Pour tout l’or du Nouveau Monde – 3e partie : la brise de mer d’Annapolis

Troisième partie de la grande aventure de 1984 qui a mené l’équipe de France olympique d’un vestiaire espagnol aux paillettes de Los Angeles. Après avoir brillamment remporté leur poule qualificative et terrassé l’ogre ouest-allemand dans un éprouvant barrage, nos héros débarquent sur le sol américain pour entamer leurs Jeux très loin de la Californie.

(Première partie disponible ici)

(Deuxième partie disponible ici)

Annapolis, la capitale de l’État du Maryland, est une coquette petite ville de 50 000 habitants, imprégnée de ce style dit « colonial » qui a marqué l’architecture des États-Unis à leur naissance. On la connaît surtout pour héberger l’École navale américaine, dans laquelle sept générations de cadets réels ou fictifs, de Chester Nimitz à Richard Gere en passant par Jimmy Carter, sont déjà devenus « des officiers et des gentlemen ».

Ce 29 juillet 1984, il règne une activité unique et inhabituelle autour du Navy-Marine Corps Memorial Stadium où les Midshipmen défendent d’ordinaire (et plutôt bien) les couleurs de l’U.S. Navy dans la conférence universitaire AAC de football américain. Vingt-quatre heures après la cérémonie d’ouverture, les Jeux de la XXIIIe Olympiade commencent ici aussi, avec le premier tour du tournoi de ce soccer bizarre qui n’a pas encore réussi sa percée au pays de l’Oncle Sam.

C’est là, au bord de la longue baie de Chesapeake dont la brise de mer vient tempérer les chaleurs du Sud tout proche[1], que le sort a envoyé l’équipe de France. Le format olympique est le même que celui de la Coupe du monde des années 1954-70 : seize équipes, quatre groupes au premier tour, deux qualifiés par groupe, élimination directe à partir des quarts de finale. On joue à Annapolis, donc, mais aussi à Boston et à Stanford, près de San Francisco, en plus du Rose Bowl de Pasadena voisin du Coliseum où les Jeux ont leur épicentre.

Comme on l’a vu, c’est la première fois que les Jeux sont ouverts aux footballeurs professionnels, sous certaines conditions qui en font une sorte de Coupe du monde A’. Les effectifs sont réduits aussi : 17 joueurs (dont deux gardiens) au lieu des 22 d’usage à l’époque. Chez les Bleus, le sélectionneur Henri Michel a bien évidemment repris le groupe qui s’est illustré en qualifications. Seul manque Jean-Marc Ferreri, appelé une seule fois chez les Olympiques, désormais bien installé en A, et tout récent champion d’Europe : il faut le laisser souffler avant des éliminatoires de la Coupe du monde 1986 qui s’annoncent rudes[2]. On retrouve ainsi une belle brochette de talents de la Division 1 :

Le boycott des Jeux par l’URSS et 13 de ses alliés, déclaré trois mois auparavant, a donné un coup de main aux Bleus. Le tirage les avait jetés avec une RDA qui ne leur a jamais réussi au fil des générations. Avec dans leurs rangs des pointures telles que René Müller, Ronald Kreer, Hans Richter, ou Ralf Minge, ces Allemands de l’Est auraient fait souffrir les Tricolores et beaucoup d’autres. À leur place, le CIO a repêché la Norvège, troisième de son groupe de qualification à bonne distance de la RDA et de la Pologne : un client nettement plus facile. Le Chili et le Qatar, premier adversaire des Bleus, complètent le tableau.

Au coup d’envoi, l’esprit commando de Murcie ou de Bochum n’est plus tout à fait là. « Se qualifier pour les Jeux, c’était déjà une récompense[3] », se rappelle Albert Rust. « On y était allé, disons pas cool mais tranquille[4] ». En outre, ces Qataris, dont une bonne partie a atteint la finale de la Coupe du monde U18 trois ans plus tôt à la surprise générale, ont oublié d’être mauvais. Les Tricolores ouvrent bien la marque (Garande, 43e), mais se font dépasser en cinq minutes (Al-Muhannadi, 55e et 60e), égalisent dans la foulée (Xuereb, 61e), et ne réussissent finalement qu’à accrocher le nul (2-2). Après le match, les murs tremblent. « Est-ce que j’ai tapé du poing sur la table, en tant que capitaine ? Oui, car on filait un mauvais coton », raconte le gardien sochalien[5]. Heureusement que le Chili et la Norvège ont fait match nul au même moment à Boston (0-0) : rien n’est perdu.

Retour au vestiaire après France-Qatar : ça va souffler fort.

Deux jours plus tard, les Bleus sont dans la capitale du Massachusetts pour y affronter des Norvégiens costauds mais limités (seul leur gardien Erik Thorstvedt se fera un nom par la suite, à Mönchengladbach et surtout à Tottenham). Il y a du progrès, et un doublé de François Brisson (5e, 56e) assure une victoire (2-1) un temps remise en cause par Ahlsen (33e). Dans le même temps, le Chili bat le Qatar (1-0) à Annapolis.

