Cinq clubs belges, cinq clubs néerlandais… et dix « Onze du siècle » !
Point commun à ces dix heureux élus ? Aux antipodes de plupart des grands clubs oligarchiques, aucun d’entre eux ne bénéficia de soutiens anticoncurrentiels sur la longue durée. Ce qui, au gré parfois de leurs hauts mais plus souvent de leurs bas, rend particulièrement précieuse la diversité de leurs Histoires, aux allures toujours de montagnes russes, et à quoi se devrait raisonnablement de ressembler le destin de tout club si les corruptions de tous ordres ne venaient hélas s’en mêler.
Pour cette fois, c’est aux bords de l’Ijssel que nous mène ce football d’en bas, au pied même du pont où serait fallacieusement tourné un célèbre Attenborough : dans la coquette cité de Deventer, bastion de la gauche néerlandaise et des faussaires, tel l’adulé van Meegeren qui, à la Libération, finirait en prison pour avoir berné Göring, ou tel cet illustre inconnu dont, sur une façade de l’emblématique Waag, pend encore la marmite où il finirait ébouillanté.
Pour autant, il ne sera guère question ici de falsification ni de pont trop loin, tant c’est au contraire l’authenticité que cultive ce club d’essence populaire, riche d’une ambiance toute anglaise et auquel est singulièrement prêté, en son superbe stade du Adelaarshorst, de savoir peser sur les rencontres, dans le bouillonnement de cette Vetkampstraat que beaucoup tiennent pour véritable rue du football aux Pays-Bas. Là où, dans les derniers mois de 1902, Karel Hollander eut l’idée de créer un club de football avec son frère Han et quelques amis, mais sous le nom originel de Be Quick, que le club conserverait le temps de réaliser qu’existaient déjà un grand nombre de clubs sous ce patronyme…
Lors de la saison 1905/1906, fraîchement renommé : le Go Ahead faisait son entrée dans le football national néerlandais, en troisième division Est… C’est cette histoire, voisine de celle du Cercle de Bruges, que nous allons vous proposer. En poursuivant aujourd’hui par les numéros 5 à 8, où il sera question de pouvoir, d’amour, d’argent, et de rapports de bon voisinage.
5) Mister Go Ahead
L’amour commence par l’éblouissement
D’une âme qui n’attendait rien
Et se clôt sur la déception
D’un moi qui exige tout.
Gustave Le Bon
Il y avait sans doute une certaine logique à ce que le « Joueur du Siècle » du Go Ahead, le dénommé John Oude Wesselink, y personnifiât un jour le goût de la jeunesse et de la formation. Lui qui, des plus de 400 rencontres disputées pour le club de Deventer, retiendrait tout particulièrement deux événements : « Mes débuts tout d’abord, au mois d’août 1969 : c’était un déplacement au Meer, contre le grand Ajax. Une rencontre que nous perdîmes 2-1. Mais avant cela, il y eut aussi ce match avec l’équipe nationale Juniors, disputé dans notre stade avec le concours de mes équipiers Oekie Hoekema et André van der Ley. Un grand match face aux meilleurs espoirs italiens, dont presque tous atteindraient plus tard le sommet mondial, et que nous remportâmes pourtant par 2 buts à rien. »
En somme, John était passé sans crier gare de l’internat à sa première sélection, après quoi le compteur monta progressivement à ce total-record de 415 rencontres disputées pour ce « merveilleux club » : « une période formidable de ma vie, qui me vit affronter des attaquants de la trempe de Ruud Geels, Marco van Basten et Kees Kist. Et qui me permit ce-faisant de mesurer combien, si dans les années 1960 l’on pouvait encore défendre en restant à un mètre et demi de son adversaire, quinze ans plus tard il fallait bien au contraire rester en permanence au contact de son adversaire direct. Car le moins qu’on puisse dire est que le football a changé, et je vous prie de croire que ce fut spécial d’avoir pris part à cette évolution. »
Au terme de sa carrière de footballeur, survenu au printemps 1986, Oude Wesselink se consacrerait d’emblée au développement de ses magasins de sport. Mais c’était sans compter avec les déboires du Go Ahead qui, après plus de vingt ans de présence ininterrompue parmi l’élite du football néerlandais, basculerait aussitôt en division 2, et ne s’en extirperait plus guère durablement qu’à compter du début des années 2020.
