Argentine 1947: Norberto Méndez, trois à la suite

Le deuxième épisode de notre série sudaméricaine. Aujourd’hui, focus sur l’une des idoles les plus méconnues du football argentin qui a régné sur la compétition et qui en est toujours le co-meilleur buteur à ce jour.


Le football argentin a pour beaucoup d’observateurs du ballon rond atteint un sommet dans les années 40. Pour mal faire, cela s’est déroulé à l’abri des regards, quand de l’autre côté de l’Atlantique, l’Europe vécue des années de guerre. Les nations sudaméricaines, elles continuaient de s’affronter sur les terrains de football et étaient les seules à ne pas avoir mis le football international entre parenthèses. D’ailleurs plus largement, le pays se met à rêver d’être au concert des nations qui comptent. Elle avait des arguments solides à ce moment-là. En football, l’Argentine rayonne sur le continent. Les années 1940, c’est la consécration de son « fútbol criollo » qui règne en maître sur Buenos Aires et s’étend dans l’Interior du pays, toisant et surpassant de l’autre côté Montevideo, en ayant enfin pris le dessus sur sa voisine d’en face. L’Albiceleste est portée par une génération talentueuse et éclatante. Le football national est enfin structuré et stable, après des guéguerres intestines entre les clubs et les instances, qui ont souvent handicapé le football argentin et la sélection dans les années 20 et 30. L’intégration des clubs de Rosario a été faite, la popularité du ballon rond n’est plus à démontrer, tout semble rouler pour le football argentin des années 1940 qui devient un élément incontournable et au service de l’ « argentinidad« .

Point d’orgue de la domination argentine, l’Albiceleste remporte trois fois consécutivement la Copa América : 1945, 1946, 1947. Cinq joueurs participent aux trois sacres. Parmi eux, Norberto Méndez (Les autres sont : René Pontoni, Mario Boyé, Félix Loustau, Natalio Pescia). L’attaquant évolue au milieu d’une flopée de grands joueurs et de noms illustres, aujourd’hui pour la plupart oubliés ou du moins déconsidérés. Pourtant Tucho n’était pas le meilleur individuellement, ni la star de la sélection mais son talent, son tempérament et son altruisme, son jeu toujours au service de l’équipe était hautement apprécié, tout en étant un homme de confiance de Guillermo Stábile qui règne en maître sur la sélection.

Tucho Méndez en action

L’enfant est natif de Nueva Pompeya, barrio de la zone sud populeuse de la ville de Buenos Aires, terreau fertile de l’émergence de plusieurs grands clubs argentins. Norberto y forge son talent et sa technicité sur les nombreux potreros, terrains vagues environnants, parfois boueux, humides et défoncés, qui firent l’essence du football criollo. Là où il a appris à dompter la balle, à inventer des prouesses techniques, à répéter ses dribbles, à apprendre à ruser, tout ce qui reproduira sur les stades argentins. A 11 ans, il est repéré comme des centaines de gamins, par le club local qui est le plus dominant sur son quartier : Huracán. Leur fief de Parque Patricios n’est qu’à quelques cuadras de Pompeya. Il fait ses débuts en 1941 avec le Globo. Sur le front de l’attaque, il fait la paire avec l’icône locale Herminio Masantonio – qui est toujours le meilleur buteur du club et un attaquant vedette des années 1930 – qui avait ses plus belles heures passées et était en fin de course ; et Emilio Baldonedo, autre cador d’Huracán qui avait lui aussi déjà beaucoup donné, qui compléta ce trio. À cette époque, le Globo faisait partie du gratin, même si les résultats professionnels n’étaient pas à la hauteur de l’ère amateur qui fut florissante pour le club quemero. Huracán rata le bon wagon, et restera « le sixième grand » car, en termes de palmarès et de popularité, il n’avait trop rien à envier aux autres, mais il lui manquera d’être admis dans le quintet d’élite. Et ce n’est pas avec Méndez qu’Huracán retrouvera les sommets nationaux, même si durant la décennie il glana trois coupes nationales qui étaient organisées irrégulièrement ou plusieurs trophées se disputaient la même année. Car ses exploits et lettres de noblesse, Tucho, les obtiendra avec la tunique albiceleste.

