El Águila de Toledo est décédé aujourd’hui à Valladolid, à 95 ans. Disparaît l’un des plus emblématiques sportifs espagnols, le compagnon d’échappées dantesques avec le Luxembourgeois, Charly Gaul. Un caractère indomptable, esprit vif au corps ciselé par les lames de sa terre natale. Le souvenir d’un homme qui n’hésita pas à acheter deux boules de glaces pour se rafraîchir, en pleine ascension de La Romeyre… Federico ne s’est jamais laissé apprivoiser, ni par les consignes de ses directeurs sportifs ni par les vagues d’adoration béate de son temps. Il se revendiquait culé, autant par goût que par défi, de quoi provoquer de franches discussions avec ses proches. Les titiller, les pousser dans leurs derniers retranchements. Se sentir vivant en se confrontant continuellement à l’adversité. Sur les pentes les plus escarpées comme dans la monotonie du quotidien…
Merci Coppi!
En 1959, Bahamontes n’est plus un inconnu depuis longtemps et jouit d’une popularité enviable. Sa rivalité avec Jesús Loroño alimente les unes de la presse sportive espagnole et son Tour précédent, ponctué de deux grandes victoires d’étapes dans les Pyrénées, l’a définitivement consacré roi du massif. Une journée de chasse partagée à Tolède avec Fausto Coppi va changer son destin. L’Italien lui propose d’intégrer sa formation et surtout le convainc de se consacrer sur le général du Tour. « Vous pouvez gagner ce Tour. Delaissez le Grand Prix de la montagne. Si vous courez prudemment dans la plaine, vous n’atteindrez pas la montagne avec une heure de perdue. En faisant celà, vous pouvez gagner le contre-la-montre. Vous avez les jambes pour gagner ce Tour. »
Son début de saison est pénible, il abandonne sur la Vuelta, et le choix de Dalmacio Langarica de privilégier Federico à Loroño lors de l’épreuve reine débouche sur le départ de l’équipe nationale de ce dernier. Loroño refuse d’être un gregario de luxe, il quitte le rassemblement avec fracas, certains de ses admirateurs n’hésitent pas à jouer des poings avec Langarica.
Parti de Mulhouse, Bahamontes s’évertue à tenir sur sa selle lors du passage des pavés et, ingénieusement, attend l’arrivée d’Anquetil, lancé deux minutes après lui dans le contre la montre, afin d’épouser la cadence infernale du Normand et ne plus le lâcher jusqu’à la ligne d’arrivée! Il a limité la casse, la chaleur attendue sur la Pyrénées n’enchante guère Charly Gaul… La foule espère l’habituelle fantaisie de Bahamontes, elle découvrira sa récente sagesse, ne permettant d’escapade à aucun des favoris. Mais où est donc passé l’aigle impétueux?
Albi-Aurillac… Bahamontes se joint à l’offensive du régional du jour, Anglade, Gaul finit à 20 minutes! La montée du Puy de Dôme le jour suivant anéantit un peu plus les espoirs d’Anquetil, l’association sentimentale des grands voltigeurs, Gaul et Federico, dans les Alpes sonne le glas définitif du clan français. La veille de l’arrivée à Paris, un Bahamontes suspicieux cache son vélo. On n’est jamais assez prudent… Il offre le bouquet du vainqueur à sa femme, Fermina. Le public parisien hue Anquetil et Rivière, coupables à ses yeux de ne pas avoir soutenu Anglade. Tolède se pare de rubans jaunes. Il faudra attendre un immigré de Mont-de-Marsan pour que l’Espagne soit à nouveau sacrée. Il s’agit de Luis Ocaña…
Ferran de Montjuic
Il est fort à parier que le nom de Ferran Olivella n’apparaisse pas immédiatement dans la composition d’un onze type du Barça. Et pourtant… Né dans le quartier de Montjuic, Ferran est un pur produit culé. Défenseur sobre, à l’excellente couverture, il s’est fait remarquer lors de la saison 1955-1956 sous les rangs de la filiale d’Industrial. L’entraîneur du Barça, Domènec Balmanya, l’intègre au groupe professionnel pour un salaire de 500 pesetas par mois et une prime à la signature qui lui servira pour acheter un costume. Il débute face à Osasuna en 1956 et initie un bail de 13 ans avec le géant catalan, sur son côté droit principalement, avant de fixer au centre de la défense en fin de carrière.