Aux racines de cette vigoureuse reprise en mains, deux hommes : l’ancien joueur et entraîneur à succès Henk ten Cate, et bien entendu « Mister Go Ahead ». Qui à deux reprises œuvreraient ensemble à assainir les finances et à redéfinir la philosophie de formation du club, avant d’en être pour de bon évincés pour des divergences d’ordre philosophique.
« J’étais sur le terrain tous les jours à l’époque du « Plan jeunesse », et pour cause : Henk et moi étions convaincus que la formation était essentielle, à l’instar de ce qui a cours à l’AZ et à l’Ajax. Mais le club fait si peu de cas de ses anciens joueurs… Vous savez, il m’arrive encore de me promener dans le club d’affaires, j’y connais pas mal de monde, assez du moins pour me hasarder parfois à donner mon avis aux personnes qui comptent. Et pour autant, je ne suis pas dupe : ils n’en ont rien à foutre… »
« Et pourtant, qu’est-ce qu’un club fondamentalement? Logiquement, ce type de structure devrait s’appuyer sur ses ressources internes, et cependant… Voyez mon ami Henk ten Cate : il a été entraîneur pendant sept ans, depuis les équipes de jeunes jusqu’à l’équipe première, près de 20 ans passés au club… Ou Wim Woudsma, 15 ans pour sa part, et entraîneur des jeunes lui aussi… Tous ces gens ont le Go Ahead dans le sang ; le club devrait faire quelque chose de tout cela, leur expertise serait tellement précieuse. Mais au lieu de cela… »
Au lieu de cela, vraiment? Puisse John se consoler : ainsi qu’attesteront les tableaux à venir, les graines par lui semées ne sont pas près de s’évanouir. Et devraient longtemps encore donner de beaux et féconds fruits.
6) L’actionnaire
He’s here
He’s there
He’s f*cking everywhere!
Chant des tribunes, en l’honneur de Paul Bosvelt, années 1990.
Plus d’une centaine de photos d’équipes ornent le mur long de son bureau, toutes illustratives des succès passés puis de la renaissance du club. Par la fenêtre, braquée sur l’angle ouvert de la pelouse du Adelaarshorst, le natif de Doetinchem, petite ville sise quarante kilomètres plus au Sud, pourrait à tout moment s’assurer que l’herbe du Go Ahead est toujours la plus verte, si pour ce grand voyageur cela ne faisait quinze ans déjà que la question ne se pose désormais plus.
Car voilà donc où Paul Bosvelt, ce joueur naguère hyperactif, passe dorénavant l’essentiel de ses journées, assis le dos à la fenêtre, et pleinement sédentarisé. Lui qui avait connu des débuts tardifs comme footballeur, au Go Ahead puis au FC Twente, avant de brandir comme capitaine une seconde Coupe UEFA pour le Feyenoord, à ses 32 ans…
Après 15 ans passés aux Pays-Bas, qui lui gagnèrent à l’Euro 2000 de devenir titulaire au sein de l’une des plus grandes équipes de l’Histoire de son pays, et où il ne se voyait dès lors absolument plus rien à prouver, une aventure anglaise lui tendrait les bras, sous le maillot d’un Manchester City qui n’avait rien encore d’une multinationale milliardaire ni emirati… Deux ans plus tard, le temps était toutefois déjà venu de s’en retourner au pays, à Heerenveen et avec le sentiment d’un parcours accompli : « Même si je n’ai découvert le football professionnel qu’à un âge tardif, j’ai tout de même disputé plus de 600 rencontres au final, parmi lesquelles vingt-quatre le furent sous le maillot du Elftal, et plusieurs même comme titulaire lors de phases finales de grands tournois. »
« Puis je pris ma retraite à 37 ans, mais sans le moins du monde ambitionner de devenir entraîneur. Mon exclusif point d’attache avec le football, c’était alors d’être entré dans l’actionnariat des Go Ahead en 2004, à l’insistance du Président De Vroome et de mon ami d’internat Marc Overmars. Lequel me proposa ensuite de m’entraîner avec lui, quand il retrouva les Go Ahead en 2008, un an après ma retraite sportive. Alors, de fil en aiguille et à force de partager mes expériences avec de jeunes joueurs, je finis par embrasser une fonction d’assistant aux côtés de Michel Boerebach, avant de m’installer pour de bon à Deventer, à l’été 2011. »
Solidement arrimé dans la ville de ses débuts, alors qu’il n’avait jamais cessé de déménager depuis qu’il l’avait quittée à ses 23 ans, c’est désormais au sein de l’organigramme du club que Bosvelt poursuivrait donc son itinéraire d’un enfant gâté : d’abord d’Assistant chez les Juniors à Conseiller, puis même de Conseiller à Directeur technique, au gré des licenciements compulsifs si caractéristiques de la direction de ce club, et en reprenant à son compte bonne part des principes édictés par l’idéaliste John Oude Wesselink :
« Je souhaite que le personnel prête une attention singulière aux jeunes. La communication est capitale avec eux. A mon époque, le formateur était l’équivalent du patron. Ni plus, ni moins. Il disait ce qu’il y avait lieu de faire, puis il revenait aux joueurs de s’exécuter. Sans broncher. Sauf que ce n’est plus comme ça que ça marche aujourd’hui : de nos jours, il faut inventer une bonne histoire pour avoir une chance d’être écouté.»
