Deuxième partie de la grande aventure de 1984 qui a mené l’équipe de France olympique d’un vestiaire espagnol aux paillettes de Los Angeles. Après avoir brillamment remporté leur poule qualificative, nos héros doivent affronter l’ogre ouest-allemand en barrage aller-retour pour s’ouvrir le chemin de L.A.
(Première partie disponible ici)
« Savez-vous si Ferreri va jouer ? » C’est la première question d’Erich Ribbeck au journaliste de L’Équipe Magazine venu l’interroger à son arrivée à Roissy avant le match aller du barrage qualificatif pour les Jeux de Los Angeles. Le sélectionneur de l’équipe olympique ouest-allemande se méfie comme la peste de celui en qui beaucoup voient déjà le nouveau Platini, le genre de joueur qui fait cruellement défaut à un football allemand en manque aigu de créativité ces années-là. Le petit prodige de l’AJ Auxerre est effectivement incertain mais tiendra finalement sa place sur la pelouse du Parc des Princes, ce 27 mars 1984.
En quatre matchs d’une poule de qualification remportée avec brio face à la Belgique et l’Espagne, le jeune sélectionneur Henri Michel a dégagé une équipe-type. Albert Rust dans le but, Jean-Christophe Thouvenel à l’arrière droit, Philippe Jeannol et Didier Sénac en défense centrale, Jean-Claude Lemoult et Dominique Bijotat au milieu, François Brisson et Daniel Xuereb en attaque sont l’ossature d’un 4-4-2 plus conventionnel que le « carré magique » des A, sans un Platini pour brouiller les rôles entre 10 et 9.
Le groupe est un mélange réussi de jeunesse et d’expérience dans lequel seuls le milieu Guy Lacombe et les deux gardiens, Rust et Michel Bensoussan, frisent la trentaine, le reste ayant entre 22 et 26 ans. Jean-Marc Ferreri, certain de participer à l’Euro 84, a passé presque toute la saison avec les « vrais » Bleus de Michel Hidalgo mais est appelé en renfort pour ce barrage capital. Compte tenu de quelques blessures et creux de forme, on retrouve donc Rust – Thouvenel, Jeannol, Sénac, Ayache – Lemoult, Lanthier, Ferreri, Bijotat – Cubaynes, Xuereb sur la pelouse du Parc.
Côté ouest-allemand, Erich Ribbeck a construit de la même manière mais plus solidement, dans la meilleure tradition germanique. Pour ce barrage, il aligne Franke – Bockenfeld, Buchwald, Bast, Wehmeyer – Groh, Brehme, Hartwig, Bommer – Schatzschneider, Mill. Un savant mélange de jeunes qui montent (Brehme, Buchwald), de piliers du grand HSV champion d’Europe en titre (Groh, Hartwig, Wehmeyer), et de tauliers d’une Bundesliga déjà dans le Top 4 mondial des ligues. On craint particulièrement Dieter Schatzschneider, le roi des buteurs de la 2. Bundesliga que Hambourg a recruté à grands frais pour remplacer le « monstre » Horst Hrubesch parti au Standard de Liège.
Performances des clubs allemands obligent, une bonne partie de l’équipe est rompue aux derniers carrés de Coupes d’Europe. Les Bleus, issus d’une Division 1 qui ne fait pas le poids à l’échelle continentale, sont loin d’avoir la même expérience des grands rendez-vous. Ils ne partent pas favoris face à cette véritable division blindée qui leur barre la route.
Vingt mois après Séville, c’est la première fois que Français et Allemands se retrouvent. L’opinion a faim d’une revanche et les joueurs en sont conscients : « Sur le plan émotionnel, ce n’était pas un match semblable à un autre. Toute la France était à la fois traumatisée et fière de ce qui s’était passé en demi-finale du Mondial 1982 », se rappellera Guy Lacombe bien plus tard[1]. Malgré cela, le Parc n’est qu’à moitié rempli au coup d’envoi : après tout, ce ne sont pas tout à fait les vrais Bleus, Schumacher n’est pas sur le terrain, et les esprits se tournent déjà insensiblement vers l’Euro qui commencera dans dix semaines.
