23 avril : Saint Georges et les Jürgen

C’est la Saint-Georges aujourd’hui pour les catholiques. D’un récit très ancien issu du tréfonds de l’empire byzantin est née vers le XIIe siècle la légende du preux chevalier terrassant le dragon. Non contente d’être entrée dans le roman national anglais, où elle a donné son nom à six rois, celle-ci a fait une belle carrière dans les pays germaniques où les Georg, Jörg, et autres Jürgen perpétuent encore aujourd’hui la tradition. Le footeux averti aura dressé l’oreille au son de ce dernier prénom, entendu plus souvent qu’à son tour sur les terrains lorsqu’un poids lourd allemand a la balle. En ce jour faste pour eux, P2F aussi rend hommage à tous les Jürgen avec leur équipe-type.

Gardien de but, numéro 1 : Jürgen Croy

Peut-être le plus grand oublié des plus grands gardiens de l’histoire, probablement le numéro 2 de tous les temps en Allemagne derrière Neuer et devant Maier. 94 sélections en équipe de RDA de 1967 à 1981, aucune faiblesse dans les arts traditionnels du poste, un talent au pied 40 ans en avance sur son époque, un mental en acier trempé, et un physique à toute épreuve. Seuls les résultats somme toute moyens de son équipe nationale et son refus obstiné de quitter son modeste club du BSG Sachsenring Zwickau l’ont privé de la notoriété mondiale qui lui revenait de droit.

Latéral droit, numéro 2 : Jürgen Kurbjuhn

Pas le plus connu mais pas le moins fiable. Pilier du HSV avant et après la naissance de la Bundesliga, indéboulonnable dans un secteur droit qui n’était pas encore un couloir (242 matchs en 12 saisons), ce défenseur sans fioritures fait partie intégrante de l’époque héroïque des Rothosen. Une carrière internationale limitée par la domination sous le numéro 2 de Herbert Erhardt puis Horst-Dieter Höttges, mais cinq sélections tout de même en équipe de RFA de 1962 à 1966.

Défenseur central, numéro 4 : Jürgen Kohler

Avec le hérisson, c’est qui s’y frotte s’y pique. Avec ce Jürgen-là, c’est qui s’y frotte finit en général sans ballon, le nez dans le gazon, en se tordant de douleur pour la galerie les mains collées à une quelconque partie du corps. Du Waldhof Mannheim à Dortmund en passant par Cologne, le Bayern, et la Juventus, ce menhir d’1,86 m a donné des envies pressantes à tous les attaquants du monde rien qu’en les regardant, tout ça avec une technique individuelle et un sens du jeu que personne n’aurait soupçonnés. Bundesliga, Serie A, Ligue des Champions, Euro, et Coupe du Monde au palmarès, 105 capes avec la RFA : l’essence de l’Über-Jürgen.

Défenseur central, numéro 5 : Hans-Jürgen “Dixie” Dörner

L’un bûcheronne dans l’ombre, l’autre trace des arabesques en pleine lumière. L’association avec Kohler du seul Jürgen au prénom composé de notre équipe vaudrait bien celle de Schwarzenbeck avec Beckenbauer. Un libero-meneur de jeu ruisselant de technique et d’élégance, une copie presque conforme du Kaiser, 400 matchs en 17 saisons avec le Dynamo Dresde de la grande époque et 96 sélections en équipe de RDA. Sans la partition de l’Allemagne, quelle aurait été l’issue d’une lutte titanesque pour le maillot numéro 5 de la Mannschaft, et aurait-on seulement su qui était Dixie Dörner ?

Latéral gauche, numéro 3 : Jürgen Werner

Encore un pilier du HSV à un poste où, curieusement, les Jürgen ne se bousculent pas au portillon. Celui-là n’aura connu que l’époque amateurs, refusant par principe de passer pro à la création de la Bundesliga en 1963 et arrêtant en conséquence sa carrière à 28 ans seulement. 171 matchs en neuf saisons avec le HSV, un talent d’avant-garde pour les remises en touche surpuissantes, et tout de même quatre sélections en équipe de RFA avec une place dans les 22 à la Coupe du Monde 1962.

Milieu récupérateur, numéro 6 : Jürgen Groh

On va finir par croire que les Rothosen ont le monopole des Jürgen. Le Groh du contingent était un travailleur de l’ombre infatigable du grand HSV des années 80, un de ces joueurs dont Ernst Happel disait qu’”il en faut toujours un comme ça dans une équipe”. Plus de 350 matchs de Bundesliga avec Hambourg et Kaiserslautern, deux titres de champion, deux finales européennes perdues et une C1 gagnée, deux sélections pour voir en équipe de RFA : ce n’est pas Kohler, mais ça se laisse voir.