Moins rétif toutefois que son malheureux prédécesseur, à l’idée d’adopter des stratégies plus risquées, Bosvelt s’efforce par ailleurs et depuis peu de convenir de contrats plus longs : « Nous aimerions conserver les joueurs plus longtemps, de sorte de pouvoir construire quelque chose sur le plus long terme. Mais il y a aussi ce risque selon quoi, si les choses tournaient moins bien, nous les traînerions au cou comme une meule… Notre masse salariale n’atteint même pas les deux millions d’euros, aussi, pour tout dont l’ambition serait de gagner de suite beaucoup d’argent, mieux vaut alors ne pas trop compter sur nous, et passer son chemin… »
« Par contre, nous pouvons prodiguer à chacun l’espace nécessaire à ses premiers pas, et l’aider à se positionner sur la carte du football professionnel. Car le plus haut niveau : ce peut être ici aussi, dans la limite des possibilités et du développement personnel de tout un chacun. Comme pour moi par exemple, dont la carrière n’avait rien de toute tracée, mais qui m’efforçai toujours d’être le meilleur dans un environnement adapté, où il me fût loisible de jouer aussi bien que possible au football. »
Paul réussira-t-il son pari? Après être remonté de deuxième division il y a trois ans, et nonobstant le plus petit budget du football d’élite néerlandais, le Go Ahead vient de conclure ces dernières saisons aux treizième, onzième puis neuvième places du championnat des Pays-Bas…
Qualifiés même en Coupe d’Europe, dont il furent éliminés avec les honneurs par le SK Brann, et pour l’heure confortablement installés dans le ventre mou du classement, les Aigles poursuivent donc tranquillement leur retour aux sommets, quoique de moins en moins provincialement. Et à défaut certes pour l’heure d’un cinquième sacre, qui désormais se refuse à eux depuis plus de 90 ans, le Go Ahead gagne déjà d’être régulièrement honoré du titre de club le mieux géré des Pays-Bas. Grâce au concours passionné de moult grands anciens, tels les scouts Knippenberg, Boerebach ou Reimerink. Sous les auspices de l’opiniâtre Paul Bosvelt. Et quoi que suggère la légitime aigreur d’un certain John Oude Wesselink.
7) L’ambitieux
“Quelle est votre ambition dans la vie ?
Devenir immortel, et mourir.”
Jean-Luc Godard, A bout de souffle.
Cadre des Go Ahead depuis la fin des années 1910 jusqu’au début des années 1920, c’est sur la Grote Overstraat, à deux pas du chaudron d’ébullition où l’on friait jadis tout présomptueux de son espèce, que le très déterminé Wim Roetert ouvrit commerce au couchant de sa carrière, en la pimpante enseigne dite des « Boeufs dorés »…
L’adresse était prédestinée tant, de fait, la boutique serait une affaire en or, où tout bourgeois trouvât radio ou vélo à son pied. Mais si le bourgeois en trouvait si facilement le chemin, c’est aussi parce que la fortune l’avait nichée au contact direct de la célèbre pharmacie tenue par le toujours affable Steven Coldeweij : citoyen le plus couru de Deventer, homme fort de plus d’un clubs néerlandais de l’entre deux guerres, vice-Président alors de la Fédération néerlandaise de football, puis même membre d’honneur de l’auguste association.