Ferran, qui se destinait au poste de gardien, se souvenait avec émotion des parties de rue disputées sur les hauteurs de Barcelone, de derbys houleux vécus en spectateur, comme celui de 1953 où le terrain des Corts se retrouva envahi par les fans. Dorénavant, clef de voûte de ce Barça offensif concocté par Helenio Herrera, il est celui qui supplée Ramallets sur sa ligne, qui offre littéralement son corps à la cause au risque de se blesser ou de perdre quasiment la vue lors d’un funeste match face à Saragosse. La cécité partielle ne fut évitée de justesse que par l’intervention du fameux professeur Arruga.
La saison 1959 du Barça est une explosion de saveurs. Les Evaristo, Suárez, Czibor ou Kocsis plantent 96 fois en 30 matchs, tandis Olivella et ses compères de défense n’autorisent que 26 buts encaissés. Le championnat est superbement conquis, comme la Coupe aux dépens du surprenant Grenade d’Arsenio Iglesias. Étonnamment, Ferran énonce comme modèle de jeunesse un attaquant, Kubala, s’extasiant devant la technique prodigieuse des deux pieds du Slovaque et ne voyant pas d’équivalent tactique à Herrera qui « vous disait tout sur le rival, sur sa façon de dribbler, de réagir à la difficulté. Comme une radiographie de l’adversaire…«
Olivella n’a marqué qu’une fois pour le Barça sur ses 524 matchs officiels, face à Las Palmas sur corner et se remémore avec fierté la haie d’honneur des Anglais de Wolverhampton à la suite d’une immense prestation catalane en Europe. Il est absent du terrain, comme l’étaient les réflexes de Ramallets en finale face à Benfica et reçut le capitanat de la part du sélectionneur José Villalonga lors de l’Euro 1964 organisé à domicile. Décédé le 14 mai dernier, il est avec Casillas, l’unique capitaine soulevant un trophée dans l’histoire de la Roja…
En dehors des griffes de Saporta
Depuis une quarantaine d’années, le Barça est, comme au football, l’ennemi juré du Real Madrid au basket. Ce n’était clairement pas le cas aux balbutiements de la ligue… Avant la Guerre Civile, l’Espagne avait brillé en compétition internationale, ayant obtenu l’argent lors du premier Eurobasket de 1935. Par la suite, c’est un Catalan d’origine polonaise qui donne le La des parquets hispaniques. Eduardo Kucharski, dont la soeur, Rosa María, est une pianiste de renom, gagne une multitude de coupes sous les couleurs de trois clubs catalans différents, avant de conduire la sélection au Mondial 1950 où l’Espagne ne gagnera qu’un match, par forfait face à une Yougoslavie refusant de jouer face à un représentant du franquisme.
1957 marque la création de la ligue de baloncesto et le début de l’hégémonie sans partage du Real. Jusqu’en 1980, les ogres madrilènes, ne laisseront échapper que trois titres. Trois minuscules trophées qui redoreront timidement le blason d’un basket catalan autrefois dominant. Deux porteront les couleurs d’un gamin de Pineda de Mar. Dans un sport joué encore majoritairement à l’extérieur, Francesc Buscató, dit Nino, meneur au physique fin, fut le premier à utiliser le tir en suspension, imitant Jerry West dont il avait vu quelques bribes aux Jeux Olympiques de Rome. « Les coachs m’ont dit de ne pas le faire mais j’ai vu que c’était le coup du futur parce que c’était plus surprenant » , plaisantera fréquemment Buscato.
Combinant sport et travail à la boulangerie familiale, Nino excelle enfant dans tous les sports. Hesitant, une crâne ouvert par des crampons adverses déclenchera finalement le véto maternel sur la pratique du football! A 16 ans, au sein du club de sa ville, ce rat des gymnases colle fréquemment des 30 points aux rivaux du Barça et de la Joventut. Il attire logiquement les faveurs du Barça qui conclue son transfert grâce à Antoni Palés, responsable de la section et fabricant de farine dans le civil! Nino jongle désormais entre pain de nuit et courses vers l’entraînement, découvrant un Palau d’Esports enflammé dont il fera son domaine pendant trois ans. Et en récompense, un titre en 1959 qui demeurera l’unique championnat culé jusqu’en 1981!