Meneur de jeu, numéro 10 : Jürgen Pommerenke

Du FC Magdebourg, unique vainqueur est-allemand d’une Coupe d’Europe en 1974, on se souvient surtout des infernales flèches d’attaque Hoffmann et Sparwasser. Pour alimenter ceux-ci en bons ballons, il y avait Jürgen Pommerenke. Pas le plus sexy des meneurs de jeu mais une vision et une technique impeccables doublées d’une belle régularité : 301 matchs en 15 saisons d’Oberliga. Les plus anciens supporters du RC Lens n’auront pas oublié sa prestation lors d’un 4-0 sans appel infligé au Racing en C3 1977-1978. Comme Croy ou Dörner, il a été l’homme d’un seul club, sans oublier 53 sélections en équipe de RDA de 1972 à 1983 dont trois à la Coupe du monde 1974.

Milieu offensif, numéro 8 : Jürgen Nöldner

On a beaucoup hésité avec Jürgen Milewski, lequel formait avec Erich Beer le bel entrejeu du meilleur Hertha Berlin de l’ère moderne. Le choix va finalement à ce grand nom d’une autre époque héroïque, celle de la montée en puissance du football est-allemand dans les années 1960. Un pur Berlinois, fin technicien parfois surnommé le “Puskas de la RDA”, footballeur est-allemand de l’année en 1966, 285 matchs d’Oberliga en 14 saisons avec le Vorwärts (d’abord à Berlin puis déplacé sur ordre à Francfort-sur-l’Oder), et 30 sélections avec honneur mais sans gloire en équipe de RDA entre 1960 et 1969.

Milieu offensif (4-4-2) ou ailier droit (4-3-3), numéro 7 : Jürgen Grabowski

Comme son pendant Bernd Hölzenbein, lui aussi une légende absolue à l’Eintracht Francfort mais sur le côté gauche, ce joueur hybride entre 7, 8 et 9 était taillé pour le 4-4-2 dix ans avant l’heure. Aussi capable de mettre la misère aux défenseurs sur l’aile droite que de venir finir l’action au centre (109 buts en 441 matchs de Bundesliga), il a tout de même fait une très belle carrière dans le 4-3-3 typique des années 70, avec une C3 en 1980 sous le seul maillot de club qu’il ait jamais porté, 44 sélections en équipe de RFA, et un rôle capital de joker au deuxième tour sur la route du titre mondial en 1974.

Attaquant de pointe (4-4-2) ou avant-centre (4-3-3), numéro 14 pour l’éternité lui aussi : Jürgen Sparwasser

“Où étiez-vous quand Sparwasser a marqué ?” Tous les Allemands de plus de 60 ans, Est ou Ouest, peuvent répondre à la question sans hésiter. Le second Jürgen le plus influent de l’histoire allemande derrière Habermas, le plus célèbre devant Prochnow. Mais il serait injuste de réduire ce footballeur de grande classe à une seule action sous le maillot numéro 14 de la DDR, un certain 22 juin 1974. Il y a eu 271 matchs en 13 saisons (111 buts) avec Magdebourg, une entente létale en attaque avec Martin Hoffmann en club et en sélection, une moisson de titres en RDA couronnée de la fameuse C2 de 1974, et 49 sélections en équipe nationale avant qu’une vilaine blessure au tendon d’Achille ne mette un terme à sa carrière, à 31 ans seulement.

Attaquant de pointe (4-4-2) ou ailier gauche (4-3-3), numéro 9 : Jürgen Klinsmann

Si vous ne l’avez pas vu démonter à lui tout seul les Pays-Bas en Coupe du monde 1990, vous ne savez pas de quoi il était capable. Pas très grand (1,81 m) mais puissant et explosif, il s’est révélé sur l’aile gauche à Stuttgart avant de passer en pointe dans une série de grands clubs (Inter, Bayern, Tottenham) avec un effet dévastateur : 232 buts en 514 matchs en club, 47 en 108 sélections avec la RFA puis l’Allemagne unifiée. Dans l’équipe, il est le seul à soutenir (à peu près) la comparaison avec Kohler question palmarès : pas de LDC ni de Serie A mais un titre en Bundesliga, une C3, et une Coupe du Monde en 1990, sans oublier une troisième place à celle de 2006 comme sélectionneur de la Mannschaft.

Entraîneur : Jürgen Klopp, natürlich !