Un nul entre Français et Chiliens, le troisième jour, qualifierait les deux équipes. Loin de s’entendre comme la RFA et l’Autriche en 1982, celles-ci vont jouer le jeu jusqu’au bout pour tenter de décrocher la première place. Le vainqueur du groupe jouera en effet la suite du tournoi à Pasadena et emménagera donc au village olympique, dans la vraie ambiance des Jeux. Le second, lui, jouera son quart et une éventuelle demi-finale à Stanford. Pour Philippe Jeannol[6] et nombre d’autres joueurs, ça compte : « On était à un tournoi de foot, mais pas aux Jeux Olympiques. Si on s’était fait éliminer en phase de poules, on n’aurait pas eu l’impression d’avoir participé aux JO. Quelque part, c’était aussi une source de motivation pour continuer la compétition ».

À Annapolis, le 2 août, Lemoult (50e) répond à Santis (9e) pour un score de parité (1-1) qui offre la première place aux Bleus au nombre de buts marqués. La victoire de la Norvège sur le Qatar à Boston (2-0), elle, n’est plus qu’une anecdote.

Voilà donc la bande au cœur des Jeux, sur le campus de l’Université de Californie du Sud (USC), en compagnie de tous les autres athlètes. Logés avec nombre d’autres Français, les joueurs sympathisent avec les basketteurs (encore amateurs), la nageuse synchronisée Muriel Hermine, le coureur de 3000 m steeple Joseph Mahmoud (futur médaillé d’argent), ou encore le boxeur Christophe Tiozzo (médaille de bronze en super-welters). L’entraînement du matin fini, ils se précipitent au Coliseum, les yeux grands comme des soucoupes devant le spectacle.

« Je me souviens très bien être allé voir Carl Lewis au saut en longueur. Ce jour-là, il réalise son premier saut [à 8,30 m] et se rhabille parce qu’il pense que c’est suffisant pour être champion olympique [en fait pour aller en finale, NDLR] – et ce sera le cas ! Pour la finale du 100 m, on était quelques-uns aux premières loges pour [le] voir déposer ses adversaires. Devant la précision de ses gestes, je suis vraiment pris par l’émotion. A ce moment-là, je redeviens un gosse… », se souvient Dominique Bijotat[7]. C’est ça, la magie des Jeux, même pour des pros chevronnés… Entre elle et la plage de Santa Monica, on en oublierait presque le quart de finale à venir contre l’Égypte.

Rohr, Xuereb, et Cubaynes, ils se mettent toujours les fesses à l’air pour citer Saint-John Perse ?

Dans le genre piégeux, ces Pharaons valent bien la pyramide du méchant architecte Amonbofis d’Astérix et Cléopâtre. Ils alignent deux des plus grands joueurs de leur riche histoire : le meneur de jeu Tahar Abouzeid, surnommé « le Maradona du Nil », et l’attaquant Mahmoud Al-Khatib, Ballon d’Or africain en titre. On trouve aussi quelques piliers des Coupes d’Afrique des Nations des années 80, dont trois connaîtront d’ailleurs le Mondiale 1990 en Italie. Même s’ils ne se sont sortis que péniblement de leur groupe face aux États-Unis et au Costa Rica, qui alignaient quasiment leurs équipes A, et à une Squadra Azzurra où figuraient tout de même Tancredi, Baresi, Vierchowod, Massaro, et autres Serena, la prudence est de mise.

Mais les Bleus vont mieux, beaucoup mieux, depuis leur arrivée sur la côte Ouest. « On a commencé à bien jouer au ballon à partir des quarts de finale et on est monté en puissance », résume Daniel Xuereb[8]. Le 5 août, dans un Rose Bowl garni aux deux tiers qui représente quand même 66 000 spectateurs, ils maîtrisent leur sujet. Le duo Thouvenel-Xuereb, jamais réuni en club mais déjà redoutable pendant les qualifications, va frapper deux fois. À la 29e minute, le Bordelais dépose un centre impeccable sur la tête du Lensois, au point de penalty, qui fait mouche au premier poteau. À la 52e, rebelote : le centre est un peu trop haut pour François Brisson mais le goleador attitré des Olympiques, à l’affût derrière celui-ci, place une belle volée sur laquelle le gardien égyptien Ahmed Salem n’est pas irréprochable. Il n’y a plus ensuite qu’à gérer et voilà la France en demi-finale (2-0).

Zizou en étant encore à écumer les cours de récré, c’est pour Larqué que Monsieur Xu se prend.

C’est maintenant la Yougoslavie, l’une des rares équipes de l’Est à avoir refusé le boycott et la meilleure d’assez loin du tournoi sur le papier, qui se dresse sur la route des Tricolores. Ce match sera le point d’orgue d’une formidable journée française qui a laissé des souvenirs impérissables à ceux qui l’ont vécue en direct… mais ceci, cher lecteur, est une histoire pour un autre jour.

