Les grands duels : Real-Bayern (1ère partie)

Ils ont fait la légende des compétitions internationales. Ils ont déchaîné les passions et déchiré les familles. Ils ont rythmé les règnes et ponctué les changements d’époque. Chaque mois, pendant la saison, P2F évoque pour vous l’un des grands duels à répétition de l’histoire du football. Aujourd’hui, gros plan sur le plus paradoxal d’entre eux : Real-Bayern, un combat de géants riche en histoire mais trop rarement en émotions.

Nommez trois des plus grands matchs de l’histoire des Coupes d’Europe, comme ça, au débotté ? Il y aura sûrement du Liverpool-Milan, du Bayern-Manchester United, du Liverpool-Alavés, du Barcelone-PSG (chut…), et un peu de de Real-Benfica ou de Real-Eintracht Francfort dans les réponses. Y voir le Bayern et le Real ne surprend pas, compte tenu des palmarès des deux clubs. Mais l’un contre l’autre, même en cherchant bien, on risque d’avoir beaucoup de mal à trouver. C’est pourtant l’affiche la plus fréquente des compétitions européennes depuis leur début en 1955, et pas n’importe laquelle… Faute de match mémorable à se mettre sous la dent, jetons un œil à l’ensemble.

Un peu d’histoire

À la date de cet article, le Bayern et le Real se sont rencontrés 28 fois en match officiel. Le bilan est légèrement à l’avantage des Madrilènes : 13 victoires merengue, 4 nuls, 11 victoires bavaroises, 45 goles contre 42 Tore.

On ne sera pas surpris du fait que tous ces matchs, sans exception, aient eu lieu en C1. Seuls 6 d’entre eux ont eu lieu avant la naissance de la Ligue des champions en 1993, ce qui confirme si besoin était le glissement continu de cette compétition vers une ligue semi-fermée… en attendant « mieux ».

Pas de surprise non plus dans l’importance des matchs joués : 16 demi-finales, 6 quarts, 4 huitièmes, et deux matchs de l’éphémère deuxième phase de poules du début des années 2000. Difficile de faire mieux comme choc de rois, à ceci près que Bayern et Real ne se sont pas encore affrontés en finale.

La première fois

Les péripéties de l’histoire ont conspiré pour différer jusqu’aux demi-finales de 1975-76 le premier affrontement de ces deux grands noms. Après six C1 entre 1956 et 1966, la Maison Blanche est au creux (tout relatif) de la vague, souvent devancée par Barcelone ou par l’Atlético pour le titre à une époque où seul le champion se qualifie pour la C1. Le Bayern, lui, n’est arrivé en Coupe des Champions qu’à la fin des années 1960 et n’en a atteint pour la première fois le dernier carré qu’en 1974. Les aléas du tirage au sort ont fait le reste.

Le Real est de retour en C1 en 1975-76 après trois ans d’absence. Il a éliminé le Dinamo Bucarest sans problème en seizièmes (4-1, 0-1) avant de signer la première de ses remontadas de légende face à Derby County en huitièmes (1-4, 5-1 a.p.). En quarts, le Borussia Mönchengladbach n’a pas voulu se laisser faire et seuls les buts à l’extérieur ont qualifié les Madrilènes (2-2, 1-1). Ceux-ci règnent sur la Liga, qu’ils remporteront avec cinq points d’avance sur Barcelone (victoire à deux points), et sont en forme à l’approche du grand choc.

Double champion d’Europe consécutif, le Bayern est quant à lui l’ogre du continent. En Bundesliga, il s’est remis de sa catastrophique saison précédente (dixième !), mais pas assez pour jouer le titre : il finira troisième à cinq points de Gladbach. Les Bavarois ont à cœur de gagner une troisième C1 d’affilée, non seulement pour jouer la suivante, mais surtout pour égaler l’Ajax dont ils ont pris la succession au palmarès. C’est plutôt bien parti, avec le carton attendu face aux Luxembourgeois de Jeunesse d’Esch en seizièmes (5-0, 3-1), un huitième plus difficile que prévu face à Malmö (0-1, 2-0), et un quart convaincant contre Benfica (0-0, 5-1).