Sous les couleurs du Globo

Derrière ses airs de tanguero, sa moustache et cheveux noirs épais de chanteur de milongas, son sourire d’acteur de cinéma (ce qu’il fut pour un film à succès durant sa carrière), Tucho Méndez éblouissant sur le terrain gagne l’admiration du public argentin. Un beau parmi les beaux, qui rayonne de par sa virtuosité et son talent. L’esthète, positionné comme entreala droit, est un très bon dribbleur, capable de raids endiablés, mais aussi un formidable créateur d’espaces et passeur ingénieux pour ses coéquipiers. Et puis, c’est aussi un excellent buteur, doté d’une très bonne frappe de balle, puissant et précise, qui fit souvent mouche au bon moment.

Tout naturellement, Guillermo Stábile convoque Méndez pour la Copa América 1945 qui se déroule à Santiago du Chili. Le sélectionneur argentin est déjà sous le charme du joueur puisqu’il est également le technicien d’Huracán. Stábile était lui aussi une ancienne vedette du club durant les années 1920, et Tucho l’a eu comme entraîneur pendant toute sa carrière à Huracán. Encore un jeune loup à 22 ans, Norberto Méndez commence le tournoi remplaçant. Entre les stars de River Plate (Muñoz, Loustau), de San Lorenzo (Pontoni, Martino), et le génial Vicente De la Mata, difficile de prétendre à une place de titulaire. Finalement, dès le second match les ajustements tactiques et états de forme font que Norberto remplace De la Mata et son acolyte Mario Boyé à la place de Muñoz dans le onze. Si des doutes il y avait envers le débutant Méndez, ils se dissipent rapidement. Les buts aidant, le joueur prouve qu’il est déjà mûr et s’intègre facilement dans le collectif, n’enrayant pas la mécanique bien huilée entre tous ces cracks. Méndez n’est nullement intimidé et s’entend à merveille avec les deux légendes sanlorencistas, Pontoni et Martino, et grandit d’un coup à leur contact. Ses performances sont excellentes au cours de la compétition. Méndez avait inscrit un but important pour arracher le nul contre le Chili (1-1), seul ombre au tableau après trois démonstrations contre la Bolivie (4-0), l’Equateur (4-2) et la Colombie (9-1). Au point de s’enflammer contre le Brésil et d’être l’homme du match avec un triplé dans une victoire importante 3-1 pour ouvrir à l’Argentine les routes du succès. La victoire finale est assurée contre l’Uruguay (1-0 grâce au gol de América de Rinaldo Martino). Avec six buts, Norberto Méndez finit meilleur buteur de la compétition, ex-aequo avec le Brésilien Heleno de Freitas.

Tucho au centre avec la guitare, entourée de la banda argentina

Son excellent tournoi en ce début d’année, lui assure une place de choix dans le onze argentin et se retrouve titulaire au cours de l’année pour disputer les prestigieuses rencontres officielles qui ont structuré la rivalité rioplatense : la Copa Lipton (un nul 2-2 à Montevideo, l’équipe visiteuse était déclarée victorieuse) et un mois plus tard durant l’hiver austral une éclatante victoire 6-2 dans la Copa Newton à Buenos Aires à l’ancien Gasométro de Boedo. L’Argentine en ce milieu de décennie prend le dessus sur son rival éternel qui marque le pas. Méndez était incontestablement un homme de sélection. L’année suivante, c’est à la maison que se déroule la Copa América. L’armada argentine est encore impressionnante : outre Méndez, De la Mata, Pedernera, Labruna, Loustau, Boyé, Pontoni… Pas de quartier à la maison : cinq victoires en cinq matchs, 17 buts marqués et trois encaissés, encore victorieux de l’Uruguay (3-1, le troisième but signé Méndez) et du Brésil (2-0 doublé de Méndez). D’ailleurs, le Brésil devient la victime préférée de Tucho, souvent buteur contre la Seleçao, « O Terror Do Brasil » titra en une le journal El Gráfico.