Un stock de casquettes pour tenir toute la saison, une solide cure de gegenpressing, une bonne dose d’Iron Maiden dans le vestiaire – los, los, Heavy-Metal-Fußball ! Une équipe faite pour un 4-4-2 à plat avec Sparwasser-Klinsmann en pointe mais qui peut instantanément passer en 4-3-3 en faisant monter Grabowski en 7, son poste de prédilection, et glisser Klinsmann en 11 où il a débuté avec le VfB Stuttgart. Avec un coach pareil et cette escouade de monstres sur le terrain, ach Du meine Güte, que le ciel ait pitié des adversaires du 1. FC Jürgen

22 réflexions sur « 23 avril : Saint Georges et les Jürgen »

  1. Merci Triple G! Pas mal de gars que je ne connaissais pas. Jürgen Kohler, j’ai souvenir d’un défenseur intraitable lors de la Champions 97. Les attaquants de United et de la Juve n’avaient pas vu le jour.

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    1. On a commencé à en parler dès sa première saison en Bundesliga avec le Bayern, ce devait être en 1984-85. Je ne sais plus quel attaquant de gros calibre (Littbarski, Rummenigge, Wohlfarth, etc.) s’était plaint dans le Kicker du traitement qu’il avait subi. Il n’avait pas été très en vue dans le match et Kohler avait trouvé le moyen de lui mettre un coup de poing dans l’estomac sans que personne ne l’ait vu, avec l’expertise d’un Gentile. Aujourd’hui, avec la VAR, ça ne passerait plus, mais à l’époque, c’était fort pour un petit nouveau en BL.

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      1. Première saison avec le Waldhof, pas le Bayern. Il y aurait d’ailleurs un bel article à faire sur Klaus Schlappner, l’électricien-entraîneur haut en couleurs qui avait porté le Waldhof en Bundesliga. Numéro 26 dans ma pile de sujets 🙂

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  2. Que des Jürgen? Pas le moindre Jörg? (auquel cas j’eusse bien vu Albertz)

    Et je présume qu’il y a lieu de souhaiter une bonne fête à l’auteur?

    Kohler était phénoménal..tout en restant propre, ce n’était pas un joueur vicelard. En soi une épreuve de vérité ce joueur, que d’adversaires réputés il réduisit à rien, Cantona notamment fit vraiment pitié à voir.. Je ne crois pas avoir vu plus fort au cours des 90’s.

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    1. Oui, d’ailleurs à Chaque fois, Dortmund était présenté comme plus faible mais l’issue de la demi et de la finale est implacable. Une groupe mature et efficace dans toutes les zones.

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    2. La bonne fête, c’est moi qui la souhaite dans la famille. Merci en tout cas ! Les Jörg, c’est un exercice plus difficile. Me viennent à l’esprit Jörg Berger, transfuge de la RDA puis très honnête entraîneur, Jörg Stiel, gardien de Gladbach et de la Nati dans les années 2000 si je ne m’abuse, Jörg Daniel, qui gardait le but du Fortuna Düsseldorf en finale de C2 1978-79, et c’est à peu près tout. Pas le même calibre que la bande des Jürgen !

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    1. La répartition Ouest-Est est 6-5. Sachant que le rapport des populations était d’environ 3,5 à 1, et en supposant que le talent de footballeur est uniformément réparti, il faut en conclure que le prénom Jürgen était beaucoup plus populaire à l’Est qu’à l’Ouest.

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    1. Maintenant que j’ai potassé le sujet (merci Alpha pour les FuWo est-allemandes des années 70 !), c’est oui sans hésiter. Il n’avait aucun point faible dans les arts traditionnels du gardien : prise de balle, réflexes, placement, un contre un, ballons aériens, etc. Maier, lui, avait des faiblesses dans les airs qu’il reconnaissait à demi-mot dans les interviews. Kahn ne les avait pas, mais Croy lui était très supérieur au pied. J’ai trouvé une itw de son entraîneur au moment de la célèbre finale de Coupe de RDA 1975 gagnée contre le Dynamo Dresde qui disait en substance : « Il est tellement bon dans le champ que je l’y mettrais comme titulaire si j’avais un autre gardien meilleur que lui ». Ça, c’est la stratosphère que seul Neuer habite avec lui.

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  3. La Grenade emporte l’affaire après avoir proposé comme hymne du match l’immortelle chanson du groupe Mo-Do, vers 1995 : « Eins, zwei, Polizei, drei, vier, Grenadier, fünf, sechs, alte Hex’, sieben, acht, gute Nacht. »

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