Ici, il va se passer des choses…

Au match aller au Bernabéu, devant 110 000 spectateurs (on n’est pas encore en configuration 100% assise), le Real est privé de deux titulaires de taille, Pirri et Paul Breitner. Il aligne Miguel Ángel – Sol, Benito, Rubiñán, Camacho – del Bosque, Netzer, Velázquez – Amancio, Santillana, Martínez. Le Bayern, lui, dispose de son équipe-type : Maier – Hansen, Schwarzenbeck, Beckenbauer, Horsmann – Roth, Kapellmann, Dürnberger – U. Hoeneß, G. Müller, K.-H. Rummenigge. Du très lourd des deux côtés, avec tout de même un léger avantage à des Allemands forts de leurs cinq champions du monde en titre.

Comme souvent en pareil cas, ce sont des erreurs individuelles qui vont faire la décision. Dès la 8e minute, une incroyable mésentente entre Hansen, Schwarzenbeck, et Kaiser Franz lui-même à 30 mètres du but bavarois profite à Roberto Martínez qui chipe la balle et part ajuster Sepp Maier (1-0). Les Allemands se reprennent vite ; le match est équilibré et de haut niveau. Trois minutes avant le repos, c’est au tour de « der Bomber » Gerd Müller d’exploiter un moment d’inattention de la défense madrilène sur une passe en profondeur de Franz Roth (tiens, tiens…) et d’aller gagner son duel avec Miguel Ángel (1-1).

Un Bomber, c’est fait pour bombarder.

La deuxième période, intense mais dénuée de grandeur, ne changera rien à l’affaire. Le Real n’a pas vraiment réussi à bousculer un adversaire bien en place, le Bayern n’a pas non plus pris l’ascendant mais repart de Madrid avec le bon résultat qu’il cherchait. On sent les Allemands sûrs de leur force avant le retour au Stade Olympique. Deux semaines plus tard, on prend les onze mêmes et on recommence côté Bayern. Au Real, Breitner revient aux dépens de Rubiñán, Camacho passant en conséquence en défense centrale, Pirri remplace Velázquez au milieu, et Guerini remplace Martínez devant.

Les Merengue ne se cachent pas et Santillana, d’un piqué astucieux, contraint d’entrée Sepp Maier à une claquette spectaculaire. Il n’en fallait pas plus pour réveiller la bête : Dürnberger charge comme un buffle côté droit et sert Gerd Müller qui nettoie la lucarne de Miguel Ángel de 20 mètres (1-0, 9e). Le reste de la première période est à sens unique et débouche sur un second but de qui vous savez, dans son style caractéristique : réception dos au but dans l’axe aux seize mètres, pivot instantané, plat du pied sec et précis au ras du poteau (2-0, 31e).

Après le repos, le Real vient plus souvent pointer le nez devant la cage de Maier, mais on est nettement plus près d’un troisième but bavarois que d’un retour au score. C’est donc assez logiquement que l’on en reste là, avec en prime un carton rouge pour Amancio qui n’a pas su contrôler sa frustration. Le Real, dominé mais pas surclassé, est à sa place en tant que demi-finaliste. Le double champion d’Europe en titre, quant à lui, a tenu son rang et s’est ouvert la route d’une finale dont les Français ne se souviennent que trop bien, face au vainqueur vert d’un autre grand duel que P2F a déjà évoqué.

La plus grande victoire du Bayern

Onze ans vont s’écouler avant que les deux mastodontes ne se rencontrent à nouveau. Avec une finale de C1 en 1981 (perdue 0-1 face à Liverpool), une finale de C2 en 1983 (perdue 1-2 a.p. face au sympathique Aberdeen d’Alex Ferguson), et deux C3 consécutives en 1985 et 1986 marquées de remontadas mémorables, le Real de la Quinta del Buitre est revenu tout près du sommet. Le Bayern, quant à lui, en est plus loin, avec une seule maigre finale de C1 perdue (0-1) face à Aston Villa en 1982. En avril 1987, c’est l’heure des retrouvailles, de nouveau en demi-finale, mais cette fois à Munich pour commencer et avec le Real comme favori.