La ligne d’attaque de 1947: Boyé, Méndez, Di Stéfano, Moreno, Loustau

La passe de trois, l’Argentine la réalise en Équateur. Sa domination est totale. La ligne d’attaque est toujours composée des fidèles et indéboulonnables : Boyé, Méndez, Pontoni (blessé au cours du tournoi, cédera sa place au jeune Di Stéfano), Loustau. Et elle n’est plus que mythique avec le revenant « Charro » Moreno, le génie de retour du Mexique. Mais à ce dernier, tout Moreno qu’il est, on lui demanda gentiment d’occuper le poste d’entreala gauche (alors qu’il occupait historiquement le poste à droite, car Méndez est devenu incontournable). À Guayaquil, le Brésil est absent. L’Argentine ne réalise pas un tournoi totalement parfait, six victoires et un nul (accrochée 1-1 par le Chili), mais offensivement elle s’éclate avec 28 buts en sept matchs (et seulement quatre encaissés). L’Argentine l’emporte sur son principal rival uruguayen, 3-1 avec un nouveau doublé de Méndez, même si c’est le Paraguay (laminé 6-0 en ouverture du tournoi) qui accrochera la deuxième place et finira pour la deuxième fois de suite devant la Celeste dans le creux de la vague au milieu des années 1940. Troisième Copa América de suite pour la sélection argentine qui domine le continent. Au total, Méndez inscrit 17 buts sur ces trois éditions (en autant de matchs). Il est toujours à ce jour le meilleur buteur de l’histoire de la Copa América avec ce total, un record qu’il partage avec le Brésilien Zizinho.

Tucho idole de la sélection et de son époque

Ses détracteurs diront que Méndez, le seul qui en club n’était pas le plus dominant, était peut-être le chouchou de Stábile. C’est vrai que le technicien avait entièrement sa confiance et disait qu’il appréciait personnellement le joueur. Mais Tucho lui rendra sur le terrain. Ses performances n’étaient pas à remettre en cause, c’était tout simplement un homme de base de cette sélection. Mais aussi quelqu’un d’humble qui était très écouté et respecté par ses coéquipiers, défendant toujours les intérêts collectifs avant son intérêt individuel d’après ceux qui l’ont côtoyé. La grève des joueurs mettra fin à cette période dorée. Méndez fût même impliqué personnellement dans les négociations et fut l’un des fondateurs du syndicat des footballeurs argentins. Cependant, Méndez reste au pays et franchit le Riachuelo pour rejoindre quelques kilomètres plus au sud Avellaneda, passant du Globo au Racing, dans un échange digne de la NBA. Lui et ses coéquipiers Llamil Simes et Juan Carlos Salvini sont allés au Racing, pendant que pas moins de cinq joueurs (Héctor Ricardo, Ricardo Uzal, Juan Manuel Filgueiras, Waldino Aguirre et Octavio Caserio), plus une somme d’argent, ont fait le chemin inverse.

Racing Club : Juan Salvini, Norberto Méndez, Ruben Bravo, Llamil Simes, Ezra Sued

Avec la Academia, Méndez obtint enfin un titre de champion d’Argentine. Le titre de 1949 mit fin à la disette du Racing qui durait depuis 1925. C’est même le triplé qui suivra, une première en Argentine, puisqu’il propulse avec d’autres, le Racing à la première place lors des saisons suivantes 1950 et 1951. Méndez est principalement performant lors des deux premiers titres, il retrouve même son ami Mario Boyé qui rejoint le Racing en 1950, formant une attaque redoutable avec Rubén Bravo, Ezra Sued et Llamil Simes. Et sa venue au Racing est liée à Stábile qui est devenu l’entraîneur du club, voulant recruter Méndez et mettant « son Tucho » dans les meilleures dispositions. Sur le terrain, Méndez marque plus de buts (surtout ses trois premières saisons) sous ses nouvelles couleurs, et fait autant marquer à ses coéquipiers. Mais ce qui faisait lever les foules, c’était toujours son jeu parsemé de dribbles, de feintes, de changements de rythme. Après 1950, il décline peu à peu au Racing, quelques matchs épars en sélection, beaucoup moins décisif et éclipsé par une nouvelle génération. Il finira sa carrière avec un dernier retour à Huracán. L’intéressé résuma souvent sa carrière ainsi : « Huracán fue mi novia. Racing, mi mujer y la Selección mi amante1»