(Quatrième partie disponible ici à partir du 7 août)

(Cinquième partie disponible ici à partir du 10 août)

France-Égypte en intégralité : https://www.youtube.com/watch?v=BToqYUIWjt4

Les buts : https://www.youtube.com/watch?v=h82NvnvHK1k


[1] Le Maryland, fidèle à l’Union pendant la guerre de Sécession, est adjacent à la Virginie qui a hébergé la capitale confédérée, Richmond.

[2] Opposés à la Bulgarie, la RDA, la Yougoslavie, et le Luxembourg (deux qualifiés), les Bleus se voient offrir une tournée des pays de l’Est qui est aussi celle de leurs bêtes noires de l’époque. Elle sera effectivement difficile, même pour des champions d’Europe en titre.

[3] https://www.equipedefrance.com/long-read/los-angeles-1984-le-reve-americain

[4] https://www.estrepublicain.fr/sport/2016/07/28/football-albert-rust-champion-olympique-en-1984-devant-120-000-spectateurs

[5] los-angeles-1984-le-reve-americain

[6] los-angeles-1984-le-reve-americain

[7] los-angeles-1984-le-reve-americain

[8] los-angeles-1984-le-reve-americain

14 réflexions sur « Pour tout l’or du Nouveau Monde – 3e partie : la brise de mer d’Annapolis »

  1. Je n’aurais jamais imaginé qu’il y eût des matchs à Annapolis, ville effectivement coquette, et dont je ne soupçonnais pas l’importance militaire en y débarquant : souvenir d’y être entré par une route modeste, avec le Capitole sur la gauche……puis cette espèce de rade??? C’est après avoir embarqué sur un bateau que je réalisai où j’étais tombé : le caractère militaire de la ville était vraiment peu explicite en y pénétrant, et puis c’est tellement propret.. Très étonnant!

    Sinon, la Baie de Chesapeake : c’est pas mal du tout, chouettes coins à gogo.. Saint Michael’s en face, que de bons crustacés l’on y mange pour trois fois rien.. J’avais été positivement étonné, en tout!

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  2. Je n’en vois que des bribes, vais essayer de regarder l’un ou l’autre matchs complets..mais Xuereb semble tellement en feu..

    Y avait une place à prendre devant avec les A, Stopyra eut ses moments, mais??.. ==> Xuereb reçut-il sa chance?

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    1. Xuereb était dans les 22 à la CM 1986 et a même joué une partie de la demi-finale contre la RFA. Il est entré pour de bon dans l’équipe pendant les éliminatoires de la CM 1990, puis en a disparu après la non-qualification des Bleus. En 1983-84, il était effectivement « on fire », mais Michel Hidalgo a sans doute fait le choix stratégique de le réserver pour les Jeux. Aucun joueur de champ n’a enchaîné Euro-JO ; le seul qui l’a fait a été Albert Rust qui avait passé tout l’Euro sur le banc.

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      1. Il avait une saison de feu sous le mandat d’Ivić au PSG en 1988-89, seul en pointe.

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    1. Blessé en début de tournoi, peu influent sur les événements. C’était pareil pendant presque toutes les éliminatoires où l’animation offensive reposait sur Dominique Bijotat et Guy Lacombe.

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  3. Les JO de 1984, c’est évidemment Carl Lewis. On l’avait déjà vu à l’occasion de quelques meetings et aux 1ers championnats du monde de 1983 mais ce n’était rien en comparaison de 1984, dans ce stade olympique magnifique. Un show, une technique parfaite et une impression visuelle unique, que même Bolt ne peut concurrencer. Vraiment marquant pour l’époque. Par la suite, malgré une longue carrière, Lewis ne sera plus aussi dominant, Joe Douglas et le Santa Monica Track Club prennent des airs de secte inaccessible où tout se monnaye…

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    1. Très bon souvenir de Carmel Busuttil, une espèce de 9 et demi, à Genk.. ==> Vrai bon joueur, aussi élégant qu’efficace.

      Plus récemment, Teuma a fait des merveilles aussi en Belgique.

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      1. J’avais un copain qui s’appelait Teuma. Maltais d’origine également, qui m’avait expliqué que Teuma voulait dire ail en maltais. D’ailleurs, ils nous disait que sa famille avait des armoiries représentant de l’ail, ce qui nous faisait beaucoup rire quand on était ado.

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  4. Lorsqu’un article arrive à te plonger dans l’ambiance des JO de l’époque alors que je n’étais pas encore né, c’est très bon signe !

    PS : je viens de voir que les joueurs français, hors gardiens de but, avaient reçu leur numéro de maillot par ordre alphabétique, d’où les numéros 5 et 6 portés par des attaquants…

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  5. Tiozzo Christophe, certainement plus talentueux que son frère Fabrice mais bien moins constant. Bien que Fabrice ait eu de gros moments de doutes. Christophe jouissait d’une médiatisation inconnue depuis des lustres. Peut-être l’époque Bouthier.

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