Pfaff – Nachtweih, Eder, Augenthaler, Pflügler – Matthäus, Brehme, Dorfner, M. Rummenigge – D. Hoeneß, Wohlfarth : pas d’ancien de 1976 côté bavarois, seulement deux « frères de ». À la Maison Blanche, avec Buyo – Chendo, Gallego, Mino, Camacho – Gordillo, Sanchís, Juanito, Míchel – Butragueño, Santillana, il y a deux « survivants ». Ce ne sont (presque) plus les mêmes joueurs, ce ne sera pas le même match, et pas celui qu’on attendait.

C’est en tout cas la même recette qu’applique le Bayern : gros pressing dès le coup d’envoi, raids à répétition dans l’axe, et un but tôt marqué sur une belle frappe de 20 mètres, signée Matthäus cette fois-ci (1-0, 11e). Le Real a la tête sous l’eau, au propre sous la pluie battante de Munich comme au figuré. À la demi-heure de jeu, Augenthaler, monté dans le style de son légendaire prédécesseur, envoie Dorfner seul au but d’un amour de lob sur toute la défense. Buyo fauche l’impétrant sans sourciller – pas encore de rouge automatique en ce temps-là – et Matthäus transforme le penalty (2-0, 30e).

Le Bayern ne lâche pas sa proie. Au tour d’Eder (Norbert, l’Allemand, pas Aleixo, le Brésilien fracasseur de Dasaev en 1982) de quitter sa défense et de monter dans l’axe. Il trouve devant lui Wohlfarth qui entre dans la surface et pique proprement par-dessus Buyo au point de penalty (3-0, 39e). C’en est trop pour Juanito qui vient piétiner la tête de Matthäus à terre après que celui-ci a descendu Chendo d’un tacle de boucher. L’Allemand s’en tire avec un jaune, l’Espagnol, récidiviste des gestes fous, prend non seulement un rouge, mais aussi quatre ans de suspension en Coupe d’Europe. Les Bavarois sont loin devant, mais c’est en face que l’héritier spirituel de Gerd Müller porte le 9… Une seule occasion pour El Buitre, un but juste avant la mi-temps sur un bon service de Gordillo, et tout est relancé (3-1, 45e).

Ça piétine côté madrilène dans ce match, et pas seulement au figuré.

Le pressing allemand ne baisse que peu d’intensité après le repos et le Real a du mal à sortir de son camp à dix contre onze. Ce qui devait arriver arrive rapidement : Wohlfarth, excentré à droite, adresse un centre parfait pour Dieter Hoeneß au second poteau, Mino, pris de court, met une mimine de gardien de but (toujours pas de rouge automatique…), et Matthäus marque son deuxième penalty de la soirée (4-1, 54e). Ensuite, le Bayern se contente de gérer pour éviter de prendre un contre, d’autant plus facilement que Mino (deuxième jaune) laisse les siens à neuf à la 72e. Avec trois buts d’avance au final, les Allemands peuvent envisager le voyage à Madrid avec une certaine confiance, mais sait-on jamais…

Le Bernabéu est chaud, chaud bouillant au retour. Blessés et suspendus sont revenus au Real qui aligne Buyo – Chendo, Gallego, Sanchís, Camacho – Martín Vázquez, Gordillo, Míchel – Butragueño, Santillana, Hugo Sánchez : de quoi faire peur à n’importe qui. Au Bayern, l’infirmerie s’est remplie et les suspensions ont frappé : avec Pfaff – Nachtweih, Eder, Augenthaler, Pflügler – Brehme, Kögl, Winklhofer – Wohlfarth, D. Hoeneß, Lunde, ça paraît un cran en dessous.

Le Real presse, le Real pilonne, Michel Vautrot au sifflet a du mal à contenir les passions, mais la défense allemande tient bon. La clé de la remontada finit par entrer dans la serrure vers la demi-heure de jeu : après un corner cafouillé devant la cage, Santillana bute d’abord sur Pfaff mais reprend victorieusement (1-0, 28e). Juste après, c’est cette fois Augenthaler qui prend un rouge direct pour une bonne droite sur Hugo Sánchez. Après Derby en 1975-76 (1-4, 5-1 a.p.), après Anderlecht en 1984-85 (0-3, 6-1), après Mönchengladbach en 1985-86 (1-5, 4-0), le Real va-t-il encore le faire ?

De paradazo à remontada, il n’y a pas loin.