Last but not least : non content de ces déjà fort enviables attributions, et bien que l’idéologie lui préférât le germanophile Lotsy à la Présidence de la Fédération, en 1942, Coldeweij était aussi voire surtout membre du comité de sélection de l’équipe nationale néerlandaise, cercle faiseur et défaiseur de fortunes et de réputations, et d’autant toujours le bienvenu parmi les couloirs de l’ouvrier mais ambitieux Go Ahead de Deventer…
Aussi, une question demeure : fut-ce à l’issue d’une rencontre au Adelaarshorst, ou bien plutôt au détour d’une conversation de voisinage, sur son perron de la Grote Overstraat? Le fait est que, parvenu déjà au crépuscule de sa carrière, et bien que le barrassent à la régulière les ailiers Arie Bieshaar, Rat Verlegh, Gerrit Visser, Adriaan Koonings, Ber Grossjohan, Ok Formenoij, Henk Vermettent ou même Wim Volkers, ce fut bel et bien l’extérieur voire intérieur droit Wim Roetert qui, à la surprise générale, serait soudain appelé en équipe nationale, à plus de 31 ans et malgré son statut de neuvième roue du carrosse, pour affronter une défense française singulièrement étiolée.
Et s’il inscrirait certes deux des huit buts néerlandais en cette occasion, face à des défenseurs plus encore indignes que lui de leur sélection, ou avait inscrit un an plus tôt celui décisif du sacre des Go Ahead, en 1922 : nul au pays ne pourrait s’empêcher d’y voir un service rendu, entre bons bourgeois de Deventer, par « l’appréciable voisin » Steven Coldeweij.
Treize mois plus tard, en prélude au très francilien tournoi olympique de Paris, Roetert refuserait pourtant la convocation, une fois de plus providentielle, offerte à lui par la Fédération. Ses affaires, il est vrai, avaient entre-temps acquis une telle dimension, qu’il dédaignerait bientôt pour elles jusqu’à la poursuite de sa carrière, désormais inutile à leur publicité. Et toutefois ne serait-ce pour autant, que le football en aurait fini de faire parler du commerce de Wim Roetert.
Deventer, pas même la trentième ville la plus peuplée du pays, continuait en effet à abreuver le pays en joueurs de talent, qui, à l’instar de ce qu’elle ferait bientôt avec les frères de Kreek, trouvait déjà en les frères Remeijer les motifs nouveaux de la perpétuation de ses jours heureux. Et ainsi des aînés Jan et Roelof, tous deux champions nationaux de conserve avec Roetert, en 1922. Mais ainsi plus encore du cadet Pietje, de loin le plus doué des trois, capitaine très remarqué des équipes de jeunes, et que la direction du club autoriserait dès ses 16 ans à se joindre à l’équipe première, que venait de quitter Roelof après un transfert exceptionnel au Xerxès de Rotterdam.
L’avenir souriait à Pietje, jusqu’alors commis dans une pharmacie de la Grote Overstraat – celle-là même que dirigeait, à côté du commerce de Roetert, l’illustre et très honorable Steven Coldeweij… C’était Noël, dont l’ambiance festive et hivernale baignait le moindre recoin du centre-ville, et peut-être le jeune Pietje pensait-il déjà au réveillon qu’il passerait avec les siens, après une ultime journée de labeur à la pharmacie, puis à ce qu’il ferait de ces quelques jours de congé. Mais il faisait froid dehors, aussi le chauffage du magasin tournait-il à pleine puissance. Et il est certain que Pietje n’y prêta pas attention, car c’est porteur d’une bouteille d’essence à la main, qu’il trébucha soudain alors qu’il se trouvait bien trop près du feu. Le résultat fut une énorme explosion, une boule de feu qui réduisit le bâtiment en cendres, et l’infortuné commis en une piteuse torche humaine. L’adolescent, qui venait la veille de fêter ses 17 ans, parviendrait bien à sauter par la fenêtre pour se rouler dans la neige, mais décéderait le soir même des effroyables blessures endurées.
