néanmoins pas ici. Sur la pente descendante, désormais dépassé en qualité par un Serge Alain Maguy, Miézan touche enfin au Graal le 6 décembre 1992. Le Vital’O FC burundais ne fait pas le poids et Pascal soulève enfin cette Coupe des Vainqueurs de Coupe qui s’était refusée à lui 12 ans plus tôt… La suite de sa carrière demeure un peu floue. Certaines archives racontent qu’il arrêta sa carrière sur cette rencontre, d’autres parlent de quelques mois supplémentaires, mais il est certain qu’il ne joua pas le fameux match face au Wydad dont je parlais en introduction. Peu importe finalement… Causer de Pascal Miézan, c’est poser son regard sur une époque définitivement révolue. Une époque où l’Europe n’était pas si tentaculaire et n’avait pas encore un scout carnassier perché sur chaque branche, où le derby Africa Sports-ASEC n’était pas dominé médiatiquement par le lointain Clasíco, où les stades étaient gorgés de passion, de fougue et de lumière… Les élus chanceux, qui revêtaient alors ces maillots, ressemblaient trait pour trait à leurs partisans, parties intégrantes du décor. On les croisait partout. Du marché aux poissons aux tables des maquis, des rumeurs des exilés à celles du coin de la rue…

27 réflexions sur « Au coin de la rue… »

  1. Ça faisait longtemps que t’avais rien publié non ? (Ha ha ha)
    Une quasi découverte pour moi et plein de noms qui me rappellent de belles images, notamment Youssouf Fofana dont le jeu était cristallin, rien à voir avec le besogneux actuel qui joue en EdF. À l’époque, venu d’Afrique, il y avait également Thierno Youm, un Ivoirien révélé en France à Laval. J’aimais beaucoup Fofana et Youm, le même style de joueurs.

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    1. Hehe. C’est vrai. En faisant ce texte, j’ai lu régulièrement que Miezan n’avait rien à envier à un Zokora. Pourtant, sacré bon joueur Zokora. Me souviens l’avoir vu au stade avec Saint Etienne. Il avait écrabouillé le milieu toulousain.

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      1. Suis vraiment pas chauvin, y a plein de matchs à caractère de tragédie collective pour mes compatriotes…….et qui ne me font rien, où je ne partage rien de leur état de tristesse et/ou de sidération (Belgique-Angleterre 1990, par exemple..même s’il est vrai que la Belgique avait de quoi faire mieux, beaucoup mieux même qu’en 86).

        Et cependant : ce Monaco-Bruges est un très mauvais souvenir.. 😉

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  2. Zahoui, considéré comme le 1er Africain de Serie A à Ascoli. Carlo Mazzone ne le faisait entrer en jeu qu’en toute fin de match pour tenir le ballon, quand il s’agissait de gagner du temps. Le gap entre le championnat ivoirien et la Serie A du début des 80es, j’imagine que c’était difficile à surmonter.

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  3. En parlant davantage de l’Africa Sports, que du Wydad, tu m’en apprends beaucoup

    Y’avait pas un jeune joueur ivoirien de l’Africa, qui s’appelait Sekou Bamba ?

    Le Mohamed Traoré « grosses cuisses » était il à l’ASEC Mimosas en même temps ?

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      1. Oui, on parle bien du même. Ben Badi n’a pas percé en Europe mais en Cote d’Ivoire, c’est une légende assurément.

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      1. Et dans les étrangers du Wydad, y avait également Moussa Ndaw. Ou Ndao selon les orthographes. Un mec qui a vraiment marqué le foot marocain. Y avait d’autres étrangers importants dans le championnat marocain avant Ndao ?

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      2. Moussa Ndao, et Rachid Daoudi, c’était à qui allait mettre un CF de 40 mètres, où un corner direct

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      3. Le gars Ndao, cite Toshack, le Gallois

        Et Alain Gwaméné
        Passé par l’ASEC, l’OL, l’Africa Sports, le Raja Casablanca, et Toulouse !

        Superbe interview

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  4. C’était un joli coup pour le Lierse : un grand joueur africain, dans un club à son quasi plus bas financier et sportif (le plus bas historique viendra plus de 30 ans plus tard, quand il disparut corps et biens).

    J’avais lu que son arrivée devait pallier le départ du Néerlandais van Roon, joueur issu de l’antichambre du foot NL. Finalement : ils coexistèrent au sein d’un Lierse…….qui vécut sa saison borderline de trop : relégué en fin de saison, et l’Ivoirien s’en retourna en Afrique ainsi donc.

    Au mauvais endroit au mauvais moment.

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