Ce sera pour une autre fois. Même privé de l’abattage (dans tous les sens du terme) d’un Matthäus, le Bayern va réussir à contenir la menace pendant le reste du match sans que Jean-Marie Pfaff ait trop à sortir le grand jeu. Buyo non plus n’aura pas beaucoup à s’employer : ce sera une masterclass de travail défensif à l’allemande, ô combien frustrante pour l’afición du Bernabéu qui en arrosera la pelouse d’une pluie de projectiles en tous genres. En fin de compte, et comme en 1976, le match ne restera pas dans la mémoire des esthètes mais offrira aux Bavarois la finale qu’ils voulaient.

On connaît la suite et la talonnade impudente de Madjer qui donnera leur revanche aux Latins un mois plus tard au Prater de Vienne. On se souvient moins d’une autre conséquence de taille. Les débordements de son public vaudront au Real une sentence de deux matchs à huis clos. Le premier sera cinq mois plus tard, au premier tour de la C1… face au Napoli de Maradona qui n’est pas tête de série. Trente ans avant la pandémie, un tel choc devant des tribunes vides laissera un fort goût d’inachevé, ce qui n’empêchera pas les Merengue de passer sans trop de souci (2-0, 1-1).

Deux confrontations, deux victoires. Le Bayern s’est affirmé comme une sorte de bête noire pour un Real qui court toujours après son prestigieux passé. L’on n’en est pourtant qu’au début de la plus fournie des affiches européennes. L’histoire va s’accélérer, et parfois se répéter, mais le vent n’a pas non plus fini de tourner. Nous reviendrons dans la deuxième partie de ce grand duel sur les temps forts du Real et d’autres moments marquants.

(Deuxième partie disponible ici à partir du 17 septembre)

15 réflexions sur « Les grands duels : Real-Bayern (1ère partie) »

  1. Merci Triple G.
    Dans les 70es, le Real et la Coupe d’Europe, c’est le désamour. Difficile à imaginer une telle période de disette de nos jours.
    Tu évoques quelques joueurs que peu connaissent comme les ailiers gauches, Roberto Martínez, un Argentin (naturalisé espagnol) arrivé à l’Espanyol au début des 70es. Avec lui, Solsona, José María et d’autres entrainés par Santamaría, les Pericos n’avaient pas été loin du titre en 1973. Son concurrent était Chupete Guerini, un autre argentin ayant brillé avec Boca et Malaga, époque Viberti dont on a déjà parlé sur ce site, doté d’un superbe pied gauche.

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    1. À part son jeu de tête hors normes, il était quand même limité. C’est pour cette raison qu’il n’a jamais été un premier choix en équipe nationale. Aux côtés d’un Rummenigge indiscutable, Hrubesch, Klaus Allofs, puis Völler étaient beaucoup plus complets.

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      1. Ah, les multiples confrontations entre l’équipe de Kahn et celle de Raul ont marqué une génération.

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  2. Mino, sa prestation à Munich, est cataclysmique. Un bourrin qui ne fait que des conneries. Quant à Juanito, son tempérament aura eu si souvent raison de lui. Le tacle de Lothar mérite le rouge mais sa réaction est indigne.

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    1. Il n’était pas aussi loin au-dessus des autres en Bundesliga que celui des années 2010. C’était toujours serré entre le Bayern, le HSV, le Werder, et la génération dorée de Stuttgart champion 1983-84.

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  3. C’est bien de parler de Franz Roth et non pas seulement des Maier, Beckenbauer, Breitner, G. Müller, etc…
    Grand serviteur qui marqua bien sûr l’unique but vainqueur contre les verts en 76 mais également celui qui donne la premiere coupe d’Europe au Bayern (une C2), ainsi qu’un des deux buts contre le Leeds de Bremner en 75. Un autre grand serviteur étant Hans-Georg Schwarzenbeck et son but important contre l’Atletico en 1974 lors du premier match de cette finale.

    Pour les plus beaux matchs de coupe d’Europe, si l’on parle d’un jeu collectif magnifique, difficile de faire mieux que Milan-Real de 1989 (demi-finale retour) ou Dynamo Kiev – Atletico Madrid de 1986. Pour l’émotion, le but de Claude avec Bastia contre les Grasshoppers et la fin de ce match en 1978 n’a pas d’égal.

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