  1. Huracán était ma chérie. Le Racing, ma femme et la Sélection argentine ma maîtresse

16 réflexions sur « Argentine 1947: Norberto Méndez, trois à la suite »

  1. Puisqu’il est question de tango, le coéquipier de Tucho à Huracán, Herminio Masantonio, avait également la réputation d’être un danseur émérite. Sa puissance de feu avec El Globo Huracán lui avait valu les honneurs d’un tango intitulé « El Mortero del globito ». Plus encore que Tucho, Masantonio avait une gueule d’acteur, un type que l’on voyait sur des affiches fumant négligemment une Jockey club. Il était devenu le héros de l’Argentine en 1935, un jour de défaite contre la Celeste en Copa. El Gallego Fernández avait mis en doute sa virilité, il l’avait frappé et mis à terre avant que les deux hommes nouent une amitié seulement interrompue par la mort prématurée d’El Mortero.

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    1. Masantonio surement le plus grand de Parque Patricios. Je crois me souvenir qu il y a une statue en hommage a lui devant le stade…
      Huracán quelques noms bien sympas pour faire un top, mais surement trop limité aux années 20/30 + la team 73.

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    2. Est ce que danser le tango permettait d etre plus agile sur le terrain et dans ses mouvements; ou inversement avoir developper son jeu et sa techniqud sur les potreros vous offrait-il un avantage superieur pour danser le tango ?

      Voilà un sujet pour toi Verano hehe

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  2. J’ai toujours pensé que Loustau était un cran en dessous des Pedernera, Moreno ou Labruna mais en bossant sur Racing, j’ai lu que Pizzuti le considérait comme le plus complet et intelligent. Vous en pensez quoi ?

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    1. Bah, Loustau était ailier gauche, donc moins au coeur du jeu que les 3 que tu cites, ce qui fausse sans doute la perception. Et en tant qu’ailier, tout ce qu’on peut lire le concernant indique que c’était un crack. D’ailleurs, dans l’histoire argentine, le numéro 11 se joue entre Loustau et El Chueco dont on a parlé dans les tops Rosario Central et Racing Club. De la Máquina, c’est sans doute Muñoz le moins fort, l’ailier droit.

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    2. Surement vrai.. beaucoup le considere à son poste de wing gauche le meilleur du foot argentin avec Enrique García.
      Moi c est Labruna que j ai toujours trouvé un cran en dessous de ses contemporains, à River ok, mais entouré de cracks.

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  3. Ce type a un sourire sur chaque photo, il me fait un peu penser à Don Diego de la Vega dans le Zorro version France 3, ou alors, à moindre mesure, à une version souriante de Tuco…
    Un caractère solaire et radieux comme ton article ajde, un vrai voyage au Sud !

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  4. D’après les prtraits qu’on fait souvent de lui: un dribbleur avant tout. Rapide, technique. Buteur quand il le fallait, mais c’était pas son envie première d’aller droit au but, fallait d’abord dribbler 2-3 adversaires … Il a été évidemment un formidable passeur pour Erico, mais pouvait très bien assumer un rôle de buteur. On lui reprochait beaucoup son individualité, souvent égoïste avec le ballon, mais il avait le talent pour régaler et marquer des buts extraordinaire donc c’était une idole d’Independiente. Un sale caractère dit-on de lui aussi. Un pibe de Rosario quoi ! hehe

    Mais entre tous ces cracks Méndez, De la Mata, Moreno, Sastre, Pontoni, Pedernera, Martino, Boyé, Loustau, Garcia, … y’a t-il un semblant de hiérarchie, une esquisse d’attaque idéale ? très difficile à dire (Mes certitudes personnelles: Moreno au dessus des autres, Pontoni meilleur avant-centre, Loustau/Garcia pour ailier gauche, Méndez un cran en dessous des autres …en plus De la Mata, Boyé et Pedernera pouvaient aussi jouer ailiers, Sastre plus bas en demi, donc .. ? Quelle casse tête !

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