La nouvelle de cette mort tragique, non moins, ferait l’effet d’une bombe, émouvant l’ensemble de la presse nationale, et plongeant le tout Deventer, bourgeois comme ouvriers, dans un deuil unanime et profond. Bientôt, le long du Brinkgreverweg, où venait pour de bon de poser ses pénates le Go Ahead au printemps 1920, le cortège funèbre s’ébrouerait depuis le centre-ville jusqu’au cimetière voisin du Rielerweg, tandis qu’au stade, qui venait de perdre son plus grand talent, les drapeaux seraient mis en berne et une minute de silence respectée, parmi les dizaines de couronnes funéraires qu’avaient envoyées les clubs de football environnants.
Pietje avait reçu des adieux impressionnants, et cependant sa mémoire serait saluée encore quand, en 1930 puis en 1933, la génération à laquelle il avait appartenu remporta les ultimes lauriers nationaux de l’Histoire du Go Ahead tout en se faisant fort, à chaque fois, de préciser qu’elle en eût gagné bien plus avec lui.
Roetert quant à lui, qui avait assisté de sa fenêtre au drame joué le 24 décembre 1927, présenterait en 1950 un plan ambitieux, et qu’il croyait susceptible de renforcer l’équipe néerlandaise, par lequel il proposait de travailler avec deux sélections de jeunes dans chaque district, dont les heureux élus eussent été quotidiennement contraints de s’entraîner deux heures ensemble, à la reproduction d’exercices qui fussent partout standardisés. Mais en guise de réponse, et bien que son protecteur Coldeweij fût toujours vivant, le plan de Roetert serait impitoyablement tourné en dérision : « Pour l’amour de Dieu, ne vicions pas de la sorte le football des jeunes, comme le font déjà les experts du football professionnel. Le sport doit rester un facteur de détente. Et il doit subsister des valeurs plus élevées qu’une place en équipe nationale des Pays-Bas. »
8) Le bon voisin
Le Belge et le Hollandais,
en matière d’affaires?
Le premier optera pour le contact,
Et le second pour le contrat.
Geert Hofstede,
sociologue néerlandais des organisations
Il domine quelques fois, hors le cadre étroit des frontières des Plats Pays, et pour tout sentiment prêté à leurs commerces footballistiques, l’affligeant fantasme de deux nations qui fussent réciproquement honnies, et où les affaires du ballon rond portassent résolument à un haut degré d’animosité. Alors qu’au fond il n’y a rien de plus faux qu’à ce commérage, qu’alimentent probablement les névroses projetées, sur ces deux paisibles voisins, par les grands empires avoisinants et leurs vieilles logiques frontales et suprémacistes.
En près de 130 rencontres officielles disputées, pour d’aucunes aux heures les plus sombres du hooliganisme néerlandais ou de leurs rapports diplomatiques, les doigts de la main suffiraient au contraire à compiler les moindres incidents qui se fussent produits d’entre Belgique et Pays-Bas. Ou, plus étonnant : la moindre absence de l’un en phase finale de se traduire, systématiquement, par le report temporaire sur l’heureux rival d’une frange conséquente de ses supporters éconduits. Tels qu’à ces fanatiques néerlandais reportant publiquement leur soutien sur les Diables Rouges, en l’absence de leurs couleurs pour les tournois de 2016 et de 2018, ou qu’à ces Belges soutenant leur voisin durant leur long trou noir courant de 2004 à 2012.
Mais avant qu’elle n’aliénât de ces gens voués à supporter, fussent-ils portés à supporter l’autre à défaut de l’un, c’est dans les pérégrinations contractuelles de ses joueurs que cette porosité de bon voisinage trouva toujours le mieux à s’exprimer. Et ainsi, durant les vingt ans où la Belgique se refusa encore à emboîter le pas du professionnalisme néerlandais, de ses fils prodigues Popeye Piters ou Johan De Vrindt, partis y monnayer leur talent à Sittard et au PSV, et qui dans le chef du premier y glanerait même une Coupe des Pays-Bas, remportée en 1964 contre l’ADO La Haye du génial Ernst Happel.