En 1960, le Barça démembre sa section basket, Buscato trouve un temps asile chez l’Aismalíbar dirigé par Kucharski, avant de rencontrer l’amour de sa vie, la Joventut Badalona. L’union est totale, l’atmosphère unique : « Pendant tout le temps où j’étais à La Penya, nous avons joué sans étrangers et c’était un handicap car le reste des équipes a commencé à les signer. Malgré tout, nous avons été compétitifs et nous avons gagné un championnat et une coupe contre Madrid. » Buscato refusera toujours les chèques aguicheurs du Real et de Raimundo Saporta. Il mènera sa sélection à une finale de l’Eurobasket à domicile en 1973, ne cédant que devant la maestria des Cosič, Slavnič ou Kicanovič, non sans s’être défait des mastodontes soviétiques en demi-finale. L’Espagne n’a plus quitté le haut du panier européen depuis lors…
Marco Pantani, Charly Gaul, Federico Bahamontes. Voici mon trio indémodable en cyclisme. Si Marco brûla sa vie jeune, dans des circonstances dramatiques, Charly vécut en ermite misanthrope au fond d’une forêt luxembourgeoise, Federico, quant à lui, ne refusa jamais d’affronter la lumière. Par fierté, amusement, pari sur l’existence. Qui osait douter qu’il gravirait à son aise le Mont séculaire?
Merci Khia. Bahamontes, Tolède, les années 1950, une Espagne révolue…
PS : la mort d’Olivella m’avait échappée.
J’ai appris le décès d’Olivella hier également.
Et Tolede, ville magnifique. A ne pas rater!
J’en profite pour faire la promo de Lauzerte, la Tolède du Quercy !
Eh, c’est super beau les Ardennes luxembourgeoises! Moi je le comprends.
Le plus beau coin qu’elles réservent, autour d’Echternach, est d’ailleurs régulièrement l’objet d’un grand prix…Charly Gaul.
Le Mullerthal y vaut vraiment le détour..et peut-être plus encore son pendant allemand, ladite Teufelsschlucht, le « canyon du diable »!
Endroit rêvé pour les âmes mélancoliques à la Charly Gaul………mais faut beaucoup de fric désormais, c’est devenu hors de prix pour y vivre.
Oui, ça a l’air très beau. Je ne connais pas le Luxembourg et je n’ai pas énormément d’images représentatives du pays. Et je pense n’avoir jamais côtoyé un luxembourgeois.
j’ai « fréquenté » une luxembourgeoise un peu plus agée avec un peu de fric (pour une fois c’est dans ce sens^^) du côté de Dekirch non loin de l’Allemagne et de magnifiques forêt je confirme c’est une tuerie même si moins sauvage que les Ardennes de l’autre côté du pays!
merci pour ce bel article sur l’aigle, j’ai beaucoup lu et vu sur le cyclisme de cette époque et les chevauchées fantastiques de l’Espagnol et du Luxembourgeois et des récits à l’allant chevaleresques et romantiques (qui ressortent bien ici d’ailleurs), sur le service public il n’y a plus de Jean Paul Olivier pour nous parler de cette époque (malgré la caméra explore le tour) c’est dommage
ton trio indémodable à de l’allure j’y aurait ajouté Van Impe et Lucho Herrera mais il est classe…. tu es décidément un romantique^^
en voyant les articles sur le site de l’equipe je me suis offusqué d’une chose les 1er com sous les articles indiquaient « je connaissais pas » les gars allez pas lire des articles sur le cyclisme et ses légendes si vous connaissez pas et surtout le faire remarquer bande d’ignares^^ je suis intolérant je sais ha ha
petite remarque basket mon Khiadia cet été les équipes de France jeunes vous ont démontés…. je dis ça je dis rien ja ja ja
Sainte
Quand j’étais gamin, un copain de primaire nous avait régalé d’objets divers sur l’équipe Cafe de Colombia. Je ne sais plus si son père bossait pour la marque ou l’equipe mais c’était l’époque Herrera ou Fabio Parra.
Ah ben comme ça, on sait désormais qui est le gigolo parmi les lecteurs-P2F, c’est bieng.
Magnifique hommage au « Maître des cols » !
Joli papier avec ce qu’il faut de pathos. Sur les photos d’époque avec leurs routes à peine goudronnées, leurs 4 CV pataudes, et leurs motos sorties tout droit des années 30, les vélos des coureurs, tout en finesse et en alliages légers importés de l’aviation où ils viennent de naître, font vraiment l’effet d’OVNI technologiques !
Je comprends mieux, merci!
(j’avais loupé la mort du second..et le nom du troisième ne me disait plus rien)
A dire vrai, j’ai l’impression qu’on a bien peu évoqué la disparition d’Olivella, non?
Bahamontes a-t-il jamais joué la gagne sur la Vuelta?
Oui, Bahamontes finit deuxième de la Vuelta en 57, derrière Jesús Loroño dont je parle dans mon texte. Celui qui préfère quitter l’équipe espagnole pour le Tour 59 plutôt qu’aider Bahamontes. Les deux se vouaient une haine tenace, si j’ai bien compris. Jesús Loroño gagne le Grand Prix de la Montagne au Tour en 53.