Jean-Marc Ferreri, donc, est bien là, et il est en forme. Il apporte à l’animation offensive des Bleus l’étincelle que craignait Erich Ribbeck. Les Allemands ne sont pas à la fête, mais comme souvent, l’attaque tricolore pèche par manque d’efficacité et se perd en tirs mal cadrés. À la demi-heure de jeu, toutefois, l’auteur de ces lignes, assis à peu près à l’endroit d’où il verra Maceda crucifier Schumacher trois mois plus tard, est aux premières loges pour voir l’inévitable Daniel Xuereb ouvrir la marque d’une belle praline des 20 mètres au ras du poteau de Franke (1-0, 30e). À la mi-temps, la RFA n’a pas vu le jour et les Bleus rentrent aux vestiaires sous les bravos, même si tout le monde serait plus tranquille avec un deuxième but.
À défaut d’être des génies, a écrit L’Équipe Magazine avec un brin de suffisance, ces Allemands sont tous des bosseurs. Et ils vont le prouver après le repos, dans ce travail de sape incessant et sans éclat qui fait depuis toujours la force des sélections porteuses de l’Adler. Petit à petit, la furia francese s’émousse sur un milieu de terrain taillé dans le béton et une défense qui n’a rien d’élastique. Minute par minute, mètre par mètre, le jeu se rapproche de la cage d’Albert Rust et un silence anxieux remplace les clameurs enthousiastes en tribunes.
C’est Dieter Schatzschneider, vrai 9 d’impact qu’un Ralf Edström ou un Frank Stapleton ne renieraient pas, qui finit par trouver la faille. Une nouvelle fois servi dos au but dans la surface, il s’impose en puissance à Jeannol, pivote, et bat Rust de près (1-1, 86e). Comme à Séville, comme tant d’autres fois en Coupe d’Europe, comme d’habitude pour un football tricolore promis à cette époque à la lose éternelle, les Bleus n’ont pas su tenir le résultat…
La presse française n’y croit pas vraiment au matin du match retour, le 17 avril à Bochum. De l’autre côté du Rhin règne une certaine indifférence : la qualification laborieuse des A pour l’Euro a occupé les esprits aux dépens des Olympiques. Du coup, le Ruhrstadion est loin d’être rempli, avec seulement 18 000 spectateurs malgré des billets à prix cassés. Erich Ribbeck a fait trois changements par rapport à Paris : Zumdick, Dickgießer, et Falkenmayer (un jeune 10 prometteur qui ne confirmera jamais en A) suppléent respectivement Franke, Bockenfeld, et Brehme. Henri Michel, lui, a remplacé quatre joueurs : Jean-Louis Zanon, Jean-Philippe Rohr, Guy Lacombe, et Patrice Garande font leurs entrées aux dépens d’Ayache, Bijotat, Ferreri, et Cubaynes, Zanon délaissant son poste habituel à la récupération pour jouer latéral gauche.
Albert Rust, fort de son expérience avec Sochaux face à l’Eintracht Francfort, s’attend à un début de match difficile, et il va être servi. L’Olympia-Nationalmannschaft pilonne dès le coup d’envoi et obtient un penalty dès la 18e minute. À Jimmy Hartwig, le vieux routier du HSV, de jouer… mais le gardien tricolore repousse son tir. C’est le premier tournant du match, et ce sera la seule occasion franche de la première mi-temps pour des Allemands qui maintiennent cependant une grosse pression jusqu’au repos.