Puis, à mesure que la Belgique se fut progressivement donnée au plein professionnalisme, et pour le stimuler dotée d’un régime fiscal éhonteusement propice aux joueurs étrangers, serait-ce alors au tour de leurs homologues bataves de s’immigrer, tels qu’à la première vague des Zorgvliet, Bergholtz et Mulder, puis à celle des van Gaal, Boskamp, Arie Haan et autre Hoekema…
De la sorte et en moins de vingt ans, ce serait plus d’une centaine de joueurs néerlandais, pour bonne moitié internationaux, qui fouleraient les pelouses belges – et bien souvent y resteraient, au risque ce-faisant (sinon pour les plus illustres, tels Rensenbrink et Haan) de perdre toute chance d’évoluer encore en Elftal.
Emargeant à cette catégorie, c’est pour sa part à l’été 1971, et concomitamment des vainqueurs de coupes d’Europe Jan Ruiter et Nico Rijnders, que le dénommé Wietse Veenstra ferait sa joyeuse entrée dans le championnat de Belgique. Mais avant cela, le Frison d’origine serait une icône du Go Ahead, où il s’était affilié dès ses huit ans, puis entre-temps aussi du PSV, face auquel il avait inscrit trois buts pour sa première titularisation en déplacement, et avec qui il glanerait ensuite l’essentiel de ses neuf apparitions sous les couleurs néerlandaises.
« Ce fut le début d’une période merveilleuse. Avec de vrais gars de Deventer, tels Dick Schneider, Gerard Somer ou encore Gerrit Wüstefeld. Tous ensemble, nous sommes devenus l’une des meilleures équipes des Pays-Bas. En fait, seuls l’Ajax et Feyenoord nous étaient supérieurs. » Mais à peine était-il devenu un grand nom du football néerlandais, que ce médian créatif et technique devait se préparer déjà à changer d’horizons : «Je n’arrivais pas à comprendre les dirigeants de Go Ahead. Moi, tout ce que je demandais, c’était une maison, assortie à un contrat de quatre ans. Mais Go Ahead ne voulait pas en entendre parler. Et c’est alors que Ben van Gelder, le manager du PSV, me fit savoir que je serais toujours le bienvenu à Eindhoven. A l’en croire, un simple coup de fil suffisait, et l’affaire serait dans le sac. Et c’est comme ça que ça s’est passé, pour moi du moins qui n’avais pas d’agent. »
Ce-faisant, Veenstra devenait l’achat le plus cher jamais réalisé par le PSV. Et reçut à Eindhoven ce que sa bonne ville de Deventer lui avait toujours refusé : une maison, de surcroît sise à côté de celle d’un Joueur du siècle, l’extraordinaire Willy van der Kuijlen…
« Oui, nous sommes devenus les voisins de Willy. Mais ce n’est pas pour autant que nous passâmes beaucoup de temps ensemble : j’étais le garçon du quartier ouvrier de Deventer, et je gardai toujours un peu de mal à m’habituer à la mentalité brabançonne. Mais c’est sur le terrain que Willy était vraiment le plus spécial… Vous me connaissez, ma frappe de balle était lourde, puissante… Mais Willy c’était encore un cran au-dessus. Et des deux pieds, s’il vous plaît. En 1971, après l’arrivée au club du gardien van Beveren, c’est de bien peu que nous fûmes éliminés en demi-finales de Coupe d’Europe par le Real Madrid. Le PSV devenait un grand club, si bien que je garde énormément de plaisir à repenser à mon passage là-bas. »
Les performances internationales du PSV et de Veenstra ne passèrent pas inaperçues : au terme de cette saison, Veenstra rejoignait l’Eldorado fiscal belge, en y signant un contrat lucratif avec le Club de Bruges, en 1971. Il resterait en Belgique toute la décennie durant, d’entre Club de Bruges, Racing White puis RWDM, et Cercle de Bruges où il mettrait un terme à sa carrière, en 1979. Bien qu’il y vécût « comme un dieu en France », Veenstra finirait par rentrer chez lui, à Deventer. Où il prendrait place en tribunes aux côtés de son vieil ami Derk Schneider. Et dont, à près de 80 ans, il défend toujours les couleurs au sein de la section « Oldstars » des Go Ahead Eagles.