À 0-0, les Bleus sont virtuellement éliminés. Il leur faut un but, mais ils n’arrivent pas plus à s’approcher de la cage de Ralf Zumdick après la pause qu’avant. Et le deuxième tournant du match, à la 56e minute, n’arrange pas leurs affaires. Philippe Jeannol raconte[2] : « Sur le terrain, Dieter Schatzschneider m’avait mis beaucoup de coups. Cela m’a énervé, j’ai attendu que le ballon parte devant et je lui ai donné un coup de poing. Mais au moment où je l’ai frappé, l’arbitre s’est retourné. Carton rouge direct. »
À dix contre onze, c’est un miracle qu’il faudrait face à des Allemands qui continuent à jouer haut et maintiennent efficacement les Tricolores à distance. Ceux-ci résistent, pourtant, et tentent leur chance en contre quand ils le peuvent. Et voici le troisième tournant du match, que décrit Guy Lacombe comme si c’était hier[3] : « Je m’en rappelle très bien. C’était une contre-attaque sur le côté droit : Jean-Christophe Thouvenel centre, la défense allemande repousse le ballon et moi, je contrôle et je mets un tir qui part dans la lucarne ! »
Il reste un quart d’heure à jouer, et c’est maintenant aux Allemands qu’il faut un but pour espérer voir les rouleaux turquoise du Pacifique. Les vagues blanches déferlent sans arrêt, les Bleus ne sortent plus de leur camp, mais les dix rescapés se battent comme des lions. Cinq minutes, trois, une, un peu de temps additionnel… et le Danois Ib Nielsen siffle pour la dernière fois. Les Olympiques l’ont fait, ils ont terrassé le grand méchant loup sur ses propres terres. À eux la plage de Malibu, les fastes du Coliseum, et la grande fête des Jeux !
« Miracle à Bochum », écrit L’Équipe dans un entrefilet en haut de sa une le lendemain. Pour remarquable qu’il soit, l’exploit passe au second plan derrière le match du jour : le retour de la « vraie » RFA, l’affreux Schumacher en tête, pour affronter les A de Michel Hidalgo à Strasbourg dans un match de préparation à l’Euro qui n’a d’amical que le nom. Pour l’inauguration du stade de la Meinau entièrement reconstruit, les Tricolores s’imposeront joliment (1-0) sur un but de Bernard Genghini en fin de rencontre.
Ce sont cependant les hommes d’Henri Michel qui auront les premiers battu les Allemands en compétition après le déjà mythique duel de Séville. Les A, quant à eux, devront attendre 2016 et un nouvel Euro organisé sur leur sol. Si l’on se permet une analogie militaire, ce succès modeste mais réel sur l’ennemi tout-puissant qui les a cruellement vaincus deux ans plus tôt représente, pour ces petits Français qui n’y croyaient pas eux-mêmes au début, un véritable Bir Hakeim du ballon rond. Reste maintenant à savoir si, tels les grognards de Leclerc hissant les couleurs sur la cathédrale de Strasbourg, ces Bleus-là réussiront à honorer leur serment de Koufra à eux, dans ce Nouveau Monde où les attend l’or olympique.
(Troisième partie disponible ici à partir du 31 juillet)
(Quatrième partie disponible ici à partir du 7 août)
(Cinquième partie disponible ici à partir du 10 août)
[1] https://www.equipedefrance.com/long-read/los-angeles-1984-le-reve-americain
[2] Ibid.
[3] Ibid.
Remarquable encore une fois. Et je n’aurais jamais soupçonné tel miracle. Une vidéo à en proposer peut-être?
Meinau, Bochum.. Des stades très brutalistes, qui avaient en commun que leur architecture fût fort nue. Plus de 25 ans que je ne les ai pas revus en vrai, ils ont sans doute fort changé depuis lors, mais les stades de Strasbourg et de Leverkusen se ressemblaient pas mal au tournant des 90’s.
J’ai vu celui de Bochum également, lequel était d’une veine analogue et dégageait une belle atmosphère en son sein, le Parc également.. Désormais c’est difficilement concevable, un stade qui ne soit pas habillé, enveloppé.. ==> Simple mode, ou cela répond-il à une fonction?? Je présume que l’on voulut cultiver l’idée de mall, mais..?
Le match n’était pas télévisé, et je ne crois pas avoir jamais vu d’images du but de Guy Lacombe. J’en ai vu du match aller, mais tout ceci semble maintenant introuvable. Peut-être aux archives de l’INA ou de la TV allemande ?
Merci pour tous ces détails. Dans de lointains souvenirs, il me reste en effet l’opinion partagée de tous que la France n’avait aucune chance face à la RFA. Alors à 10 contre 11…
Ferreri, je me souviens de ses derniers feux. Quand il était revenu à Auxerre et avait rendu fou Liverpool qui retrouvait l’Europe. Beaucoup aimé également chez les Girondins 89 qui auraient fait de beaux champions.
Frank Mill, un des rates les plus incroyables de l’histoire
https://youtu.be/DHoobGDKlzI?si=-r3696oWQfY7Q7Ro